JdRP Ambiance : Duels et conséquences
Le cliquetis des armes résonnait dans la vaste pièce aux fenêtres hautes, décorée de lambris, qui servait de salle d’entraînement pour les apprentis spadassins de l’école La pointe au coeur . Il y avait là une douzaine d’élèves, âgés de quinze ans tout au plus, qui, vêtus de chemises colorées et de plastrons de cuirs, s’exerçaient à l’art du fleuret, sous le regard impitoyable de leur maître d’armes. Un cri de rage retentit soudain, suivi de près par le bruit d’une chute. (...)
D’un seul bloc, les deux jeunes duellistes se retournèrent, pour se trouver nez à nez avec une grande femme d’environ trente ans, à la chevelure blond cendré, au regard bleu glacier : Camille de Basconne, maître de Valroux, fondatrice de La pointe au coeur. Elle toisa ses deux élèves d’un oeil sévère, les bras croisés sur sa poitrine. Un silence pesant s’installa dans la salle. Lorsqu’elle jugea que tout le monde était suffisamment attentif, elle prit la parole : “ Je vais être claire avec vous, messieurs. J’ai ouvert cette école pour faire du duel d’escrime un art, pas un travail de boucher, ni une foire d’empoigne. Je vous ai accepté comme disciples parce que l’un et l’autre me sembliez posséder les qualités requises ; manifestement, je me suis trompée… Vous pouvez ramasser vos affaires et retourner chez vous. Revenez me voir lorsque vous aurez suffisamment médité sur la devise inscrite à l’entrée de cet établissement et alors j’accepterai peutêtre de vous reprendre. (...)
” Les apprentis échangèrent des regards ébahis, pendant que le maître d’armes retournait à son poste habituel. Camille de Basconne – la Dame de Coeur, ainsi qu’ils l’appelaient entre eux – était un professeur exigeant, sévère, mais, d’ordinaire, dans ce genre de situation, elle usait de paroles moqueuses et acerbes, ou donnait une leçon d’humilité de la pointe de son épée… La voir aussi froide, cassante et définitive était pour le moins inhabituel. Lorsque Camille quitta son école, c’était le crépuscule. Elle jeta un regard en arrière : sur l’arche de pierre de l’entrée était gravée la devise de La pointe au coeur : “ Ce qui compte, dans un duel, ce n’est pas toujours de gagner, mais c’est… le panache ! ” Un vent froid s’était levé. Son vieil étalon noir renâcla. “ Je sais, ” soupira-t-elle, “ ce n’est plus de ton âge… ” Elle haussa les épaules, puis s’engagea sur la route qui menait à Charousse, située à quelques lieues de là. Après avoir trotté un bon quart d’heure, elle passa les portes de la capitale, salua au passage quelques gardes du guet, traversa – au pas – une bonne moitié de la ville, évitant marchands pressés de rentrer chez eux, attroupements de badauds, carrosses conduits par des cochers peu amènes et arriva enfin rue des Petits Pas, devant l’hôtel particulier où se trouvait son logement. Elle fit boire son cheval, le rentra à l’écurie, le dessella, le bouchonna, lui donna à manger et, enfin, put monter dans son appartement, composé de deux pièces mal éclairées, au troisième étage de la demeure. A peine avait-elle enlevé ses chausses et pris un verre de vin que l’on frappait à sa porte. Camille réprima un sursaut nerveux, saisit une dague, qu’elle glissa discrètement dans une manche et alla ouvrir. Il ne s’agissait que d’une des domestiques de sa logeuse, une adolescente mal dégrossie qui l’observait toujours – lorsqu’elle pensait que Camille ne la voyait pas – avec une admiration béate. “ Pardonnez-moi, madame, mais un messager est venu dans la matinée. (...)
Elle allait commencer à lire, quand elle sentit le regard de la servante peser dans son dos. Mâchoires serrées, elle se retourna. “ Que voulez-vous ? ” rugit-elle. Effrayée, l’adolescente recula. Camille avança jusqu’à l’entrée, eut un sourire froid et lui claqua la porte au nez. Elle retourna à sa table, se servit un autre verre et lut la missive. “ Revenez donc dans dix ans, avez-vous dit, Encore en duel je vous vaincrai, Ma Dame, le temps a passé, ma haine ne s’est pas tarie, Et je n’ai pas oublié. (...)
Un éclair vert et un éclair bleu se rencontrent et s’affrontent. Il porte la main à sa joue ensanglantée. D’un geste précis, elle nettoie sa rapière à l’aide d’un mouchoir immaculé et la rengaine dans son fourreau. Après l’acier, le verbe. “ Vous ne valez même pas le sang versé sur mon épée. (...)
Mais rassurez-vous : je suis certaine que vos Chevaliers et votre Theus pardonneront votre médiocrité… Adieu, monsieur. ” Elle s’éloigne… Camille se réveilla en sursaut, le corps couvert de sueur, le coeur battant. Elle s’extirpa tant bien que mal de sa couche et se dirigea vers la fenêtre en boitillant. (...)
Un jour, elle en avait eu assez. Elle avait jeté son gant au visage d’un de ses tourmenteurs et l’avait provoqué en duel. Frédéric – c’était son nom – lui avait donné une leçon mémorable, la privant méthodiquement – et impitoyablement – de ses vêtements et de ses rubans, puis, après lui avoir égratigné l’épaule, avait rengainé sa rapière et avait salué. En larmes, humiliée et folle de rage, Camille avait jeté son fleuret par terre et avait couru se réfugier dans le fond du parc de l’école. Frédéric était arrivé, quelques minutes plus tard et lui avait tendu son arme : “ Camille, ” avait-il dit, “ c’est indigne de toi… Mon père m’a dit un jour que le fils d’un soldat ne doit jamais pleurer. Es-tu l’enfant d’un capitaine ou d’un drapier ? ” Elle avait levé les yeux vers lui et répondu, en bredouillant : “ D’un… d’un capitaine ! ” Il avait hoché la tête. “ La fille d’un capitaine ne pleure jamais. ” Camille n’avait plus jamais versé une larme. Elle n’avait pas pleuré lorsque Frédéric, devenu l’un de ses meilleurs amis, avait été tué lors d’un duel. Elle n’avait pas pleuré lorsqu’elle avait été contrainte d’abattre son premier cheval, qui s’était cassé une jambe au cours d’une chasse. (...)
Mais ils ne renonceront pas : ils se battront jusqu’au bout… Garde basse, elle sent un doux affleurement sur sa main. “ Camille, Camille, Camille ” chuchote la sorcière de la destinée avant de l’embrasser. La jeune femme blonde esquisse un sourire sardonique et se jette dans la mêlée, suivi de près par son compagnon. Ils se battent avec fureur, luttant pied à pied contre leurs adversaires. Pour Camille, c’est devenu mécanique. Attaque, parade, feinte à l’épaule, couteau. Attaque, parade, feinte d’engagement, contre dégagé. (...)
De grosses cernes violettes creusaient ses joues et son visage, habituellement souriant et agréable, était en permanence empreint d’une expression soucieuse, presque hantée. Par égard pour ses élèves, elle avait fermé son école pour le reste de la semaine, arguant qu’ils avaient besoin d’un peu de repos afin de retrouver un minimum de concentration. (...)
Le maître d’armes revêtit une chemise de soie crème, un pourpoint et des pantalons de velours mordoré, noua autour de son cou un foulard bleu gris, ceignit sa rapière et quitta ses appartements. Elle se rendit aux écuries. Onyx, son vieil étalon castillan, sentit son humeur et, de ce fait, jugea plus sage de lui épargner ses habituelles facéties, lorsqu’elle entreprit de le seller. (...)
De fines gouttes de pluie commencèrent à tomber lorsqu’elle traversa la cour pavée de l’hôtel. “ Madame ! Madame ! ” cria une voix alors qu’elle s’apprêtait à enfourcher sa monture. Camille se retourna. La jeune domestique qu’elle fascinait tant accourait vers elle, un paquet dans les bras. (...)
“ Euh… je… Il pleut, alors j’ai… j’ai pensé que vous auriez besoin de ça… ” balbutia la jeune fille. Touchée par la gentillesse de la servante, Camille sourit et pris la cape et le couvre-chef que celle-ci lui tendait. “ Quelle est ton nom, petite ? - Je m’appelle Marinette, madame. - Eh bien, ” termina Camille en montant en selle, “ bonne journée à toi, Marinette ! Et merci ! ” Puis elle sortit. Elle mit son cheval au petit trot, profitant du petit matin pour aller un peu plus vite, traversa Charousse endormie et s’engagea sur le chemin de l’Observatoire, où l’attendait son “ rendez-vous ”. Ils étaient déjà là lorsqu’elle arriva en vue du bâtiment. Le noble qui l’avait engagée et son témoin, une femme vêtue de couleurs vives, emmitouflée dans une pèlerine écarlate bordée de fourrure, accompagnée d’un mignon, et, enfin, la personne qu’elle devait affronter, dans un duel au premier sang, Gabriel d’Echiny. L’arbitre fut choisi au hasard entre les témoins. Les deux duellistes se placèrent en face l’un de l’autre. Malgré la pluie, ils avaient ôté leur cape et leur chapeau. (...)
“ Saluez-vous ! ” commença l’arbitre – le témoin du noble. “ En garde… Etes-vous prêts ?… Allez ! ” Le duel s’engagea aussitôt. Gabriel porta la première attaque, qu’elle para machinalement, avant d’engager une série de feintes, sans grande conviction. Se sentant quelque peu insulté par le manque d’enthousiasme de son adversaire, il effectua quelques superbes passes d’armes et finit par lui couper, dans un même mouvement, une mèche de cheveux et un ruban. (...)
“ Vous ne réagissez pas, madame ? ” railla-t-il. “ Vraiment, j’attendais plus de panache de la part de la fondatrice d’une école, qui se vante de mettre cette vertu au coeur même de son enseignement ! - Désolée, ” répondit Camille en exécutant un enveloppement, qu’elle fit immédiatement suivre d’une prise de fer en sixte. Elle se retrouva à moins d’un pas de Gabriel, qui plongea les yeux dans les siens. Des yeux verts. Il fait beau et chaud. Les tilleuls sont en fleurs et dégagent des effluves printanières. (...)
Jean est face à elle, dans l’allée du parc et la regarde, encore incrédule. Autour d’eux, une dizaine de courtisans se sont agglutinés, tout émoustillés à la perspective du duel qui se prépare. La mère de Camille est parmi eux. Elle seule paraît ne pas partager l’excitation générale. Elle seule, parmi cette nuée de nobliaux, sait ce qui se trame réellement. (...)
La courtisane félicita son champion, lui remit une bourse et, après avoir ordonné à son suivant de l’aider à monter en selle, se lança au petit galop sur la route de Charousse. Camille n’avait pas bougé. Elle contemplait sa blessure, les yeux dans le vague et paraissait ne pas avoir conscience de ce qui l’entourait. “ Madame… ” Elle sursauta, releva la tête. Gabriel d’Echiny, compagnon de Valroux et maître dans le style Boucher, avait de longs cheveux châtain, des yeux gris vert bordés de cils épais, une bouche généreuse et portait une petite cicatrice sur la pommette droite. (...)
“ Oh, j’imagine que tout le monde a le droit d’avoir ses mauvais jours… même l’une des meilleures duellistes de Montaigne ! - Je suis vraiment désolée ” répondit Camille d’un ton las. “ Je ne vous ai pas offert la meilleure prestation de ma carrière, en effet. ” Elle tourna les talons après un bref salut et se dirigea vers son cheval très occupé, quant à lui, à mâchonner les fines branches d’un buisson dénudé. “ Allez, Onyx ! ” dit-elle en détachant la longe de l’étalon, “ On retourne à Charousse. ” Elle se hissa sur sa monture et s’éloigna au pas. Gabriel d’Echiny observa, intrigué, cette grande femme dont la réputation avait fait le tour de nombreuses villes du pays. “ Fière allure ”, “ grande duelliste ”, “ spectaculaire ”, étaient les mots qui revenaient le plus souvent dans la bouche des gens lorsqu’ils parlaient d’elle. (...)
Une femme au visage blême et tiré, aux yeux cernés, aux cheveux sales et à peine coiffés, qui paraissait bien plus que son âge et était aussi lente qu’un paysan eisenör. On lui avait également dit qu’elle avait fait du duel un art, que la devise de son école était quelque chose du genre “ le panache avant tout ”… Pour Gabriel, dans “ panache ”, il y avait “ feu ” et “ passion ”. Et Camille de Basconne en était complètement dépourvue. Après avoir entouré son poignet blessé d’un linge à la propreté douteuse, Camille se rendit, à pied, à L’oiseau de feu, une taverne dans laquelle elle faisait des séjours prolongés depuis son plus jeune âge. Le patron, Xavier, un gros homme bedonnant, au crâne dégarni et à la moustache grise, l’accueillit avec un grand sourire. “ Eh bien, ma belle ! Tu en fais une tête, aujourd’hui ! (...)
Que t’arrive-t-il ? ” Il avisa son poignet blessé et écarquilla les yeux de stupeur. “ C’est une blessure de duel, ça ! - En effet. - Toi ? Toi tu as perdu un duel ? Je comprends pourquoi tu es dans cet état, je… - Laisse tomber, Xavier ” coupa abruptement le maître d’armes. “ Apporte-moi plutôt un pichet de vin et quelque chose à manger. ” Comprenant que son amie n’était pas d’humeur à parler, le vieil homme s’exécuta en silence. Camille laissa quelques piécettes sur le comptoir et emporta sa pitance à une table. Xavier fronça les sourcils et se rendit aux cuisines. (...)
Sa femme, aussi maigre et sèche qu’il était gros, leva un sourcil interrogateur en sa direction. “ Pourquoi cette mine préoccupée, le père ? - La petite Camille… Elle a un air de déterrée, elle est pas causante… Si je ne la connaissais pas aussi bien, je jurerais qu’elle a perdu un duel et qu’elle s’en moque royalement… - Et qui te dit qu’elle ne s’en fiche pas comme de sa première chemise ? ” Xavier réfléchit quelques instants. (...)
Pas depuis… ” Il se donna une claque sur le front. “ Mais bien sûr ! Pas depuis qu’elle a vaincu un certain James Weller en duel et l’a humilié devant toute la cour ! je ne sais plus pourquoi exactement mais… - Eh ben, je serais elle, j’aurais des raisons de m’inquiéter ! Il paraît qu’il est de retour en ville… On l’aurait vu à plusieurs reprises à la “ Maison ” de Charousse ! ” L’aubergiste retourna dans la salle. Le maître d’armes était toujours à sa place, un verre de vin vide devant elle. (...)
Son identité est demeurée secrète jusqu’à présent et si votre oncle découvrait la vérité, il le ferait assassiner ! - Alors il ne doit pas savoir ? - Non. Non, par les Prophètes, non ! ” s’écrit Amélie de Basconne, effondrée. “ Et je dois vous demander plus, encore. ” Camille la serre contre son coeur. “ Que voulez-vous, maman ? - Faites-le partir d’ici… Arrangez-vous pour ne plus le voir ! Il y va de sa vie et de la nôtre, Camille ! - Mais pourquoi ? Pourquoi ? - Vous comprendrez en lisant ceci. ” Camille se réveilla en pleine nuit. Sa hanche la faisait de nouveau souffrir. Un orage avait éclaté au-dessus de la ville. (...)
Il pleuvait aussi, ce soir-là, lorsqu’elle avait eu cet entretien avec sa mère. Le lendemain, elle faisait de Jean – connu sous le nom de James Weller – la risée de Charousse et l’un de ses pires ennemis. Une semaine plus tard, Amélie de Basconne était retrouvée morte dans son lit, la langue bleue et enflée. Camille savait qui était le responsable. Victor Basconne de la Mothe, son oncle bien-aimé… Victor Basconne de la Mothe, qui s’était débrouillé pour faire assassiner son père, pour obliger sa mère à se compromettre dans des manoeuvres politiques et la faire chanter. Victor Basconne de la Mothe, dont elle avait, seulement trois années auparavant, réussi à se venger. Elle avait réussi à obtenir des aveux complets et manuscrits de ses deux complices, en échange de leur vie, puis avait porté les papiers au capitaine Jean-Marie de Tréville en personne. Il s’avérait que son oncle s’était rendu coupable de nombreux forfaits, dont l’un mettait en cause sa loyauté envers l’Empereur lui-même. (...)
Elle l’avait désarmé en un tour de main et, avant qu’il ne parvienne à s’échapper en usant de la magie Porté, lui avait planté la pointe de sa rapière entre les deux yeux. “ A quoi bon, tout ceci ? ” murmura Camille. Elle retourna sur sa couche et tâcha tant bien que mal de se rendormir. Le lendemain matin, Marinette lui apporta une lettre, ainsi qu’un bouquet de fleurs. “ Je me demande de qui cela peut venir…” osa la domestique. Camille haussa un sourcil et décacheta la missive. “ Gabriel d’Echiny ” répondit-elle brièvement. “ Une invitation, ce soir, au théâtre. Attends quelques minutes… ” Elle se rendit jusqu’à son secrétaire, prit une feuille de papier, trempa sa plume dans l’encrier et rédigea une brève réponse. “ Vous écrivez à l’encre violette ? ” s’étonna l’adolescente. “ Je déteste le noir. - Est-il beau ? - Qui donc ? ” demanda Camille. “ Gabriel d’Echiny… C’est votre soupirant ? ” Camille leva les yeux au ciel, exaspérée. “ Oui à la première question, non à la deuxième ! ” Elle apposa son sceau sur l’enveloppe et la lui tendit. “ Et à présent, file ! ” Marinette quitta précipitamment la pièce. Le maître d’armes soupira, amusée malgré tout par la ténacité de l’adolescente. Une invitation au théâtre ? Cela faisait longtemps que nul ne s’était risqué à ce genre de choses, d’abord parce sa réputation en effrayait plus d’un, ensuite parce que, à trente ans passés, elle avait largement passé l’âge d’être courtisée. (...)
L’orage de la nuit avait laissé place à un temps ensoleillé et les rares nuages qui parsemaient le ciel de Charousse étaient chassés vers l’est par le vent. “ Pourquoi ne chasse-t-il pas également les souvenirs ? (...)
” Haussant les épaules, elle se détourna résolument de la fenêtre, revêtit un costume d’équitation et quitta son appartement. Elle avait besoin de vitesse et de solitude. Onyx s’adapterait à son humeur… comme toujours. Camille avait ordonné aux domestiques de lui apporter des brocs d’eau chaude. Elle avait installé un grand baquet au milieu de la cuisine et se lavait à grandes eaux, sous le regard surpris et effrayé de Marinette. Il était rare que le maître d’armes ait besoin d’une servante et c’était la première fois que l’adolescente avait à remplir cette tâche. “ Vous avez tellement de cicatrices… ” finit-elle par dire. “ La vie de spadassin n’a pas que des côtés agréables ” répondit Camille. “ On récolte des ennemis et des cicatrices ! ” Voyant que la spectaculaire femme blonde était d’humeur communicative, Marinette osa une autre question : “ Avez-vous été mariée ? ” Camille ouvrit de grands yeux. Instinctivement, la jeune fille fit un pas en arrière, mais ses craintes étaient vaines, car son interlocutrice éclata de rire ; un rire chaleureux et franc. “ Par Theus ! (...)
Si l’existence maritale peut parfois sembler bien fade en comparaison de celle d’un spadassin ou, par exemple d’un explorateur, elle apporte tout de même un certain confort, matériel et affectif, qui n’est pas négligeable. - Je ne suis pas sûre de suivre… ” chuchota Marinette. “ Je parlais simplement de solitude. De blessures et de solitude. - Mais… vous n’avez jamais eu de… de… fiancés ? ” s’enhardit l’adolescente. “ Si fait, mademoiselle la curieuse ! ” rétorqua le maître d’armes. “ Du moins, ceux qui ne s’enfuyaient pas en voyant mes balafres ! (...)
Tout en indiquant à la domestique de lui donner une serviette, elle demanda : “ Alors, as-tu toujours envie de devenir duelliste ? - Mais…mais… comment savez-vous que… ? ” bredouilla la jeune fille. Camille haussa les épaules. “ Je le sais, c’est tout. Maintenant, je voudrais que tu réfléchisses bien à ce que je t’ai dit. (...)
Si ce que tu souhaites réellement, c’est apprendre le métier des armes, je suis prête à te l’enseigner – du moins si je survis à mon prochain duel. Mais je ne veux pas que tu te lances dans cette voie à la légère. - Bien, madame. ” La servante, songeuse, entreprit de démêler les cheveux de la duelliste, tout en les séchant soigneusement à l’aide d’un carré de tissu propre, puis les coiffa en chignon torsadé. Camille l’emmena ensuite dans sa chambre et ouvrit une grosse armoire, à l’intérieur de laquelle étaient suspendus divers vêtements et quelques robes de couleurs vives. (...)
Rien qu’à l’idée de devoir demeurer immobile des heures durant, tandis qu’une horde de “ petites mains ” s’agite autour de moi pour quelques mètres de soie, j’enrage ! ” Sur ces mots, elle jeta quelques vêtements sur son lit. Marinette l’aida à ajuster son corset – prenant bien garde de ne pas trop le serrer, ainsi que sa jupe et son pourpoint bleu orage, puis s’éclipsa avec une révérence. (...)
Le maître d’armes examina son image dans le reflet de la fenêtre – comme la plupart des Montaginois, elle préférait éviter les miroirs, par crainte des fantômes parfois emprisonnés à l’intérieur – et haussa les épaules. Elle ne savait qu’ attendre de cette soirée mais s’était résolue à accepter l’invitation de Gabriel d’Echiny, parce qu’elle savait avoir besoin d’un divertissement – même éphémère. Le Théâtre du Lierre, situé à l’entrée du Quartier des Arts de Charousse, avait été aménagé dans une ancienne chapelle, désaffectée depuis près de dix ans, puis rachetée par un noble mécène et transformée peu à peu en institution théâtrale. Demeurée à l’arrière-plan de la vie culturelle de la capitale pendant longtemps, la bâtisse avait, depuis la rupture franche entre l’Empereur et l’Eglise Vacitine, retrouvé ses lettres de noblesse et l’on se plaisait à dire que les pièces proposés par la troupe du Lierre valaient bien les spectacles grossiers et soporifiques des prêtres et autres charlatans. (...)
Tout le comique venait de la confusion permanente des noms et des particules, “ Paix ” étant la cité à laquelle toutes les personnes désirant rester anonymes empruntaient le nom. La pièce connaissait un franc succès parmi la bourgeoisie de Charousse et l’on murmurait que certains nobles de la Cour étaient venus la voir incognito pour en parler ensuite à L’Empereur… Que ces rumeurs soient fondées ou non, l’entrée du théâtre grouillait de monde : marchands, bourgeois, mousquetaires en permission, courtisanes et femmes de lettres aux manières éthérées s’y pressaient déjà lorsque Camille arriva sur place. Avant de descendre du carrosse, elle ferma les yeux, se concentra quelques instants - le temps de graver en lettres de feu le mot “ panache ” dans son esprit - et descendit de l’équipage. (...)
” Son interlocuteur, un homme bien fait de sa personne, au sourire ravageur et à la moustache impeccable, eut une grimace comique : “ Hélas, Camille ! Mon coeur se consume pour une belle indifférente et je suis prêt à tous les sacrifices si cela peut la conduire à porter ses yeux de braise sur ma pauvre personne… - Si cela peut la conduire dans ton lit, plutôt ! (...)
” Nicolas lui fit une invraisemblable révérence et prit congé. Elle avança un peu plus sur la place, cherchant Gabriel d’Echiny du regard. Elle le repéra enfin, appuyé nonchalamment contre le mur de l’ancienne chapelle, qui discutait avec une courtisane – la même qui l’avait engagé pour se battre en duel. Camille s’approcha d’eux et salua. La femme, vêtue d’une robe entièrement rouge et d’une coiffe assortie, se tourna vers elle, tandis que Gabriel s’inclinait brièvement. “ Eh bien, madame, lança la courtisane, “ vous paraissez bien plus à votre avantage qu’hier au matin ! J’avais en vérité peine à croire que c’était la fondatrice de l’école de La pointe au coeur qui se battait en duel ! ” Camille lui jeta un regard peu amène. De toute évidence, cette personne cherchait à la provoquer. Elle allait se décider à ignorer la répartie lorsque l’autre, avec une moue hypocrite, ajouta : “ Je ne vous ai pas vexée, au moins ? - Bien sûr que non, madame ” contra immédiatement la jeune femme. “ Mais parfois, je commence à ressentir le poids des années… Oh, mais je suppose que c’est un genre de fatigue que vous connaissez depuis longtemps ! ” L’autre ouvrit la bouche, mais Camille ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce soit ; elle fit une brève révérence, saisit le bras de Gabriel et, avec un sourire moqueur, lui souhaita le bonsoir. - “ Vous vous êtes fait une ennemie, je pense ” murmura Gabriel tandis qu’ils s’installaient dans une loge, non loin de la scène. “ Une de plus, une de moins… J’espère simplement que cela ne vous nuira pas. (...)
Un homme mince et sec profita du retour de la lumière pour annoncer un entracte d’un quart d’heure et le rideau tomba. “ Décidément, ” commenta Gabriel, “ j’apprécie de plus en plus le travail du Maestro. Ses pièces possèdent toutes une vivacité et une finesse inégalables ! (...)
” Il se frayèrent tant bien que mal un chemin dans la foule colorée des spectateurs, puis sortirent sur le parvis de l’ancienne chapelle. Camille se tourna vers son compagnon et allait dire quelque chose, lorsque elle vit, à moins de cinq mètres d’elle, un homme d’environ trente ans qui la dévisageait. (...)
Paralysée, incapable de réagir, le maître d’armes ne parvenait pas à détacher les yeux des siens. Instinctivement, Gabriel la prit par la taille et mit la main sur le pommeau de sa rapière. “ Inutile, monsieur ” lança l’homme d’un ton calme. “ C’est une affaire entre cette “ dame ” et moi. ” Il poursuivit, s’adressant à Camille de cette même voix neutre : “ Enfin, nous nous retrouvons. ” Camille avait la bouche sèche, la tête vide. “ James… ” parvint-elle à murmurer. “ Je vous ai connue plus en verve, madame. (...)
“ Bien, en ce cas, madame, je vous propose de régler l’affaire qui est entre nous depuis si longtemps. Je vous fais confiance pour le lieu et l’heure… - A l’aube, demain ” répondit Camille d’une voix tremblante. “ Dans le parc de mon école. ” James hocha la tête, tourna les talons et disparut dans la foule. Alors, pour le maître d’armes, tout devint noir. (...)
La femme en rouge, qui n’avait rien perdu de la discussion, eut un sourire perfide et s’éloigna à son tour. A présent qu’elle avait vu l’Avalonien et Camille de Basconne côte à côte, elle n’avait plus aucun doute. Il ne lui restait plus qu’à prévenir Pierre Basconne de la Mothe - son rôle, à elle, était terminé. Camille se réveilla dans une pièce qu’elle ne connaissait pas, assez joliment meublée, allongée sur un divan de velours aux motifs chatoyants. Un verre de brandy était posé près d’elle, sur un guéridon. Elle se redressa en grimaçant, avala la boisson d’un seul trait et s’assit précautionneusement. Gabriel d’Echiny était assis à une table, sur laquelle avaient été disposées quelques victuailles et l’observait, l’air impassible. (...)
Qui est cet homme à qui vous ressemblez tant ? Vous ne pourrez jamais vous battre dans l’état où vous êtes. ” Camille eut un pauvre sourire, se leva et se dirigea lentement vers son hôte. Celui-ci lui tendit une chaise, l’aida à s’installer et poussa le pain, le fromage, le beurre et le jambon devant elle. (...)
” rétorqua-t-il en leur servant une nouvelle coupe de vin et en s’installant confortablement sur son siège. “ Vous savez, Camille, dans ma région, les gens sont des marchands… Ils ont appris que la patience et la ténacité étaient les deux clefs de l’économie… - C’est une menace ? (...)
“ Non. C’est juste que lorsque je vois une femme de votre trempe perdre pied à la simple perspective d’un duel, je m’interroge. Alors ? - Alors, James Weller, que vous avez vu tout à l’heure est mon jumeau. Il se nomme en réalité Jean Basconne de la Mothe… Ou Jean de Basconne, puisque notre famille a perdu ses titres il y a trois ans. - De la Mothe, avez vous dit… C’est étrange, j’ai déjà entendu prononcer ce nom dans la soirée. (...)
Vous n’étiez pas à la Cour du Soleil il y a dix ans, n’est-ce pas ? - Non, pas plus que je ne m’y rends aujourd’hui. En outre, je ne demeure à Charousse que depuis une année, environ. Mais cela a-t-il son importance ? - Oui… A la Cour du Soleil, les réputations se font et se défont à la vitesse de l’éclair ; vous pouvez dans la même journée être adulé, puis jeté plus bas que terre si vous avez commis un impair, ou bien que vous êtes pris pour cible par une langue de vipère… Je connaissais un peu James. (...)
C’était un jeune homme drôle, charmeur, impulsif, têtu… Nous nous étions à plusieurs reprises retrouvés du même côté de la barrière au cours de quelques aventures, mais j’ignorais tout de notre lien familial. Je ne l’appris, par la bouche de notre propre mère, que lorsqu’il vint à Charousse, en tant que page et garde du corps d’un ambassadeur d’Avalon. Il est demeuré trois journées à la Cour. (...)
Lorsqu’il en est parti, il était la risée d’une bonne partie des courtisans, déshonoré et convaincu que j’étais un monstre. - Est-ce vous qui l’avez ridiculisé ? ” demanda calmement Gabriel, en leur resservant du vin. “ Oui… Et il est inutile d’essayer de m’enivrer, vous n’y arriverez pas. ” Gabriel éclata de rire. “ Au moins, j’aurai essayé ! ” Il en but une gorgée, reposa son verre et observa : “ Si j’ai bien compris, vous avez humilié publiquement votre frère – qui ignorait ce qu’il était pour vous – pour des raisons qui m’échappent… J’en déduis donc que vous avez appris son retour et que vous êtes depuis rongée par le remords… Ce que je me demande, en revanche, c’est pourquoi vous avez fait cela. - Afin lui sauver la vie… ” répondit Camille d’une voix presque inaudible. Elle se mordit les lèvres, essayant d’ignorer la grosse boule qui s’était formée dans sa gorge. Gabriel posa la main sur la sienne. Elle lui saisit fortement les doigts et, de nouveau maîtresse de ses émotions, lui raconta toute l’histoire : comment son oncle, la baron Victor Basconne de la Mothe, avait fait assassiner son frère par ambition ; comment sa mère avait été obligée de dissimuler la naissance de son fils et de l’envoyer, au loin, sur les terres d’Avalon ; comment le baron l’avait fait chanter durant des années, alors qu’elle savait que c’était un criminel et l’avait forcée à renoncer à ses biens ; comment il avait découvert qu’elle avait un fils, quelques jours avant que James n’arrive à la Cour du Soleil ; comment Camille s’était arrangée pour que James soit à jamais écarté de sa vie ; comment, enfin, après de longues années, elle avait réussi à venger son père, sa mère et avait finalement hérité de la somme de trois mille sols, tandis que le reste de sa famille était destitué de toute charge et tout titre de noblesse. “ C’est comme cela que j’ai pu ouvrir officiellement mon école ” conclut-elle. “ Et cela fait dix ans, exactement, qu’a eu lieu ce duel affreux. Dix ans… Je n’oublierai jamais son visage, ce jour là. Il est passé de l’incrédulité à l’horreur, puis à la haine absolue avec une telle rapidité… ” Gabriel l’avait écoutée avec attention, tout au long de son récit, sans l’interrompre une seule fois. “ De la Mothe… Je savais bien que je connaissais ce nom. ” grommela-t-il. “ C’est un certain Pierre Basconne de la Mothe qui accompagnait Viviane, tout à l’heure. - Mon cousin ? ” s’exclama Camille. “ Mais je croyais que cet abominable petit arriviste, prétentieux et lâche s’était exilé en Vodacce ? Voilà qui est étonnant… ” Elle sourit à Gabriel. Parler lui avait fait du bien ; elle se sentait un peu plus lucide, à présent. “ Pourquoi, maintenant que ces histoires sont réglées, ne parlez-vous pas avec votre frère ? ” interrogea son compagnon. “ Cela fait dix ans, Gabriel. Dix ans. On ne renonce pas si facilement à une vengeance que l’on prépare depuis des années… Il ne m’écoutera pas. (...)
“ Vous savez très bien que vous comprendriez et que, après quelques embrassades, vous iriez dans la première auberge venue vous enivrer consciencieusement et vous raconter mutuellement votre vie ! Alors ? - Alors, ” soupira Camille, “ vous avez raison. Et puis je crois que le rôle de martyr ne me convient pas très bien ! Demain matin, j’irai chercher mes preuves et je lui parlerai. - A la bonne heure ! ” lança Gabriel en levant son verre. “ Demain matin, avez-vous dit ? ” La jeune femme lui répondit par un sourire auquel il jugea inutile de résister. Lorsque Camille quitta la demeure de Gabriel, il restait un peu plus d’une heure avant l’aube. Emmitouflée dans une épaisse cape d’homme, elle traversa la moitié de la ville avant d’arriver rue des Petits Pas. La morosité et la lassitude qui s’étaient emparés d’elle plus d’une semaine auparavant l’avaient totalement quittée et c’est le coeur léger qu’elle gravit l’escalier qui montait jusqu’à son appartement. (...)
” gémit-elle enfin, en se laissant lourdement tomber sur le sol. Un bruissement lui fit brutalement la tête. Elle vit Marinette, les cheveux défaits, en chemise et pieds nus qui se tenait à quelques pas d’elle. “ J’ai tout vu… ” commença l’adolescente. “ Vu quoi ? Quand ? Qui ? ” rugit Camille, à présent debout , la mine sombre. La domestique prit son courage à deux mains : “ Un homme est venu ici. Il était un peu plus grand que vous et très mince. (...)
“ Sauf votre respect, madame s’il est de vos amis, je trouve qu’il avait des yeux d’assassin… - Pierre. ” lâcha Camille. “ Cette vermine ! Pourquoi l’as-tu laissé passer ? - Il m’a fait peur… ” avoua Marinette. “ Il m’a dit qu’il vous connaissait, qu’il passait juste prendre quelques affaires et que vous étiez au courant… Moi, je lui ai demandé s’il avait un billet de votre main, mais il m’a dévisagé d’une telle manière que… ” Elle éclata en sanglots. “ Je suis désolée, madame ! (...)
Je me suis contentée de l’espionner et… et quand il est parti, je n’ai pas refermé la porte… ” Le maître d’armes la prit par les épaules et la serra contre elle. “ Allons, Marinette ! Ce n’est pas si grave ! ” murmura-t-elle. “ Maintenant que je sais qui est entré, il ne va pas m’être trop difficile de le retrouver… Mais d’abord, je dois aller me changer. J’ai un duel, dans moins d’une demi-heure. ” Sans perdre plus de temps, aidée par sa domestique, le maître d’armes se déshabilla, ôta son corset et revêtit des pantalons et un pourpoint dans les tons pourpres, ornés de motifs plus clairs, ainsi qu’une chemise assortie. Puis elle se munit de sa main-gauche et de sa rapière. Marinette ne la quittait pas des yeux, tout en se mordillant les lèvres. Camille finit par s’en apercevoir. Elle jeta un coup d’oeil vers la fenêtre. Il était moins tard qu’elle ne le pensait. Alors elle se tourna vers l’adolescente : “ Veux-tu m’accompagner ? ” La jeune fille écarquilla les yeux de surprise et s’exclama : “ Oui ! (...)
Oui mais… ” Sans lui laisser le temps de finir, le maître d’armes lui désigna des vêtements qui gisaient, épars, sur le lit : “ Ca devrait être à ta taille. Dépêche toi ! ” Quelques minutes plus tard, les deux compagnes se dirigeaient vers les écuries. Marinette avait passé une dague à sa ceinture. Cela gênait un peu ses mouvements, mais, l’un dans l’autre, elle n’était pas mécontente de sa situation. (...)
Pendant que sa cavalière le sanglait, il tenta au moins trois fois de la mordre, découvrant une dentition jaunâtre et peu appétissante. “ Madame… ” avança l’adolescente. “ Je… je ne sais pas monter à cheval… - Eh bien, tu grimperas en croupe ! ” Sur ces mots, elle prit sa monture récalcitrante par les rênes et la conduisit dans la cour. (...)
Elle se mit en selle et tendit la main vers la jeune fille. Celle-ci hésitait. “ Allons ! Je n’ai pas de temps à perdre ! ” lança Camille. “ Quant à toi, ” maugréa-t-elle à l’encontre de son cheval, qui ne cessait de renâcler, “ tu continues comme ça, je t’arrache les oreilles. ” Il se calma aussitôt… Peu de temps après, elles quittaient Charousse. L’aube pointait juste lorsqu’elle passèrent le portail de La pointe au coeur. Une légère brise agitait les branches des arbres. Et l’endroit semblait désert. Le maître d’armes pressa les flancs de sa monture, qui fit encore quelques pas, les oreilles pointées en avant, l’air nerveux. “ C’est trop calme… ” remarqua Camille. “ J’ai un étrange pressentiment… - Regardez ! ” coupa Marinette, pointant un doigt en direction d’un bosquet. “ Il y a quelque chose, là-bas ! - Très bien ! (...)
Un carreau d’arbalète était planté dans son dos et il saignait abondamment, atteint par de nombreux coups d’épée. Blême de rage, Camille serra les poings. Aux cheveux blonds cendrés du blessé et à sa mise, elle sut immédiatement qu’il s’agissait de son frère. (...)
Une flèche se planta dans l’épaule de l’étalon. Avec un cri aigu, celui-ci se cabra et fit ce qu’on lui avait toujours appris à faire… Il chargea. Marinette, accrochée à la crinière, hurla de peur. Pendant ce temps, cinq hommes, surgis de nulle part, encerclèrent le maître d’armes. (...)
Ils étaient armés d’épées bâtardes et donnaient le sentiment de savoir s’en servir. Un lent sourire s’inscrivit sur les lèvres de Camille. Elle plissa les yeux, exécuta quelques moulinets avec son épée afin de les impressionner et dans un même mouvement, se fendit, para une attaque qui venait sur la droite, plongea sa main-gauche dans le ventre d’un de ses adversaires et en transperça un autre de part en part. (...)
Elle sentit un déplacement derrière elle, esquiva le coup de justesse et… gronda de colère et de peine. Un couteau venait de se ficher dans son avant-bras. Pendant ce temps, Onyx et Marinette affrontaient quatre autres brutes : l’adolescente avait réussi à trouver son équilibre sur la selle, dégainé sa dague et, une lueur d’excitation dans les yeux, s’employait à faire le vide autour d’elle, fortement aidée par l’étalon castillan. Un des hommes réussit à approcher et tenta de la déséquilibrer, en s’accrochant à sa cuisse, un sourire goguenard aux lèvres. Sans réfléchir, Marinette donna un coup qui lui entailla la main. Il se recula avec un cri et se retrouva à portée des sabots du cheval, qui n’hésita pas un seul instant et lui fracassa le crâne d’une ruade magistrale. Mais ça, Marinette ne l’avait pas prévu. Projetée à terre, elle sentit une brûlure lui déchirer la hanche. Ignorant la souffrance, elle se releva, sa dague pointée sur les trois survivants. (...)
“ Allez, gamine ! Rends toi ! Tu n’as tout de même pas l’intention de te défendre avec ce cure-dent ? ” L’adolescente sentait un feu nouveau couler dans ses veines. Son adversaire était un colosse, certes, mais elle était deux fois plus vive que lui. (...)
Essaie plutôt de m’attraper ! - Tu l’auras voulu ! ” rugit le géant. Il se précipita sur elle, épée brandie. Marinette esquiva de justesse, en profita pour lui donner un coup qui l’égratigna légèrement et commença à tourner autour de lui. (...)
Elle exécuta un roulé-boulé sur le côté et se retrouva nez à nez avec un deuxième gaillard, qui la saisit aussitôt par les cheveux et commença à l’immobiliser. Marinette se débattait comme un beau diable, sans parvenir à échapper à l’étreinte du brigand, quand soudain, il lâcha prise en glapissant de douleur, sous l’effet d’une morsure brutale : avec un zèle émouvant, Onyx se livrait à sa distraction favorite… L’adolescente en profita pour se relever et, certaine que son adversaire était occupé avec l’étalon castillan, se rua sur le colosse à toute vitesse. Celui-ci, mâchoires crispées, l’attendait, sa lourde épée prête à entrer dans une danse mortelle. (...)
” A ce moment là, un hennissement sourd et un bruit de chute détourna un infime instant son attention. Pendant ce temps, Camille n’avait pas laissé la possibilité aux autres mercenaires de l’atteindre une nouvelle fois. Un seul mouvement avait suffi pour les mettre tous trois hors d’état de nuire, la gorge tranchée. Elle s’apprêtait à porter secours à l’adolescente, lorsque des applaudissements interrompirent son élan. “ Joli travail, chère cousine ! Je vois que vous n’avez rien perdu de votre vivacité ! (...)
A moins, bien sûr, que vous ne parveniez à le soigner, mais il faudrait faire vite et je doute que vous ayez le temps. - Vous signez là votre arrêt de mort ! ” gronda Camille. “ Mais non ! ” répondit-il. “ Vous ne voulez pas être également responsable du trépas de votre servante, tout de même ! ” Le maître d’armes regarda en direction de Marinette. Celle-ci était maintenue par deux brutes, un couteau passé sous la gorge. Elle avait les pupilles dilatées de terreur. (...)
” riposta-t-il avec un ricanement sinistre. “ Votre naïveté m’étonnera toujours, cousin ! ” termina Camille avec une lueur moqueuse au fond des yeux. Alors elle émit un sifflement aigu. Aussitôt, l’une des brutes qui tenait Marinette beugla comme un supplicié et la lâcha, avant de tomber sur le sol, la cheville déchiquetée par les dents du cheval “ mort ”. Onyx se releva d’un bond, le piétinant à moitié et l’adolescente en profita pour se dégager d’une torsion de bras. “ Alors, pauvre niais, êtes-vous prêt à vous mesurer à moi ? ” railla le maître d’armes, sa rapière et sa main-gauche dans les mains. Avec une grimace de haine, il dégaina une main-gauche et une longue épée au pommeau garni de pointes. (...)
” Il engagèrent le fer, le regard rivé l’un à l’autre, essayant de déterminer quelle serait la prochaine action de l’adversaire. Soudain, Pierre glissa sa lame le long de celle de Camille en se portant en avant. Celle-ci recula simplement et l’écarta d’un battement. Alors le combat commença vraiment. (...)
Ils atteignirent le bas de l’escalier en marbre et sans relâcher la pression qu’il exerçait sur la montaginoise, le duelliste poursuivit : “ Vous avez tué mon père, vous m’avez privé de mes titres, vous avez rendu mon existence misérable… Et vous allez le payer très cher, cousine ! ” Camille para un coup droit, recula sur la première, puis la deuxième marche, toujours harcelée par son adversaire. (...)
Enfin, elle vit une ouverture : elle baissa brusquement sa garde, écarta la lame de Pierre d’un mouvement du poignet et, au moment où, à son tour, il se reculait, déchira entièrement sa chemise, de la seule pointe de sa rapière. “ C’est bien beau d’attaquer, cousin ! ” ironisa-t-elle. “ Encore faut-il réfléchir à ce que l’on fait ! ” Elle lui coupa une manche de chemise. (...)
“ Pourtant, ce n’est pas très difficile, vous savez ! Il suffit d’un peu d’… ” Pierre bondit sur elle, sa dague pointée en avant. Camille sauta sur le perron : “ … astuce, ce dont vous êtes totalement dénué… ” Elle exécuta une magnifique double parade, se fendit, lui égratigna la pointe du nez et termina, redescendant à toute allure l’escalier : “ … et de panache ! ” Son cousin la poursuivit jusque dans l’allée, l’air déterminé et sombre : “ Très bien, madame ! (...)
” Il porta une attaque au couteau et profitant de l’ouverture laissée par la quarte de la jeune femme, lui asséna un violent coup de pommeau à l’épaule. Camille recula sous le choc et la douleur, tandis qu’il avançait sur elle, un rictus cruel aux lèvres. (...)
“ Première leçon ” commença-t-il, “ l’humilité… Deuxième leçon… ” Il porta sa lame au contact et, dans un crissement aigu, effectua un enveloppement. Les deux adversaires se trouvaient à présent au corps-à-corps. Camille esquissa une parade de sa main gauche ; il la bloqua. Leurs yeux se rencontrèrent. La tension entre eux était presque palpable. “ La deuxième leçon ? ” murmura Camille entre ses dents. D’un coup de pied, il la déséquilibra et relâcha aussitôt la pression de sa lame. Camille tomba au sol, parant instinctivement le coup qui s’abattait sur elle. “ La deuxième leçon, je commence juste à vous la donner… - Ah oui ? ” lança Camille en roulant sur le côté. “ Eh bien je me passerai grandement de vos méthodes de lâche et d’assassin… ” Elle se releva et se remit en garde. (...)
Tous ceux que vous aimez… Cette petite fera une très bonne prostituée non ? Après tout, c’est mieux que de mourir ! Quant à votre Gabriel, il ne mettra que peu de temps à s’apercevoir qu’il vaudrait mieux pour lui qu’il quitte la Montaigne. (...)
” Sur ces mots, elle fouetta l’air de son arme et attaqua, en commençant par une feinte à la cuisse, que le traître ne put parer. A présent, c’était elle qui menait la danse. Instinctivement, le dernier homme valide et Marinette s’écartèrent lorsque le duel mena les spadassins près d’eux, fascinés par la virtuosité des deux ennemis Soudain, Camille jura et chancela un court instant Une longue blessure traversait à présent sa poitrine. Sans hésiter, Pierre saisit l’opportunité qui se présentait et lui plongea sa main-gauche dans le flanc, tout en lui portant un second coup à la gorge, sans que Camille ne puisse réagir. “ Bientôt, vous ne serez plus qu’une plaie et vous me supplierez de vous achever ! ” persifla-t-il en rompant. (...)
” Alors s’engagea une série de passes d’armes si rapides que nul ne parvint à les distinguer clairement : Marinette était tellement captivée par le spectacle qu’elle ne se rendit même pas compte que quelqu’un était venu se placer à côté d’elle. (...)
Il avait de plus en plus de peine à parer les fines attaques de la femme blonde et il faisait de plus en plus d’erreurs. Soudain, Camille fit cinq pas en arrière et, après avoir rengainé sa maingauche, se remit en garde, complètement concentrée sur le meurtrier de son frère. (...)
“ Prépare-toi à mourir ! - Mais oui, c’est ça… ” Avec une rapidité foudroyante et une grâce inouïe, Camille exécuta alors une sorte d’entrechat et atterrit en une fente parfaite sur son adversaire, à présent complètement paniqué. “ Et une ! Spécialité de l’école… La ballestra ! ” Elle recula, exécuta quelques moulinets, grava de la pointe de sa rapière, un pendu pour compléter le gibet … “ Et deux ! ” …Trancha la dernière couture qui maintenait ses pantalons…. “ Et trois… ” … Accomplit une feinte d’engagement, suivi d’un enveloppement en septime, passa sa garde sous la lame de son adversaire et, en même temps qu’elle le blessait à la hanche, désarma son cousin et récupéra sa rapière dans la main droite… “ Et quatre ! ” Elle rengaina sa propre lame et pointa la sienne sur sa gorge. “ Je ne vais tout de même pas souiller mon épée avec votre sang ! - Pitié Camille ! Pitié ! ” gémit-il. “ Je vous promets… Je vais disparaître à jamais de votre existence, vous n’entendrez plus parler de moi… - Pitié ? Avez-vous eu pitié de mon frère ? Auriez-vous eu pitié de Gabriel, de Marinette ou de moi-même ? Pas que je sache ! Vous ne valez pas mieux que votre père ! Vous êtes même pire, car vous ne possédez pas une once de son allure et vous avez hérité de ses pires côtés ! Non, je n’ai pas l’intention de vous épargner, mais ce n’est pas moi qui me chargerai de votre exécution. (...)
Instinctivement, elle se retourna. Face à elle, chancelant mais de nouveau sur pied, se tenait James, soutenu par un Gabriel encore mal réveillé, mais assez content de lui. Soudain, elle entendit le sifflement d’une arme que l’on dégaine et vit un éclair se précipiter sur le traître. Avant qu’il ne puisse lui lancer sa dague dans le dos, Marinette avait agi. Il gisait à présent dans une flaque de sang, un couteau planté entre les deux yeux. Hésitante, Camille regarda à nouveau son frère, rencontra son regard émeraude et sourit. Une larme roula doucement sur sa joue. C’était le petit matin, lorsque Marinette arriva pour la seconde fois de sa vie devant les portes de l’école de La pointe au coeur. Mais ce jour-là, elle montait son propre cheval – cadeau de Camille – un magnifique hongre pommelé et portait ses propres vêtements, des pantalons et une chemise dans les tons verts, assortis à ses yeux. Elle leva la tête et lut à mi-voix les mots gravés sur les pierres : “ Ce qui compte, dans un duel, ce n’est pas toujours de gagner, mais c’est… le panache ! ” Au moment où elle franchissait le porche, un rayon de soleil transperça les nuages et les lettres au-dessus d’elle s’illuminèrent d’un éclat doré. Fin