JdRP Conseils MJ : L’angoisse de la feuille blanche
(...) Ou pire, quel meneur n’a jamais ressenti, après des jours voire des semaines d’un labeur exténuant, le sentiment que ce qu’il proposait à ses joueurs était loin de tenir la route ? C’est un lieu commun, mais il faut pourtant le répéter : Maléfices est un jeu de rôle qui a ses exigences. Si vous voulez rester fidèle à l’esprit du jeu, il vous sera difficile de cacher l’indigence d’un scénario par de l’action, du sexe et de superbes effets spéciaux. La réussite de votre partie dépendra grandement de la qualité de l’histoire que vous proposerez à vos joueurs. Je me souviens avoir un jour entendu Michel Gaudo répondre à un joueur qui lui avait demandé comment écrire un scénario : « d’abord, il faut avoir envie de faire quelque chose, il faut une idée ; ensuite, c’est du travail, du travail et du travail… » Cette réplique n’avait rien de provocatrice ; elle définissait pleinement toute la problématique de l’écriture d’un scénario. Au registre des citations, Gabin disait : « pour faire un bon film, il faut une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire. » Et une bonne histoire, justement, ça ne s’improvise pas, ça se travaille… Préparez-vous donc à suer sang et eau au cours de ce long et fastidieux exercice. Attendez-vous à douter - si vous ne doutez pas, c’est très mauvais signe ! Vous connaîtrez l’appréhension, l’angoisse, l’exaspération, le découragement. Mais quand l’oeuvre sera achevée, que de satisfactions ! Et quand vous la ferez jouer pour la première fois, quand enfin ces personnages sortis de votre imagination prendront vie, quand tous les événements fictifs joueront à cache-cache avec la réalité autour de la table de jeu, que de bonheur ! Loin de moi la prétention de vous offrir une méthode infaillible. Ce serait bien présomptueux. (...)
Le scénariste est un rat de bibliothèque, un lecteur invétéré, un cinévore insatiable, un voyageur intrépide, un curieux impénitent et, par-dessus tout, un inlassable rêveur. Notez tout dans un coin de votre tête : une histoire qui vous a passionné, un événement historique intéressant, un paysage pittoresque, une ambiance, un visage, un personnage atypique, une scène de rue, etc. (...)
Ceci dit, ce n’est sans doute pas le meilleur conseil que l’on puisse donner… Ne faites donc pas comme moi : ayez toujours sur vous un petit carnet pour y noter vos idées en vrac, du paragraphe complet à la simple ligne en style télégraphique, vos références bibliographiques, voire vos moyens mnémotechniques personnels, genre « le bistroquet du café du vieux port de Saint-Cyprien-sur-Vermouze », pour vous souvenir d’un lieu, d’une ambiance, d’un personnage ou d’une scène atypique. Apprenez aussi à hiérarchiser vos idées. Une idée peut-être la base de l’intrigue de votre scénario ; une autre ne constituera qu’un décor, une ambiance, un personnage, une note humoristique. Toujours est-il qu’il ne faut rien évacuer de façon prématurée. (...)
Créez dans un coin de votre tête un grenier dans lequel vous entasserez tout ce qui pourra éventuellement vous être utile un jour : contes, légendes, lieux, événements, ambiances, personnages, etc. Quand une idée en particulier vous donnera envie de vous lancer dans l’écriture d’un scénario, vous n’aurez qu’à monter dans ce grenier, prendre tout ce dont vous pourriez avoir besoin et aller les poser sur votre bureau. Bien évidemment, n’omettez pas, une fois votre oeuvre achevée, de monter ranger celles qui vous seront restées sur les bras : ce n’est pas parce qu’une de vos idées n’a pas eu sa place dans un scénario qu’elle est forcément mauvaise. Mais quand l’Idée - celle qui vous lancera dans l’écriture de votre scénario - viendra, comment la reconnaître ? Rassurez-vous et dites-vous que si l’idée n’est pas bonne, vous n’aurez pas vraiment envie d’aller bien loin dans l’élaboration de votre scénario. Il est d’ailleurs vivement déconseillé de s’atteler à la tâche dès qu’une idée pointe son nez. Laissez-la macérer quelques jours voire quelques mois. Si vous avez encore envie de l’exploiter, alors c’est peut-être - et peut-être seulement - qu’elle est intéressante. Car en fait, par nature, une idée ne peut être mauvaise. (...)
C’est pourtant la plus importante. Car c’est sur ces fondations que vous allez construire l’équilibre de tout l’édifice qu’est votre scénario. Une fois que vous tenez votre idée principale, celle qui vous donnera envie de vous lancer, commencez par la soumettre à deux questions fondamentales : « De quoi s’agit-il ? (...)
L’avantage que l’auteur a sur l’élève, c’est qu’il fait à la fois les réponses et les questions. Le tout étant de trouver la réponse qui rendra l’intrigue plus intéressante. Dans un article paru voila bien des années dans JD+, Michel Gaudo proposait un exercice pratique. Sa lecture est vivement recommandée. L’intrigue : A l’issue de ces premières cogitations, vous pourrez commencer à poser l’intrigue sur le papier. Il ne s’agit pas de raconter le scénario tel qu’il va être présenté aux joueurs. Il s’agit simplement de raconter les événements tels qu’ils se déroulent, en remontant aussi loin que possible en amont du scénario, sans tenir compte pour l’instant des personnages. C’est la première base de travail et elle doit être plus élaborée qu’un simple synopsis. Elle ne doit rien avoir de définitive. (...)
Le moment est alors bien choisi pour commencer à faire quelques recherches. Certes on peut considérer qu’un scénario est une fiction et que rien n’oblige l’auteur de s’approcher au plus près de la réalité. Toutefois, ces recherches documentaires ont deux intérêts principaux. (...)
Le premier est qu’elles constituent une aide à votre imagination. Il y a bien longtemps, j’avais commis un scénario se déroulant dans les Highlands écossais. En ce temps là, je ne m’encombrais pas en « d’inutiles » recherches. Quelques années plus tard, mes vacances m’ont conduit sur les lieux même de mon forfait : déception, rien n’était comme je l’avais imaginé ! Le temps de la déception passé, je me suis rendu compte que les lieux étaient en fait beaucoup plus intéressants que ceux que j’avais imaginés… Plus récemment, j’ai eu l’occasion de lire quelques ouvrages sur la paysannerie écossaise de la fin du XIXe siècle, dimension que je n’avais pas envisagée le moins du monde quand j’avais écrit cette histoire. Depuis, j’ai repris très largement ce scénario : mes paysans écossais qui n’étaient, dans la première mouture, que de vagues figurants extraordinairement stéréotypés prennent une dimension qui, au final, enrichit grandement le scénario. Vos recherches vous serviront également à gagner en crédibilité. Ainsi, si vous écrivez, comme je l’ai fait récemment, un scénario se déroulant à Puy-l’Evêque, procurez-vous donc une carte IGN au 25.000. D’une part vous vous épargnez la tâche d’en concevoir une sortie de votre imagination - qui ne pourrait certainement pas receler autant de détails -, d’autre part vous surprendrez certainement vos joueurs si l’un d’eux connaît la région. (...)
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de réunir la documentation d’un doctorant préparant une thèse d’histoire ! Le plus souvent la documentation qui vous sera nécessaire est très facile d’accès. Il est possible que l’idée de départ n’induise pas de situer l’action dans un cadre espace-temps très précis. (...)
Votre documentation pourra vous permettre de préciser ce cadre et de faire des choix. Votre documentation réunie, vous pourrez revenir à votre intrigue, la développer, la corriger et la compléter. L’intrigue est de toute première importance. Vous devez y porter autant de soin que possible. Ce n’est que sur les bonnes intrigues que l’on construit de bons scénarios. Entendons-nous bien sur ce que nous appelons une intrigue dans un scénario de jeu de rôle : il ne s’agit pas de ce que les joueurs vont vivre. Il s’agit de la trame : tout ce qui intéresse le scénario (événements, acteurs, relations, etc.) en remontant aussi largement que nécessaire en amont. Il est inutile de tenir compte pour l’instant des personnages et de l’action qu’ils pourraient avoir sur le cours des événements. Si votre scénario final est correctement charpenté, vos joueurs devraient, au cours de la partie, découvrir des informations qui, au final, devraient leur permettre de reconstituer l’intrigue dans son intégralité (ou presque). Commencez donc à voir comment les joueurs pourront découvrir les différentes informations constituant l’intrigue. Pensez d’ores et déjà à l’effet à produire sur eux, et ne lésinez pas sur la dimension émotionnelle. Attention, une bonne intrigue ne signifie pas forcément une intrigue complexe, bien au contraire ! C’est une erreur que je commettais fréquemment à mes débuts, tant j’étais un inconditionnel des histoires de Sherlock Holmes. Or vos joueurs, aussi brillants puissent-ils être, ne sont pas des Sherlock Holmes. Le but est de leur faire vivre une histoire extraordinaire qui leur laissera d’impérissables souvenirs, et non de les noyer sous d’inextricables énigmes. A l’issue de cette étape, vous devriez avoir une idée plus précise des acteurs principaux de votre scénario, des lieux où il se déroulera. Faire un plan très schématique des lieux vous sera par la suite très utile. Il devrait rester sous vos yeux tout au long de votre travail. Là encore, ce plan ne doit en aucun cas être définitif ; n’hésitez pas à le modifier ultérieurement si vous remarquez une incohérence. Une liste des différents acteurs de l’intrigue (indiquant simplement leur nom, occupation, âge, voire adresse) vous sera également profitable. (...)
Enfin, je vous déconseille vivement de faire l’économie d’une chronologie ; vous avez tellement de choses à penser au cours de l’écriture d’un scénario qu’une erreur de date est vite arrivée - et vos joueurs ne manqueront certainement pas de la remarquer. Le scénario, enfin ! Ce n’est qu’alors que vous pourrez commencer à travailler le scénario proprement dit, à savoir les événements tels qu’ils se présenteront aux joueurs. Huit règles sont impérativement à respecter. Première règle : Maléfices est un jeu d’ambiance. Sachez donc préserver le meilleur pour la fin. C’est ce qu’Hitchcock appelait le climax. Attention, ne tombez pas dans le piège de considérer que le climax doit être la scène la plus spectaculaire. (...)
Un bon climax est un climax qui sait jouer sur l’intensité dramatique. Sachez donc doser et rythmer l’intensité dramatique de votre scénario. Deuxième règle : Maléfices n’est pas un jeu d’enquête, c’est un jeu d’ambiance. Vos joueurs ne sont pas des Sherlock Holmes. Cela ne veut pas dire que le scénario ne doit pas faire travailler leurs méninges, bien au contraire. Sachez cependant que plus l’enquête monopolisera l’attention de vos joueurs, moins leur émotivité sera accessible. Certes un scénario sans enquête pourrait conduire à un désagréable sentiment de rigidité. Il y a là un juste milieu à trouver, et pour cela, il faut… penser en permanence à la troisième règle. (...)
Quand il préparait ses story-boards avec ses scénaristes, une question revenait régulièrement dans la bouche de Hitchcock : « quelle effet voulez-vous que cette scène produise sur le spectateur ? » C’est également ainsi que vous devez vous-même élaborer votre scénario : en pensant continuellement à ce que vos joueurs éprouveront. Ce faisant - et c’est loin d’être négligeable - vous parviendrez le plus souvent à prévoir leurs réactions, et donc en déduire les décisions qu’ils devraient logiquement prendre. (...)
En termes plus techniques, vous pourrez, dans une certaine mesure anticiper voire préparer les interactions entre joueurs et intrigue. Rien n’est plus désagréable que d’être obligé d’improviser au beau milieu d’une partie parce que tel ou tel joueurs aura eu une idée qu’on n’avait pas prévue. (...)
A la fin de la partie, les joueurs devraient normalement avoir eu toutes les informations nécessaires pour reconstituer l’intrigue. Sachez cependant quand et où donner telle ou telle information. N’oubliez pas ce que disait Hitchcock : c’est l’effet à obtenir sur vos joueurs qui doit vous guider. Sixième règle : Pensez votre scénario en termes chronologiques. Vos joueurs doivent rester occupés. Rien n’est pire qu’un joueur qui ne sait plus quoi faire en cours de partie ; neuf fois sur dix, un joueur qui ne sait plus que faire, décide tout de même de faire quelque chose, et souvent n’importe quoi ! D’où l’intérêt de prévoir quelques fausses pistes, histoire de les occuper - ce qui permet qui plus est de rompre avec une linéarité qui sans cela pourrait être trop apparente. (...)
Gare tout de même à ce que ces fausses pistes ne les emmènent pas trop loin ; ce serait un excellent moyen de les faire passer à côté du scénario ! Septième règle : Ayez le souci du détail. C’est généralement le détail qui fait qu’un scénario sort du lot : des personnages soignés, un décor bien planté, etc. Bien sûr le détail ne vient pas forcément au premier jet. (...)
Je vous conseille même de vous en désintéresser dans un premier temps : soyez rapide lors de l’élaboration du plan de votre scénario, puis reprenez-le, une fois, deux fois, trois fois si nécessaire, en détaillant à chaque fois davantage chaque scène, chaque personnage, chaque lieu, chaque événement. Personnellement, je ne me contente jamais de la première mouture d’un scénario qui est le plus souvent beaucoup trop schématique ; je réécris parfois trois ou quatre fois le plan avant de m’en satisfaire. (...)
Huitième règle… … et de loin la plus importante : rien ne doit jamais être définitif. A chaque fois que vous reprenez le plan de votre scénario, n’hésitez pas à en modifier telle ou telle scène, voire à en retirer celles que vous ne sentez pas. (...)
Et cette règle s’applique pour l’ensemble du travail. Rien ne vous interdit, bien au contraire, de modifier votre intrigue dans la dernière phase de votre travail. A titre d’exemple, une question m’a posé de sérieux problèmes lors de l’écriture de mon dernier scénario : mon « méchant » était-il un sadique, un pur criminel ou un pauvre dément ? J’ai changé maintes fois d’avis tout au long de l’écriture du scénario avant d’arrêter mon choix sur ce qui me paraissait donner le plus d’intérêt à l’intrigue. Quelques ficelles... Soigner le commencement : Dans Maléfices, il paraît peu crédible de commercer un scénario dans une taverne où un riche bourgeois proposerait une aventure aux joueurs en échange d’une forte récompense. Il faut d’autant plus soigner le commencement de votre scénario que si vos joueurs veulent rester très cohérents - à savoir jouer réellement des personnages de la Belle Epoque -, ils risquent de ne pas s’embarquer dans une affaire sans un bon motif. Intégrer les personnages dans l’histoire : Le fait de lire dans votre journal local qu’un meurtre a été commis dans votre ville va-t-il vous donner l’irrésistible envie d’enquêter pour essayer de trouver le meurtrier ? Non, certainement pas. Par contre si la victime était votre oncle ou si votre fiancée avait été arrêtée pour ce meurtre - à tort sans doute -, là, je doute que ce fait divers vous laisserait indifférent ! Agissez de la même façon dans vos scénarios. (...)
Certes, vous respecterez le principe de cohérence ; mais surtout vos effets dramatiques devraient être beaucoup plus efficaces si les personnages de vos joueurs se sentent pleinement impliqués dans le scénario. Le montreur d’ombres est à cet égard exemplaire. Le MacGuffin : Hitchcock racontait une histoire très amusante pour définir le MacGuffin. C’est celle d’un homme qui, assis dans un compartiment du Londres-Glasgow, voit un voyageur entrer, portant une valise visiblement très lourde puisqu’il peine à la lever jusqu’au porte-bagages. Notre homme étant un gentleman, il offre immédiatement son aide au voyageur. Et en effet il constate que la valise est abominablement lourde. Si bien que, tout au long du voyage, il n’a de cesse de regarder cette valise, en apparence anodine, et de se demander se qu’elle contient. (...)
Las, après plusieurs heures de voyage, il ose et demande au voyageur ce que contient cette mystérieuse valise. « - Cela ? C’est juste un MacGuffin, répond le voyageur. - Un MacGuffin ? Mais qu’est-ce donc ? - Un MacGuffin est un instrument qui permet d’attraper les lions dans les Highlands. - Mais il n’y a pas de lion dans les Highlands, s’insurge notre homme. - Vraiment ? Alors ce ne doit pas être un MacGuffin... » En clair, un MacGuffin est un élément scénaristique après lequel courent les personnages et dont l’importance justifie tous leurs excès, mais qui n’a aucune importance pour le scénariste. Ce peut être les plans d’une machine infernale, un scientifique enlevé, les bijoux de la Castafiore, voire un fil à couper le beurre révolutionnaire. Le MacGuffin, qui comme dans le Londres-Glasgow va attirer toute l’attention des personnages, n’a aucune importance pour le scénariste en ce sens qu’un MacGuffin est par définition interchangeable. On peut tout à fait écrire tout un scénario et ne décider qu’à la fin quelle est la nature exacte du MacGuffin. Le grand Alfred disait à son sujet : « Mais la chose importante que j’ai apprise cours des années, c’est que le MacGuffin n’est rien. J’en ai la conviction mais je sais par expérience qu’il très difficile d’en persuader les autres. Mon meilleur MacGuffin (et, par meilleur, je veux dire le plus vide, le plus inexistant, le plus dérisoire) est celui de North by Northwest (NDA : La mort aux trousses). C’est un film d’espionnage et la seule question posée par le scénario est : « Que cherchent ces espions ? » Or, au cours de la scène sur le champ d’aviation de Chicago, l’homme de la C. (...)
- Mais qu’est-ce qu’il vend ? - Oh !... juste des secrets du gouvernement ! » Vous voyez que, là, nous avions réduit le MacGuffin à sa plus pure expression : rien. » Ce qui en clair veut dire que l’enjeu est toujours moins important que les personnages de votre intrigue… et que l’intrigue elle-même. Ne tombez pas dans le piège de proposer à vos joueurs de sauver le monde ou de détruire l’Antéchrist ! C’est tout bonnement inutile. Concentrez-vous sur l’essentiel : vos personnages non-joueurs, et sur l’intrigue elle-même. Le fantastique : Maléfices est un jeu qui sent le soufre. Le fantastique y a donc pleinement sa place. Mais qu’est-ce que le fantastique au juste ? (...)
Selon moi, le fantastique n’induit pas forcément la présence du diable ou autre manifestation surnaturelle. Rien ne me paraît aussi peu crédible qu’un scénario de Maléfices où les sorciers apparaissent à tout bout de champ. N’oubliez pas ce que disait Jean Ray, alias le maître de Gand : « Le fantastique n’est pas un procédé, c’est un état d’esprit. » Méditez cette sentence ! Le Chiffon rouge : Une autre ficelle souvent utilisée par Hitchcock. Le chiffon rouge consiste à changer totalement les règles aux cours du récit. On attire les joueurs dans une direction en brandissant un chiffon rouge, et dès qu’ils sont embarqués dans cette histoire, on vire ! Hitchcock l’a magistralement utilisé dans Psychose : on croit qu’il s’agit de la banale histoire d’une jeune femme qui se fait la belle avec un magot, mais à partir de la scène de la douche - soit après vingt minutes de film - on comprend qu’il s’agit de tout autre chose. On trouve le même procédé utilisé de façon encore plus subtile dans Les oiseaux : alors que le sujet du film, par le titre même, ne fait aucun doute, Hitchcock nous montre, pendant une bonne vingtaine de minutes, le jeu de séduction auquel se livrent un homme et une femme qu’en apparence tout oppose. Dans Psychose, le chiffon rouge a pour but d’aboutir à un effet de surprise, tandis que dans Les oiseaux, il s’agit de donner une dimension émotionnelle aux personnages - règle que la plupart des scénaristes de film catastrophe n’utilise que très maladroitement. Le suspense : Le suspense est un moment d’attente angoissée. Dans un jeu de rôle, il est rarement possible de l’employer comme au cinéma. En effet, au cinéma, le suspense sous-entend le plus souvent que le spectateur est en possession d’une information que le personnage n’a pas - d’où l’angoisse naissant quand la main de l’héroïne s’approche lentement de la poignée de la porte derrière laquelle se cache l’assassin ! Mais dans un jeu de rôle, personnages et spectateurs ne font qu’un - sauf exception, mais n’entrons pas trop en avant dans les cas particuliers. Le suspense, dans toutes ses formes, implique une incertitude sur le devenir du personnage - et c’est cette incertitude qui génère l’angoisse. Dans un jeu de rôle, le suspense pourra donc prendre deux autres formes. La première forme, c’est celle de la crainte née de la propre imagination des joueurs, imagination nourrie par l’ambiance des lieux, du moment, etc. Revoyez les scènes au cours desquelles les différents personnages visitent la maison de Norman Bates dans Psychose… Vous avez là une des meilleures utilisations du suspense dans le septième art. Si vous regardez attentivement comment ces scènes sont filmées, vous comprendrez vite que le suspense est essentiellement affaire de meneur de jeu. Encore faut-il que le meneur de jeu ait à sa disposition, dans le scénario, des scènes propices à générer cette crainte. La deuxième forme, c’est celle de l’incertitude d’un devenir sur le long terme. (...)
» Attention toutefois que la situation ne les amènent pas à monopoliser leurs méninges sur cette question ; ils seraient alors moins disponible pour ressentir… C’est au scénario d’apporter des éléments de réponse, soit au compte-goûtes, soit par l’utilisation - avec parcimonie s’il vous plaît - d’un deus ex-machina. (...)
» Les rebondissements : Un rebondissement est un événement nouveau et imprévu qui relance l’action. On peut fort bien s’en passer dans un scénario. Mais il risquerait alors de se transformer en simple enquête, en vaste jeu de piste. Ce n’est pas inintéressant, parfois. Mais comme nous l’avons précédemment dit, Maléfices est un jeu d’ambiance. Et puis n’oublions pas que dans un scénario il y a des personnages non-joueurs. Ils agissent eux aussi, en fonction de l’intrigue, et cela doit être prévu dans le scénario. Prévoyez donc un ou deux rebondissements en les situant à des moments judicieusement choisis pour qu’ils aient une incidence sur l’ambiance - d’où l’intérêt de toujours se mettre à la place des joueurs. Les clichés : Voilà un mot qui a une connotation péjorative… et c’est fort dommage ! (...)
Sachez toutefois apprécier et utiliser avec modération… L’humour : Souvenez-vous la première publicité de Maléfices : un petit diable hilare qui, tel l’oncle Sam, pointait son index vers le public en disant « votre âme nous intéresse ! » Maléfices n’est certes pas un jeu comique. Disons simplement que l’humour y a pleinement sa place. D’autant que le rire est le propre de l’homme ; attendez-vous, donc, à des crises d’hilarité incontrôlées de la part de vos joueurs si vous leur proposez un scénario complet dans une ambiance tendue. Mieux vaut me semble-t-il prévoir quelques « saillies drolatiques » - au sens littéraire du terme, restons corrects ! - à des moments opportuns et soigneusement choisis par vous, histoire de détendre vos joueurs un court instant et éviter des vesses euphoriques intempestives. L’amour : Hitchcock racontait que pour être sûr de ne laisser échapper aucune idée, il avait placé sur sa table de chevet un carnet et un crayon pour y noter celles qui pourraient lui venir nuitamment ; le lendemain il s’aperçut qu’il avait écrit sur son carnet : « homme aime femme ». Ce que je retiens de cette anecdote, c’est que nous tenons-là le point de départ possible de 90% des histoires. (...)
Et c’est dommage, surtout dans un jeu de rôle d’ambiance. Quel meilleur outil que les passions pour jouer sur l’intensité dramatique de votre scénario ? Et quel homme ne se damnerait pas pour l’amour d’une femme ? Préparer une émotion par son contraire : Imaginons que vous soyez fauché et que, alors que vous recevez la visite inopportune de votre percepteur et d’un huissier au sinistre faciès - pléonasme ? (...)
Ces deux exemples montrent que, lorsque vous voulez faire passer une émotion dans une scène, la préparation de la scène compte au moins autant que la scène elle-même. La chute : Pour Claude Seignolle, il n’y a pas de bonne histoire sans une bonne chute. Personnellement, je n’adhère pas entièrement à ces propos, même si je pense qu’une bonne chute peut avoir un effet redoutable. (...)
Une chute est une fin inattendue, qui surprend. Soyons modeste, surprendre est très difficile dans un scénario de jeu de rôle - à moins de faire appel à des artifices tels que l’illogisme, l’absurde, ou du surnaturel à gogo. Donc, si vous choisissez de mettre une chute en fin de scénario, soignez-là : les joueurs aiment les surprises, certes, mais rarement les mauvaises surprises ! (...)
Nous vous proposerons bien sûr sur ce site des conseils pour réaliser des aides de jeu originales et du meilleur effet. La rédaction : Doit-on rédiger son scénario. Peu de scénaristes le font… et c’est un tort ! Rédiger son scénario est sans doute le meilleur moyen de forcer le détail. Cela permet surtout - et c’est loin d’être négligeable - de repérer d’éventuelles incohérences dans le scénario. C’est surtout le moyen de le faire partager. Après que j’eus envoyé mon dernier scénario à Jean-Philippe Palanchini, nous avons échangé pas moins de 28 mails : d’une part il m’a permis de préciser, voire de corriger quelques détails, d’autre part il m’a donné quelques idées qui ont grandement enrichi le scénario final. J’ai également cru comprendre que Jean-Philippe n’a rien contre se mettre régulièrement un nouveau scénario de Maléfices sous la dent ! Enfin, si vous rédigez et faites partager vos oeuvres, vous aurez peut-être le plaisir de vivre une expérience particulièrement intéressante. Il y a quelques années, j’avais eu l’honneur de fournir le scénario inédit de Maléfices pour les rencontres des clubs Pythagore à Provins. C’est ainsi que j’ai eu le plaisir de voir ce scénario joué par d’autres meneurs, dont certains m’ont surpris par leur interprétation des PNJ, leur jeu d’acteur, leurs talents de conteur, par l’ambiance qu’ils faisaient régner autour de leur table. Je puis vous garantir qu’il est ensuite difficile de voir son scénario de la même façon. Alors qu’attendez-vous ? A vos plumes…