JdRP Conseils MJ : Être ou ne pas être Fantastique ?
Sacrée question que se pose Hervé Fontanières, un des « grands anciens », à propos de Maléfices. Mais, au même titre que la fin ne justifie pas toujours les moyens, l’odeur de souffre qui émane de ce jeu peut très bien ne pas provenir des entrailles de l’Enfer. Jean Ray (pour ne citer que lui) l’avait d’ailleurs très bien compris : le Fantastique est un état d’esprit et ne doit jamais être un procédé... Etre ou ne pas être Fantastique ? Maléfices. Pour les fidèles amateurs de ce jeu de rôle, comme pour ceux qui ignorent encore le charme discret du frisson qui passe certains soirs autour de tables dont toutes ne sont pas des guéridons, le mot est évocateur de Fantastique. C’était d’ailleurs bien là le voeu de toute l’équipe de Maléfices : renouer, en cette ère électronique, parée de bits et d’écrans luminescents, avec la douce et étrange chaleur des foyers de bois mort réchauffant le coeur des campagnes françaises, à l’heure où les vieilles gens se souviennent de singulières histoires. Depuis, nous pensons ne pas vous avoir déçus, en vous entraînant, plus que de raison, sur les chemins du surnaturel, en vous contant ces histoires inquiétantes qui, comme nous l’espérons, en font encore frissonner certains. Mais les amateurs de Maléfices savent par expérience qu’une de ces aventures ne débouche pas nécessairement sur le Fantastique. Rappelez-vous « Délivrez-nous du Mal » (N°4) ou « Le dompteur de volcans » (N°5). Si, à certaines tables d’un autre type, le monstre est toujours au rendez-vous, hordes d’humanoïdes sempiternellement prêtes à se faire hacher menu, ignoble méchant invariablement retranché dans son repère inexpugnable et pourtant définitivement destiné à succomber, disons, sans pour autant dénigrer nos chers confrères, qu’il n’en va pas de même pour Maléfices. Dès le début, nous avons renoncé à considérer une aventure de jeu de rôle comme une partie de chasse, où le trophée compte plus que la traque. Ainsi, comme le pêcheur qui rejette à l’eau le brochet qu’il a vaincu après tant de patience et d’efforts, nous privilégions la poursuite à la mise à mort ; même si les méchants finissent par connaître le triste sort qui leur revient, justice oblige. (...)
Ainsi, si vous désirez créer vos propres scénarios deMaléfices et y ménager le suspens, vous aurez intérêt à conserver tout au long de votre aventure, cette part d’ambiguïté et d’incertitude qui font tout le charme et l’intérêt du Fantastique. L’équilibre de l’inquiétude : Contrairement à ce que beaucoup croient, le Fantastique se distingue du « Merveilleux », tout simplement parce que les deux genres ne posent pas leurs bases sur le même monde. Dans le Merveilleux, tout est surnaturel : voler dans les airs, changer le plomb en or, les princes en grenouilles et inversement, voire réveiller les princesses, sont des choses naturelles. Le Fantastique, lui, joue sur le paradoxe. L’histoire fantastique débute dans un monde réel. Ce n’est que par la suite, et progressivement, que l’irréel s’introduit, s’insinue peu à peu dans les pans de ce bel édifice, le fera se lézarder et peut-être s’écrouler. Mais auparavant, l’auteur nous aura plusieurs fois fait douter de nous-mêmes, osciller tour à tour entre explication rationnelle et hypothèse fantastique. Ainsi, le surnaturel n’est pas indispensable au Fantastique. L’idée seule qu’il peut exister suffit à créer la peur. Il peut se contenter de rester dans l’ombre, menaçant, sans que l’on sache, même après le mot « Fin », ce qui s’est véritablement passé, si le réel a véritablement basculé ou si l’on a été abusé par les circonstances ou les apparences. C’est dans ce balancement entre réel et irréel que se situe la clé d’un bon suspense. (...)
Peut-être beaucoup furent, comme moi, secrètement déçus de découvrir, derrière l’image mythique du monstre surnaturel, un simple molosse affublé d’un masque de cuir. Mais nous avons tremblé avec les autres, et c’était le seul souci de Sir Conan Doyle. Ainsi, pour soutenir l’intérêt de vos scénarios de Maléfices, vous devrez jouer sur cette incertitude, en laissant vos joueurs se demander, le plus longtemps possible, si l’aventure qu’il vivent relève ou non du surnaturel. Et ceci vaudra, quel que soit le choix que vous aurez fait a priori : être ou ne pas être fantastique. La Foire aux chimères : Machiavélique personnage ! Ainsi vous avez choisi de mystifier vos joueurs, en les menant sur les chemins de l’illusion ? Pour vous, le Fantastique ne sera qu’un leurre, une diversion qui ne servira qu’à égarer les recherches de vos personnages sur les sentiers de l’étrange, pour une fois stériles. (...)
L’article de Michel Gaudo sur la création d’un scénario , pourra vous aider sur ce point. Cette « illusion » de Fantastique se créera de plusieurs manières. Le hasard peut être le seul « maître » en la matière. En plaçant aux bons endroits et aux bons moments quelques événements fortuits et insolites, vous pourrez créer le doute chez vos joueurs, afin de les envoyer sur une fausse piste. Vous pourrez bien sûr user, à cet effet, de l’inépuisable panoplie du Fantastique qui, bien que du plus pur classique, fait toujours son effet. Quoi de plus inquiétant qu’une lande embrumée parcourue de feux follets pour mettre vos personnages dans l’ambiance, même si la sombre masure qui se profile à travers les squelettes d’arbres dépourvus de feuilles, loin d’être celle de Dracula ou du Docteur Mabuse , n’abrite qu’un couple de fonctionnaires en retraite, assis devant un bon feu ? (...)
Les villageois se sont ensuite mis d’accord, d’une part pour ne plus entretenir de rapports avec l’extérieur, d’autre part pour faire croire à d’éventuels curieux que le village était menacé par les vampires. Double-jeu : Il est également possible d’utiliser le Fantastique, en marge de l’histoire proprement dite, en le faisant intervenir comme simple événement, sans qu’il en soit le ressort principal. (...)
Vous pourrez par exemple intégrer au scénario une scène concernant l’utilisation d’une Table Tournante ou d’un Verre Spirite (pages 86, 87 et 93 du Spécial Sorcellerie, « A la lisière de la nuit »). Les esprits n’étant pas tous chagrins, il sera également possible d’y faire appel en faisant apparaître un ectoplasme (page 94 et 95, « A la lisière de la nuit »), à moins que vous n’utilisiez le Miroir Enchanté (page 98 et 99 du même ouvrage), ou la boussole alphabet pour communiquer à distance (page 100). Quoi qu’il en soit, si vos possibilités sont multiples, il sera toutefois judicieux d’éviter de « parachuter », sans souci de cohérence, des objets ou des sortilèges dans un scénario, sous peine de rater votre effet. Nous vous conseillons plutôt, et cette idée sera développée plus loin, d’intégrer le mieux possible les éléments surnaturels, quitte à développer un « mini-scénario » à l’intérieur de l’histoire principale. Le miroir révélateur : Par trois fois, quelqu’un s’était introduit dans l’église pour la saccager et laisser sur le sol ces traces ignobles. (...)
Cet objet, dont lui seul connaissait les propriétés, pourrait, nous assura-t-il, emmagasiner les images durant la nuit, pour les restituer à volonté (« A la lisière de la nuit » , page 98 et 99). Attention, car il est parfois dangereux de mélanger les genres. Ainsi, si vous donnez trop d’importance à cet « intermède » surnaturel, il risquera de voler la vedette à l’intrigue principale, en lui faisant perdre de son impact. (...)
Mais tous ces écrivains fantastiques utilisent, chacun avec leur talent propre, ce dosage subtil entre le réel et surnaturel, où l’angoisse se devine plus qu’elle ne se montre, où la peur se nourrit avant tout d’inconnu. N’oubliez jamais que le Fantastique n’est pas exactement l’horreur. Dans Maléfices, la peur est moins terreur qu’angoisse, la menace vient d’une ombre, d’un sentiment diffus de danger, d’une porte laissée entrouverte. L’apparition du sorcier, du monstre, voire du diable en personne se prépare. (...)
Nous nous trouvâmes bientôt totalement entourés d’un mur de flammes, quand une voix étonnamment douce nous parvint... Magic-Market : Comme nous l’avons dit plus haut, il faut éviter de plaquer un enduit fantastique sur votre scénario, par exemple en utilisant sans discernement les sorts ou les objets indiqués dans les deux spéciaux déjà parus, « A la lisière de la nuit » et « le Bestiaire » . Ces deux ouvrages sont riches, puisqu’ils vous proposent près de cent sortilèges et objets magiques. Mais il ne s’agit pas d’y puiser à tort et à travers, simplement pour donner à un scénario un ressort qu’il n’a pas. Votre histoire n’aura pas plus d’intérêt si vous offrez à vos personnages la connaissance d’une demi-douzaine de sorts et la possession d’autant d’objets enchantés. Les personnages, du moins tels que nous les concevons, ne participent pas à une aventure pour faire leur marché, même si les sorcières ont le leur (voir le sort « le marché de la sorcière », page 49, « A la lisière de la nuit »). De plus, les sorciers ne tiennent pas boutique comme de vulgaires colporteurs aux coins des rues. Gardez-vous bien de banaliser la magie noire ou blanche en en abusant. Conservez au « Grand Art », le mystère dont il s’entoure lui-même encore aujourd’hui. N’est-ce pas, Judith ? (voir « Les soirs de la magie », pages 3 et 4 d’« A la lisière de la nuit »). Si vous désirez utiliser à bon escient les deux numéros spéciaux de Maléfices nous vous conseillons d’intégrer le plus possible les sorts ou les objets choisis à vos scénarios. Clair de flamme : Le vieil Alfred nous avait pourtant prévenus. Mais aucun de nous ne s’était méfié, lorsque nous avions pénétré dans la pièce, de la lumière blafarde de cette bougie, posée sur la table. (...)
Et il nous fallut attendre encore plusieurs heures, que la bougie ait fini de se consumer, avant de retrouver l’usage de nos membres et de la parole... (Voir « La main de Gloire », « A la lisière de la nuit », page 73). Si l’histoire s’y prête, vous pouvez même imaginer, à l’intérieur de l’intrigue, un mini-scénario, qui pourra consister en une petite quête, visant à trouver un objet indispensable à la poursuite de l’action. Mon royaume pour un bâton : Charles Vernon n’avait jamais pratiqué de rituel de magie, qu’elle fût blanche ou noire. Il était clair, Judith l’avait prévenu sur ce point, qu’il courait un grand risque s’il se lançait dans cette expérience sans aide. Il fallait donc augmenter ses chances de réussite et diminuer les risques d’accident, en trouvant un moyen d’augmenter son contrôle sur le sortilège. Plusieurs choix s’offraient à Charles : Confectionner ou faire confectionner « un pentacle » qui, en tant que support occulte, lui donnerait un bonus de 3 sur son jet (« A la lisière de la nuit » , page 11). Confectionner le « Breuvage de crapaud » (« Bestiaire », page 31). Ceci est plus facile que pour un pentacle, mais ne donne qu’un bonus de 2. Confectionner un « bâton de sorcier », opération longue et difficile, réservée aux sorciers confirmés (Seuil de pratique : 17). Voler le bâton d’un sorcier, ce qui somme toute est à la portée de n’importe qui. Charles Vernon choisira cette dernière « méthode ». Apprenant la présence, au col de la Ferté, d’un vieil homme réputé pour ses relations privilégiées avec les démons, il s’y rendra. Effectivement, l’homme parcourt la montagne à longueur de journée, sans jamais se séparer d’un long bâton de chêne. Ne doutant pas un seul instant qu’il s’agisse de l’objet qu’il cherche, Charles n’hésitera pas à fracasser la tête du vieil homme pour s’emparer du précieux bâton. Comme vous le savez déjà, la sorcellerie est un « art » souvent exigeant quant aux conditions matérielles. Certains sortilèges demandent des ingrédients assez peu courants (c’est le moins qu’on puisse dire, par exemple, pour des écailles de poisson-volant ou une tête de lion !). De plus, la réalisation d’un sort exige parfois de se dérouler à un endroit et à un moment bien précis. Ainsi, vos personnages pourront être obligés d’oublier momentanément l’énigme qui les intéresse, afin de réunir les conditions favorables à la réalisation du sort, ce qui ne sera pas toujours facile ! (...)
Mais qui devait-on sacrifier, sans avoir d’ailleurs la certitude que le maléfice donnerait les effets escomptés ? (Sort « La malédiction de la pieuvre », « Bestiaire » page 76). Réactions en chaîne : A la lecture des numéros spéciaux de Maléfices, vous aurez peut-être remarqué que les sortilèges présentés sont souvent liés les uns aux autres. Il est bien évident qu’un pacte avec le diable ne pourra se réaliser que si l’on est dans un premier temps capable d’évoquer le démon (« A la lisière de la nuit », pages 14 et 15) De même, l’acquisition d’un familier sera impossible si l’on n’a pas au préalable signé de pacte. Comme l’a montré l’exemple de Charles Vernon présenté plus haut, il est bon, lorsqu’on veut lancer un sortilège, d’utiliser un ou plusieurs supports occultes, pour diminuer les risques d’effets incontrôlés. Mais nombreux sont les sortilèges qui peuvent être combinés, augmentant ainsi les chances de réussite facilitant leur réalisation. Par exemple, le sort « Les fers à cheval ( »Bestiaire', page 20) permet de se rendre dans un lieu propice à l’évocation du démon, ce qui bien sûr facilitera ce dernier rituel. Par ailleurs, le sort « Inspirer des sentiments de haine », ne peut être utilisé que les jours d’orage, de grand vent ou de tempête. On pourra remédier à cet inconvénient en maîtrisant également le sort « Contrôler les éléments », qui donne le pouvoir de provoquer à volonté les perturbations atmosphériques désirées, à moins que l’on ne préfère « La conque du Triton » (« Bestiaire », page 69), son équivalent en mer. A vous, en parcourant les deux numéros Hors-Série de Maléfices, d’en découvrir toutes les subtilités, et en créant vos propres scénarios, d’enrichir un jeu qui, comme nous l’espérons, ne cessera de vous dévoiler de nouvelles possibilités et de vous ouvrir des horizons inexplorés... (...)