JdRP Ambiance : Glissement progressif vers l’Irréel...
« Lorsque le vieux monsieur s’éveilla au matin du mardi où commence cette histoire, il faisait gris et triste et rien dans le ciel nuageux ne laissait prévoir que des choses étranges et mystérieuses allaient se produire dans tout le pays » [1] Et pourtant pendant que le vieux monsieur versait un doigt de rhum dans son thé matinal il souriait, car il SAVAIT que dans quelques heures ILS seraient là et que tout pourrait enfin recommencer. Les grimoires allaient s’entrouvrir les formules secrètes des temps anciens s’en échapperaient et seraient à nouveau prononcées dans la langue d’ailleurs, les objets : statuettes, chandeliers, épées seraient disposés à la bonne place, à l’Orient et au Ponant. Et l’herbe des morts, destinée à réveiller les vivants, brûlerait à nouveau dans les cassolettes. Car les Anciens ne meurent jamais complètement et Merlin, vieil avare, ne rend pas si facilement son dernier soupir. (...)
Les badauds, les passants (futurs trépassés), les non-fumeurs, les alcooliques anonymes repentis, les gros fesseurs, les frénétiques du culte, les nouveaux philosophes, les théosophes (ou au jasmin), les téléréaliphobes, les stars et autres jet- setteurs s’agitaient, discouraient, gesticulaient ou tentaient de vendre leur corps, leur esprit, leur âme, à prix fort, en solde, à l’encan ou à la sauvette, peu importe car rien n’entama la bonne humeur de notre vieil ami. Puisqu’il SAVAIT que des choses étranges et mystérieuses allaient se produire dans le pays… Et elles se produisirent…. A minuit bien évidemment car il faut toujours respecter les traditions, et certaines choses n’ont pas le même sens selon qu’elles sont faites ou dites sur la place du marché ou entre les colonnes du temple. A minuit, donc, une imperceptible vibration dans l’air se produisit, une brume s’éleva du sol, le décor se modifia par petites touches. Puis ce fut le silence… Un silence profond. Nous sommes ailleurs, où ? (...)
On distingue nettement maintenant la personne, c’est un vieux monsieur, tout sec, tout vif, l’oeil pétillant de malice, il semble heureux comme un enfant et s’écrie d’une voix joyeuse, s’adressant à notre ami qui se trouve à l’autre bout de la salle : « Et bien mon cher Caton, je suis vraiment heureux de vous retrouver, vous et tous nos amis, car il semblerait que l’on ait encore besoin de nous ; Ah, c’est qu’on ne se passe pas aussi facilement du Club Pythagore…. N’est-ce pas, mes bien aimés frères ?' Un murmure d’approbation et de sympathie parcourt l’assistance, que l’on devine maintenant fort nombreuse. 'Sénèque, mon bon Sénèque, croyez que ce bonheur est entièrement partagé ! réplique Caton, car c’est bien de lui qu’il s’agit. Effectivement je crois que « l’ON » a encore besoin de nous ! Eh bien soit, puisqu’il en est ainsi, je déclare donc qu’à ce jour, les activités du Club Pythagore vont reprendre de façon pleine et entière !' Ce soir-là, au Palais Royal, d’un pas rapide un homme traverse la place. Il hèle un cab et s’engouffre en vitesse à l’intérieur, le visage dissimulé dans les plis de sa cape. « Tout va donc recommencer grommelle-t-il furieux, les cloportes émergent de leur sommeil, nous allons donc les combattre sans pitié et les renvoyer définitivement dans les ténèbres ». Il donne une adresse au cocher puis s’enfonce dans les coussins de la voiture et, fermant les yeux, semble se livrer à quelque sombre méditation. On arrive enfin à destination après avoir traversé tout Paris. Le cocher tend la main pour toucher le prix de sa course. Un sourire sur les lèvres, l’homme s’en saisit l’attire vers lui et avec une précision diabolique lui plonge un style en plein coeur. La mort est instantanée. L’homme à la cape descend sans se presser du cab et, sifflotant gaiement, disparaît dans un dédale de petites rues sordides. (...)