Natis, la cité pensive
Contient : nécropole (9)(...) Car pour se rendre à Natis, il faut suivre une des trois Passes. Ces allées en surplomb traversent Tanis, lanécropole: pâle étendue lissée par les brises où s'élève une foule de colonnes, de mausolées presqu'enfouis. (...)
C'est à peine si on y voit, de temps à autre, un vieillard en habit de deuil observer d'un balcon s'ébattre les oiseaux. De ce côté, la Passe est écroulée, et lanécropolemême, à cet endroit surnommée Mort-Basse, paraît un peu plus désolée qu'ailleurs. On n'y trouve que de vieux chats, presque chauves et immobiles, qui se font chauffer au sommet de trognons de piliers. (...)
Les cris des charognards, qui tournoient autour des terrasses où les défunts couverts de fleurs sont exposés aux oiseaux, se mêlent aux musiques nomades, les gémissements des tortils et le cristal des gazus. Lanécropolequi cerne Natis de ses foules de morts pèse dans le quotidien de la ville. Car Tanis est peuplée elle aussi, de gens que les Natiséens regardent comme morts, mais qui sont, pour les étrangers incrédules et les esprits forts, bien vivants. (...)
Lorsque le nom est consumé, le condamné est conduit au sommet de l'escalier usé qui descend du château jusqu'à lanécropole, à l'extérieur des remparts. Dans le plus grand silence, la porte est refermée : abandonné à Tanis, le condamné, désormais un mort anonyme, est considéré par tous comme bel et bien défunt. (...)
On ne trouve pas seulement des condamnés à mort, mais aussi des suicidés, et de petits Morts-nés descendants de Morts. On trouve aussi les malheureux qui ont foulé le sol de lanécropoleou touché un Mort : on attrappe la mort très facilement à Tanis, il suffit de quitter les Passes pour être banni du monde des vivants. Les tombes de chats abondent, et les chats morts sont très nombreux dans lanécropole, dès la nuit tombée. Un iconoclaste pourrait prétendre que rien ne différencie un chat de Natis d'un chat de Tanis, qui sont souvent les mêmes - mais les Natiséens comme les Morts de Tanis sont convaincus que chats morts et chats vifs sont soigneusement répartis entre les deux cités. (...)
Pour en goûter la douce amertume, il faut avoir vu son hôte natiséen, au terme d'un repas riche et enjoué, aller sur le balcon, le fameux sourire triste de Natis aux lèvres, et faire remarquer à quel point les colonnes ensablées qui émergent du coeur de lanécropoleévoquent, à s'y tromper, les fiers minarets du Palais de l'émir... Le pays des Morts : On ne sort pas facilement de Tanis. (...)
Mais s'il y a castes, il y a forcément des marginaux - et ceux-là doivent sûrement avoir des contacts illicites avec Natis, et peut-être connaîtrent un moyen de quitter lanécropole. Il suffit qu'ils fréquentent quelque temps les lémures : certains quartiers de lanécropolesont peuplés de ces Morts sans sépulture, société étrange de Morts sans conviction, trop philosophes ou simplement privés d'occupation digne d'un Mort. Ceux-là se livrent à toutes sortes d'activités peu funèbres : ils vivent d'amour et de feu follet (un vin fait les Dragons savent comment), jouent aux osselets, font de la musique, réinventent de nouvelles danses macabres, parlent de la vie et se racontent des histoires de Goules. (...)Pour peu qu'il y passe une semaine, le voyageur, même le moins poète, ne tarde pas à sentir d'étranges nostalgies. Natis... Naguère l'orgueilleuse capitale d'un royaume chevauchant en maître Ménuzith, la Coralie et la Corbuzée, Natis n'est plus que l'ombre d'elle-même. Ses fiefs méridionaux ont été balayés comme châteaux de cartes par l'immense Urbis, les royaumes guerriers du Gandusran lui ont brisé les reins, la diplomatie vénéneuse de Zardonica a assoupi son cœur et l'a enchaîné... Les marchands ...