Le Caillou
Ce scénario a pour principale particularité de ne pas en être un. Il n'est pas construit suivant une succession d'évènements, de personnages et de lieux avec un début, une fin et une motivation. C'est l'histoire d'un cauchemar, monstrueux car absurde en apparence, lentement invoqué jusqu'à poursuivre sans relâche le Voyageur qui en est victime. Le cauchemar n'apparaît que progressivement, et n'est discerné comme tel que vers la fin : les Voyageurs continuent à suivre leur chemin, c'est-à-dire font ...Contient : puits (20)(...) Pour voyager, il faut compter sur l'eau tiédie portée par les mules, maigres à faire pleurer, et sur les rarespuitsnon asséchés de l'ancienne route du nord. Les plaines gisent, grises, craquelées, crevassées, laissées comme mortes après le mirage de l'aurore et de la rosée. (...)
Aux heures chaudes, tout paraît aller mieux : les Voyageurs trouvent, pour se mettre à l'ombre, les ruines d'un hameau près d'unpuitsmort depuis longtemps. La chasse est bonne : au lieu d'ignobles lézards et d'oiseaux saoulés de soleil, elle offre un klampin égaré, assez gras pour faire fête. (...)
Il faut que ce Voyageur-là - c'est-à-dire le joueur - crie, gesticule, s'arrache les cheveux, piétine son chapeau, et tape dans un caillou. Qui roule dans lepuits. Le Voyage continue : Les Voyageurs vont-ils réussir à capturer une tournepierre pour cent sols ? (...)
Anecdotes, évènements, souvenirs, aventures... De quoi enterrer dans les mémoires la quête idiote de la pierre qui tourne, à plus forte raison l'incident du klampin rôti volé par les Chafouins - et, encore plus profondément, lepuits, et le caillou. C'est tout. L'essentiel est que le coup de pied ait été mentionné et, autant que possible, qu'il vienne du joueur - ou du moins qu'il ait été admis dans la logique de l'humeur noire du Voyageur. (...)
Pourtant, à ce moment, il faut qu'il se souvienne du lointain incident de voyage, de sa colère et du coup du pied, du caillou projeté dans un sinistrepuits. Cela devrait ressurgir, même si le Gardien des Rêves doit aider un peu : le Voyageur peut faire des songes récurrents, inspirés par les cailloux, où il revoit son acte. Soit. Il a jeté un caillou dans unpuits. Et alors ? Il y a plein de cailloux au fond despuits. Ils ne se noient pas. D'ailleurs, cepuits-là était sec. Pour un caillou, être au sommet d'une montagne, dans le fond d'une crevasse ou la bouche d'un orateur, de l'estomac d'une zyglute, sous le soc d'une charrue ou d'un sabot de cheval, quelle différence ? Alors pourquoi tous les cailloux se formaliseraient-ils soudain qu'un des leurs soit au fond d'unpuitssec ? Peut-être qu'il s'est brisé dans sa chute. Et après ? C'est le destin d'un caillou que de se multiplier jusqu'à n'être que poussière, ou de s'agréger en roche. (...)
... De ces réflexions, on peut en tirer deux conclusions : ou ce cauchemar est absurde ; ou la vérité est dans le fonds de cepuits. La seconde conclusion conduit au moyen de mettre fin au cauchemar. Le retour à Jurneboule : Si on leur avait dit un jour qu'ils devraient retourner dans la désolation de Jurneboule, les Voyageurs auraient ri. (...)
Il peut même être compliqué si les Voyageurs ont franchi depuis une ou plusieurs déchirures de rêve : une bonne connaissance des passages est alors nécessaire, et les Voyageurs peuvent avoir besoin des services d'un Algorifmus (le voyageur interonirique du Parfum d'Oniroses, de Denis Gerfaud, 'Miroir des Terres Médianes' n°7 ou 'Trois Reflets d'anciens Rêves') ou d'un haut-rêvant mythique comme le Passeur, maître de cent déchirures. Les Voyageurs ont toutes les raisons d'appréhender la marche jusqu'aupuits, à travers la désolation, toute faite de roche, et sans abri. Mais pour peu que le donneur de coups de pied malencontreux soit avec eux, il ne se produit aucune attaque de pierres tant qu'ils vont vers lepuitsabandonné. Rien n'a changé. Les Chafouins ne se montrent pas. Au centre de l'ancienne place, jonchée de cailloux et de toutes sortes de débris de pierre qui sommeillent, s'ouvre la gueule dupuits. Nulle part : Tant de journées de danger ont dû affiner le sens de la paranoïa des Voyageurs. Ils devraient craindre un piège tendu par les cailloux. Ils ont raison... Il n'est pas difficile de descendre dans lepuits(AGILITE / Escalade à 0) sur les six premiers mètres, bien qu'il soit trop étroit pour que plus d'un Voyageur y descende à la fois. Lepuitsest bien sec, et fragilisé par le temps : VUE / Maçonnerie à -1 permet de juger qu'il faudrait peu de chose pour qu'il s'effondre. (...)
Sinon, il faut attendre que la faille s'interrompe, et éclairer sous soi pour réaliser où l'on est parvenu : à portée de main s'étend le brouillard glacé et indicible des Limbes (Livre III p.16)... La présence si proche du néant permet enfin de comprendre : le caillou, jeté au fond dupuits, a rebondi et disparu dans les Limbes. Il est mort pour les siens, par la faute du Voyageur. Ils ne pardonnent pas. Tap-tap-tap. A-ssa-ssin. Un grondement du coeur de la pierre emplit lepuits. Les cailloux et les pierres tombent, le défont. Si le Voyageur ne parvient pas à s'arracher aupuitsrapidement, il risque d'être précipité à son tour dans les Limbes, ou enterré vivant. Si c'était le Voyageur coupable qui était descendu dans lepuits, il risque de subir le même sort que son caillou. Sinon, à l'extérieur, une tornade de pierres se déchaîne contre lui. (...)
Bien sûr, ce doit être exactement le même caillou : pour cela, il suffit d'en avoir un souvenir exact, en pratiquant un rituel de CONJURATION DE L'OUBLI sur le 'meurtrier'. Le geste réparateur est lui aussi évident. Le Voyageur criminel doit se rendre près dupuits, là où il se trouvait quand il était en colère (l'oubli a été levé magiquement), le caillou nouveau-né en main. (...)