Voyage au Centre de la Terre
sur Les Ludopathes
Contient : hans (168)(...) C'était un fermier qui n'avait ni à semer ni à couper sa moisson, mais à la récolter seulement. Ce personnage grave, flegmatique et silencieux, se nommaitHansBjelke ; il venait à la recommandation de M. Fridriksson. C'était notre futur guide. Ses manières contrastaient singulièrement avec celles de mon oncle. (...)
Ni l'un ni l'autre ne regardaient au prix ; l'un prêt à accepter ce qu'on lui offrait, l'autre prêt à donner ce qui lui serait demandé. Jamais marché ne fut plus facile à conclure. Or, des conventions il résulta queHanss'engageait à nous conduire au village de Stapi, situé sur la côte méridionale de la 3 Nom donné aux golfes étroits dans les pays scandinaves. (...)
Quatre chevaux devaient être mis à sa disposition, deux pour le porter, lui et moi, deux autres destinés à nos bagages.Hans, suivant son habitude, irait à pied. Il connaissait parfaitement cette partie de la côte, et il promit de prendre par le plus court. (...)
Mon oncle voulut remettre au chasseur les arrhes du marché, mais celui-ci refusa d'un seul mot. « Efter, fit-il. - Après », me dit le professeur pour mon édification.Hans, le traité conclu, se retira tout d'une pièce. « Un fameux homme, s'écria mon oncle, mais il ne s'attend guère au merveilleux rôle que l'avenir lui réserve de jouer. (...)
A cinq heures du matin, le hennissement de quatre chevaux qui piaffaient sous ma fenêtre me réveilla. Je m'habillai à la hâte et je descendis dans la rue. Là,Hansachevait de charger nos bagages sans se remuer, pour ainsi dire. Cependant il opérait avec une adresse peu commune. (...)
Donc, ce qu'il y a de bon à prendre de cette expédition, prenons-le, et sans marchander ! » Ce raisonnement à peine achevé, nous avions quitté Reykjawik.Hansmarchait en tête, d'un pas rapide, égal et continu. Les deux chevaux chargés de nos bagages le suivaient, sans qu'il fût nécessaire de les diriger. (...)
Les géographes l'ont divisée en quatre quartiers, et nous avions à traverser presque obliquement celui qui porte le nom de Pays du quart du Sud-Ouest, « Sudvestr Fjordùngr. »Hans, en laissant Reykjawik, avait immédiatement suivi les bords de la mer. Nous traversions de maigres pâturages qui se donnaient bien du mal pour être verts ; le jaune réussissait mieux. (...)
n'offrait rien de remarquable. Quelques maisons seulement. A peine de quoi faire un hameau de l'Allemagne.Hanss'y arrêta une demi-heure ; il partagea notre frugal déjeuner, répondit par oui et par non aux questions de mon oncle sur la nature de la route, et lorsqu'on lui demanda en quel endroit il comptait passer la nuit : « Gardär » dit-il seulement. (...)
s'écria le cavalier, subitement transformé en piéton et honteux comme un officier de cavalerie qui passerait fantassin. - Färja, fit le guide en lui touchant l'épaule. - Quoi ! un bac ? - Der, réponditHansen montrant un bateau. 6 Huit lieues. - Oui, m'écriai-je, il y a un bac. - Il fallait donc le dire ! (...)
- Il dit marée, répondit mon oncle en me traduisant le mot danois. - Sans doute, il faut attendre la marée ? - Förbida ? demanda mon oncle. - Ja », réponditHans. Mon oncle frappa du pied, tandis que les chevaux se dirigeaient vers le bac. Je compris parfaitement la nécessité d'attendre un certain instant de la marée pour entreprendre la traversée du fjord, celui où la mer, arrivée à sa plus grande hauteur, est étale. (...)
En ce moment rentra le chasseur, qui venait de pourvoir à la nourriture des chevaux, c'est-à-dire qu'il les avait économiquement lâchés à travers champs ; les pauvres bêtes devaient se contenter de brouter la mousse rare des rochers, quelques fucus peu nourrissants, et le lendemain elles ne manqueraient pas de venir d'elles-mêmes reprendre le travail de la veille. « Saellvertu », fitHansen entrant. Puis tranquillement, automatiquement, sans qu'un baiser fût plus accentué que l'autre, il embrassa l'hôte, l'hôtesse et leurs dixneuf enfants. (...)
Le lendemain, à cinq heures, nous faisions nos adieux au paysan islandais ; mon oncle eut beaucoup de peine à lui faire accepter une rémunération convenable, etHansdonna le signal du départ. A cent pas de Gardär, le terrain commença à changer d'aspect ; le sol devint marécageux et moins favorable à la marche. (...)
La malheureuse créature ne venait pas tendre sa main déformée ; elle se sauvait, au contraire, mais pas si vite queHansne l'eût saluée du « saellvertu » habituel. « Spetelsk », disait-il. - Un lépreux ! » répétait mon oncle. (...)
Le samedi 20 juin, à six heures du soir, nous atteignions Büdir, bourgade située sur le bord de la mer, et le guide réclamait sa paye convenue. Mon oncle régla avec lui. Ce fut la famille même deHans, c'est-à-dire ses oncles et cousins germains, qui nous offrit l'hospitalité ; nous fûmes bien reçus, et sans abuser des bontés de ces braves gens, je me serais volontiers refait chez eux des fatigues du voyage. (...)
Quelques tronçons de basalte, arrachés par les fureurs de l'Océan, s'allongeaient sur le sol comme les débris d'un temple antique, ruines éternellement jeunes, sur lesquelles passaient les siècles sans les entamer. Telle était la dernière étape de notre voyage terrestre.Hansnous y avait conduits avec intelligence, et je me rassurais un peu en songeant qu'il devait nous accompagner encore. (...)
« Saelvertu, lui dit le chasseur. - God dag, répondit le maréchal-ferrant en parfait danois. - Kyrkoherde, fitHansen se retournant vers mon oncle. - Le recteur ! répéta ce dernier. Il paraît, Axel, que ce brave homme est le recteur. (...)
Il ne regardait pas à ses fatigues et résolut d'aller passer quelques jours dans la montagne. Les préparatifs de départ furent donc faits dès le lendemain de notre arrivée à Stapi.Hansloua les services de trois Islandais pour remplacer les chevaux dans le transport des bagages ; mais, une fois arrivés au fond du cratère, ces indigènes devaient rebrousser chemin et nous abandonner à nous-mêmes. (...)
A cette occasion, mon oncle dut apprendre au chasseur que son intention était de poursuivre la reconnaissance du volcan jusqu'à ses dernières limites.Hansse contenta d'incliner la tête. Aller là ou ailleurs, s'enfoncer dans les entrailles de son île ou la parcourir, il n'y voyait aucune différence ; quant à moi, distrait jusqu'alors par les incidents du voyage, j'avais un peu oublié l'avenir, mais maintenant je sentais l'émotion me reprendre de plus belle. (...)
Je passai la nuit suivante en plein cauchemar au milieu d'un volcan et des profondeurs de la terre, je me sentis lancé dans les espaces planétaires sous la forme de roche éruptive. Le lendemain, 23 juin,Hansnous attendait avec ses compagnons chargés des vivres, des outils et des instruments. Deux bâtons ferrés, deux fusils, deux cartouchières, étaient réservés à mon oncle et à moi.Hans, en homme de précaution, avait ajouté à nos bagages une outre pleine qui, jointe à nos gourdes, nous assurait de l'eau pour huit jours. (...)
Un homme qui partait pour le centre de la terre ne regardait pas à quelques rixdales. Ce point réglé,Hansdonna le signal du départ, et quelques instants après nous avions quitté Stapi. XV Le Sneffels est haut de cinq mille pieds ; il termine, par son double cône, une bande trachytique qui se détache du système orographique de l'île. (...)
La route devenait de plus en plus difficile ; le sol montait ; les éclats de roches s'ébranlaient, et il fallait la plus scrupuleuse attention pour éviter des chutes dangereuses.Hanss'avançait tranquillement comme sur un terrain uni ; parfois il disparaissait derrière les grands blocs, et nous le perdions de vue momentanément ; alors un sifflement aigu, échappé de ses lèvres, indiquait la direction à suivre. (...)
Précaution bonne en soi, mais que les événements futurs rendirent inutile. Trois fatigantes heures de marche nous avaient amenés seulement à la base de la montagne. Là,Hansfit signe de s'arrêter, et un déjeuner sommaire fut partagé entre tous. Mon oncle mangeait les morceaux doubles pour aller plus vite. (...)
Il fit donc signe au chasseur, qui secoua la tête en disant : « Ofvanför. - Il paraît qu'il faut aller plus haut », dit mon oncle. Puis il demanda àHansle motif de sa réponse. « Mistour, répondit le guide. - Ja, mistour, répéta l'un des Islandais d'un ton effrayé. (...)
« Hastigt, hastigt », s'écria notre guide. Sans savoir le danois, je compris qu'il nous fallait suivreHansau plus vite. Celui-ci commença à tourner le cône du cratère, mais en biaisant, de manière à faciliter la marche. (...)
Nous étions, heureusement, sur le versant opposé et à l'abri de tout danger ; sans la précaution du guide, nos corps déchiquetés, réduits en poussière, fussent retombés au loin comme le produit de quelque météore inconnu. CependantHansne jugea pas prudent de passer la nuit sur les flancs du cône. Nous continuâmes notre ascension en zigzag ; les quinze cents pieds qui restaient à franchir prirent près de cinq heures ; les détours, les biais et contremarches mesuraient trois lieues au moins. (...)
Mes regards éblouis se baignaient dans la transparente irradiation des rayons solaires, j'oubliais qui j'étais, où j'étais, pour vivre de la vie des elfes ou des sylphes, imaginaires habitants de la mythologie scandinave ; je m'enivrais de la volupté des hauteurs, sans songer aux abîmes dans lesquels ma destinée allait me plonger avant peu. Mais je fus ramené au sentiment de la réalité par l'arrivée du professeur et deHans, qui me rejoignirent au sommet du pic. Mon oncle, se tournant vers l'ouest, m'indiqua de la main une légère vapeur, une brume, une apparence de terre qui dominait la ligne des flots. (...)
Mais cela importe peu. Nous sommes au sommet du Sneffels ; voici deux pics, l'un au sud, l'autre au nord.Hansva nous dire de quel nom les Islandais appellent celui qui nous porte en ce moment. » La demande formulée, le chasseur répondit : « Scartaris. (...)
« Descendre dans un tromblon, pensai-je, quand il est peutêtre chargé et qu'il peut partir au moindre choc, c'est oeuvre de fous. » Mais je n'avais pas à reculer.Hans, d'un air indifférent, reprit la tête de la troupe. Je le suivis sans mot dire. Afin de faciliter la descente,Hansdécrivait à l'intérieur du cône des ellipses très allongées ; il fallait marcher au milieu des roches éruptives, dont quelques-unes, ébranlées dans leurs alvéoles, se précipitaient en rebondissant jusqu'au fond de l'abîme. Leur chute déterminait des réverbérations d'échos d'une étrange sonorité. Certaines parties du cône formaient des glaciers intérieurs.Hansne s'avançait alors qu'avec une extrême précaution, sondant le sol de son bâton ferré pour y découvrir les crevasses. (...)
Le professeur Lidenbrock, lui, avait fait un examen rapide de leur disposition ; il était haletant ; il courait de l'une à l'autre, gesticulant et lançant des paroles incompréhensibles.Hanset ses compagnons, assis sur des morceaux de lave, le regardaient faire ; ils le prenaient évidemment pour un fou. (...)
Il était dans la pose d'un homme stupéfait, mais dont la stupéfaction fit bientôt place à une joie insensée. « Axel ! Axel ! s'écria-t-il, viens ! viens ! » J'accourus. NiHansni les Islandais ne bougèrent. « Regarde », me dit le professeur. Et, partageant sa stupéfaction, sinon sa joie, je lus sur la face occidentale du bloc, en caractères runiques à demi-rongés par le temps, ce nom mille fois maudit : « Arne Saknussemm ! (...)
Combien de temps demeurai-je ainsi plongé dans mes réflexions, je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est qu'en relevant la tête je vis mon oncle etHansseuls au fond du cratère. Les Islandais avaient été congédiés, et maintenant ils redescendaient les pentes extérieures du Sneffels pour regagner Stapi.Hansdormait tranquillement au pied d'un roc, dans une coulée de lave où il s'était fait un lit improvisé ; mon oncle tournait au fond du cratère, comme une bête sauvage dans la fosse d'un trappeur. (...)
Je renonce à peindre l'impuissante colère du professeur Lidenbrock. La journée se passa, et aucune ombre ne vint s'allonger sur le fond du cratère.Hansne bougea pas de sa place ; il devait pourtant se demander ce que nous attendions, s'il se demandait quelque chose ! (...)
Ses regards, invariablement tournés vers le ciel, se perdaient dans sa teinte grise et brumeuse. Le 26, rien encore, une pluie mêlée de neige tomba pendant toute la journée.Hansconstruisit une hutte avec des morceaux de lave. Je pris un certain plaisir à suivre de l'oeil les milliers de cascades improvisées sur les flancs du cône, et dont chaque pierre accroissait l'assourdissant murmure. (...)
« C'est là ! s'écria le professeur, c'est là ! Au centre du globe ! » ajouta-t-il en danois. Je regardaiHans. « Forüt ! fit tranquillement le guide. - En avant ! » répondit mon oncle. Il était une heure et treize minutes du soir. (...)
Je pouvais encore ou prendre mon parti de l'entreprise ou refuser de la tenter. Mais j'eus honte de reculer devant le chasseur.Hansacceptait si tranquillement l'aventure, avec une telle indifférence, une si parfaite insouciance de tout danger, que je rougis à l'idée d'être moins brave que lui. (...)
Rien de plus capiteux que cette attraction de l'abîme. J'allais tomber. Une main me retint. Celle deHans. Décidément, je n'avais pas pris assez de « leçons de gouffre » à la Frelsers-Kirk de Copenhague. (...)
« Maintenant, dit mon oncle après avoir achevé ces préparatifs, occupons-nous des bagages ; ils vont être divisés en trois paquets, et chacun de nous en attachera un sur son dos ; j'entends parler seulement des objets fragiles. » L'audacieux professeur ne nous comprenait évidemment pas dans cette dernière catégorie. «Hans, reprit-il, va se charger des outils et d'une partie des vivres ; toi, Axel, d'un second tiers des vivres et des armes ; moi, du reste des vivres et des instruments délicats. (...)
- Tu vas le voir. » Mon oncle employait volontiers les grands moyens et sans hésiter. Sur son ordre,Hansréunit en un seul colis les objets non fragiles, et ce paquet, solidement cordé, fut tout bonnement précipité dans le gouffre. (...)
» Je demande à tout homme de bonne foi s'il était possible d'entendre sans frissonner de telles paroles ! Le professeur attacha sur son dos le paquet des instruments ;Hansprit celui des outils, moi celui des armes. La descente commença dans l'ordre suivant :Hans, mon oncle et moi. Elle se fit dans un profond silence, troublé seulement par la chute des débris de roc qui se précipitaient dans l'abîme. (...)
Je m'en servais le moins possible, opérant des miracles d'équilibre sur les saillies de lave que mon pied cherchait à saisir comme une main. Lorsqu'une de ces marches glissantes venait à s'ébranler sous le pas deHans, il disait de sa voix tranquille : « Gif akt ! - Attention ! » répétait mon oncle. Après une demi-heure, nous étions arrivés sur la surface d'un roc fortement engagé dans la paroi de la cheminée.Hanstira la corde par l'un de ses bouts ; l'autre s'éleva dans l'air ; après avoir dépassé le rocher supérieur, il retomba en raclant les morceaux de pierres et de laves, sorte de pluie, ou mieux, de grêle fort dangereuse. (...)
Quant à la profondeur à laquelle nous étions parvenus, ces quatorze manoeuvres d'une corde de deux cents pieds donnaient deux mille huit cents pieds. En ce moment la voix deHansse fit entendre : « Halt ! » dit-il. Je m'arrêtai court au moment où j'allais heurter de mes pieds la tête de mon oncle. (...)
Où est le paquet qui nous a précédés dans l'intérieur de la montagne ? » Je me souvins alors que nous l'avions vainement cherché la veille au soir. Mon oncle interrogeaHans, qui, après avoir regardé attentivement avec ses yeux de chasseur, répondit : « Der huppe ! - Là-haut. (...)
» Cela dit, mon oncle prit d'une main l'appareil de Ruhmkorff suspendu à son cou ; de l'autre, il mit en communication le courant électrique avec le serpentin de la lanterne, et une assez vive lumière dissipa les ténèbres de la galerie.Hansportait le second appareil, qui fut également mis en activité. Cette ingénieuse application de l'électricité nous permettait d'aller longtemps en créant un jour artificiel, même au milieu des gaz les plus inflammables. « En route ! » fit mon oncle. Chacun reprit son ballot.Hansse chargea de pousser devant lui le paquet des cordages et des habits, et, moi troisième, nous entrâmes dans la galerie. (...)
Le professeur mesurait exactement les angles de déviation et d'inclinaison de la route, mais il gardait pour lui le résultat de ses observations. Le soir, vers huit heures, il donna le signal d'arrêt.Hansaussitôt s'assit ; les lampes furent accrochées à une saillie de lave. Nous étions dans une sorte de caverne où l'air ne manquait pas. (...)
Une descente de sept heures consécutives ne se fait pas sans une grande dépense de forces. J'étais épuisé. Le mot halte me fit donc plaisir à entendre.Hansétala quelques provisions sur un bloc de lave, et chacun mangea avec appétit. Cependant une chose m'inquiétait ; notre réserve d'eau était à demi consommée. (...)
Nous suivions toujours la galerie de lave, véritable rampe naturelle, douce comme ces plans inclinés qui remplacent encore l'escalier dans les vieilles maisons. Ce fut ainsi jusqu'à midi dixsept minutes, instant précis où nous rejoignîmesHans, qui venait de s'arrêter. « Ah ! s'écria mon oncle, nous sommes parvenus à l'extrémité de la cheminée. (...)
Je vis bien que son silence n'était que de la mauvaise humeur concentrée. Cependant j'avais repris mon fardeau avec courage, et je suivais rapidementHans, que précédait mon oncle. Je tenais à ne pas être distancé ; ma grande préoccupation était de ne point perdre mes compagnons de vue. (...)
Pendant toute la journée du lendemain la galerie déroula devant nos pas ses interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme deHansnous gagnait. La route ne montait pas, du moins d'une façon sensible. Parfois même elle semblait s'incliner. (...)
Mais que ce soit ou non l'ouvrage de la nature, cela m'importe peu. L'heure du souper est venue. Soupons. »Hans, prépara quelques aliments. Je mangeai à peine, et je bus les quelques gouttes d'eau qui formaient ma ration. (...)
Je ne m'appesantirai pas sur les souffrances de notre retour. Mon oncle les supporta avec la colère d'un homme qui ne se sent pas le plus fort ;Hansavec la résignation de sa nature pacifique ; moi, je l'avoue, me plaignant et me désespérant ; je ne pouvais avoir de coeur contre cette mauvaise fortune. (...)
Enfin, le mardi, 8 juillet, en nous traînant sur les genoux, sur les mains, nous arrivâmes à demi morts au point de jonction des deux galeries. Là je demeurai comme une masse inerte, étendu sur le sol de lave. Il était dix heures du matin.Hanset mon oncle, accotés à la paroi, essayèrent de grignoter quelques morceaux de biscuit. De longs gémissements s'échappaient de mes lèvres tuméfiées. (...)
Jamais ! - Alors il faut se résigner à périr ? - Non, Axel, non ! pars. Je ne veux pas ta mort ! QueHanst'accompagne. Laisse-moi seul ! - Vous abandonner ! - Laisse-moi, te dis-je ! J'ai commencé ce voyage ; je l'accomplirai jusqu'au bout, ou je n'en reviendrai pas. (...)
Nos gestes indiquaient assez la voie différente où chacun de nous essayait d'entraîner l'autre ; maisHanssemblait s'intéresser peu à la question dans laquelle son existence se trouvait en jeu, prêt à partir si l'on donnait le signal du départ, prêt à rester à la moindre volonté de son maître. (...)
A nous deux nous aurions peut-être convaincu l'entêté professeur. Au besoin, nous l'aurions contraint à regagner les hauteurs du Sneffels ! Je m'approchai deHans. Je mis ma main sur la sienne. Il ne bougea pas. Je lui montrai la route du cratère. Il demeura immobile. (...)
non, il n'est pas le maître de ta vie ! il faut fuir ! il faut l'entraîner ! m'entends-tu ! me comprends-tu ? » J'avais saisiHanspar le bras. Je voulais l'obliger à se lever. Je luttais avec lui. Mon oncle intervint. « Du calme, Axel, dit-il. (...)
Vous n'avez plus que quelques heures à tenter le sort. En route ! » XXII La descente recommença cette fois par la nouvelle galerie.Hansmarchait en avant, selon son habitude. Nous n'avions pas fait cent pas, que le professeur, promenant sa lampe le long des murailles, s'écriait : « Voilà les terrains primitifs ! (...)
Je regardai plus attentivement, et il me sembla voir l'Islandais qui disparaissait, la lampe à la main. Pourquoi ce départ ?Hansnous abandonnait-il ? Mon oncle dormait. Je voulus crier. Ma voix ne put trouver passage entre mes lèvres desséchées. L'obscurité était devenue profonde, et les derniers bruits venaient de s'éteindre. «Hansnous abandonne ! m'écriai-je.Hans!Hans! » Ces mots, je les criais en moi-même. Ils n'allaient pas plus loin. Cependant, après le premier instant de terreur, j'eus honte de mes soupçons contre un homme dont la conduite n'avait rien eu jusque-là de suspect. Son départ ne pouvait être une fuite. (...)
De mauvais desseins l'eussent entraîné en haut, non en bas. Ce raisonnement me calma un peu, et je revins à un autre d'ordre d'idées.Hans, cet homme paisible, un motif grave avait pu seul l'arracher à son repos. Allait-il donc à la découverte ? (...)
Je crus que j'allais devenir fou ! Mais enfin un bruit de pas se produisit dans les profondeurs du gouffre.Hansremontait. La lumière incertaine commençait à glisser sur les parois, puis elle déboucha par l'orifice du couloir.Hansparut. Il s'approcha de mon oncle, lui mit la main sur l'épaule et l'éveilla doucement. Mon oncle se leva. (...)
m'écriai-je en battant des mains, en gesticulant comme un insensé. - De l'eau ! répétait mon oncle. Hvar ? demanda-t-il à l'Islandais. - Nedat », réponditHans. Où ? En bas ! Je comprenais tout. J'avais saisi les mains du chasseur, et je les pressais, tandis qu'il me regardait avec calme. (...)
Pendant cette première demi-heure de marche, ne rencontrant point la source annoncée, je sentais les angoisses me reprendre ; mais alors mon oncle m'apprit l'origine des bruits qui se produisaient. «Hansne s'est pas trompé, dit-il, ce que tu entends là, c'est le mugissement d'un torrent. - Un torrent ? (...)
Bientôt même il fut constant que, si notre marche continuait, nous nous éloignerions du torrent dont le murmure tendait à diminuer. On rebroussa chemin.Hanss'arrêta à l'endroit précis où le torrent semblait être le plus rapproché. Je m'assis près de la muraille, tandis que les eaux couraient à deux pieds de moi avec une violence extrême. (...)
Sans réfléchir, sans me demander si quelque moyen n'existait pas de se procurer cette eau, je me laissai aller à un premier moment de désespoir.Hansme regarda et je crus voir un sourire apparaître sur ses lèvres. Il se leva et prit la lampe. Je le suivis. (...)
Mais il fallut bien le comprendre et l'applaudir, et le presser de mes caresses, quand je le vis saisir son pic pour attaquer la roche elle-même. « Sauvés ! m'écriai-je. - Oui, répétait mon oncle avec frénésie,Hansa raison ! Ah ! le brave chasseur ! Nous n'aurions pas trouvé cela ! » Je le crois bien ! Un pareil moyen, quelque simple qu'il fût, ne nous serait pas venu à l'esprit. (...)
Ces dangers n'avaient rien de chimérique ; mais alors les craintes d'éboulement ou d'inondation ne pouvaient nous arrêter, et notre soif était si intense que, pour l'apaiser, nous eussions creusé au lit même de l'Océan.Hansse mit à ce travail, que ni mon oncle ni moi nous n'eussions accompli. L'impatience emportant notre main, la roche eût volé en éclats sous ses coups précipités. (...)
J'eus de la peine à l'arrêter, et déjà il saisissait son pic, quand soudain un sifflement se fit entendre. Un jet d'eau s'élança de la muraille et vint se briser sur la paroi opposée.Hans, à demi renversé par le choc, ne put retenir un cri de douleur. Je compris pourquoi lorsque, plongeant mes mains dans le jet liquide, je poussai à mon tour une violente exclamation. (...)
- Je le crois bien, une eau puisée à deux lieues sous terre ! Elle a un goût d'encre qui n'a rien de désagréable. Une fameuse ressource queHansnous a procurée là ! Aussi je propose de donner son nom à ce ruisseau salutaire. - Bien ! » m'écriai-je. Et le nom de «Hans-bach » fut aussitôt adopté.Hansn'en fut pas plus fier. Après s'être modérément rafraîchi, il s'accota dans un coin avec son calme accoutumé. « Maintenant, dis-je, il ne faudrait pas laisser perdre cette eau. (...)
remplissons l'outre et les gourdes, puis nous essayerons de boucher l'ouverture. » Mon conseil fut suivi.Hans, au moyen d'éclats de granit et d'étoupe, essaya d'obstruer l'entaille faite à la paroi. Ce ne fut pas chose facile. (...)
Je me sentais tout ragaillardi et décidé à aller loin. Pourquoi un homme convaincu comme mon oncle ne réussirait-il pas, avec un guide industrieux commeHans, et un neveu « déterminé » comme moi ? Voilà les belles idées qui se glissaient dans mon cerveau ! (...)
« Voilà qui nous mènera loin, s'écria-t-il, et facilement, car les saillies du roc font un véritable escalier ! » Les cordes furent disposées parHansde manière à prévenir tout accident. La descente commença. Je n'ose l'appeler périlleuse, car j'étais déjà familiarisé avec ce genre d'exercice. (...)
On s'asseyait alors sur quelque saillie, les jambes pendantes, on causait en mangeant, et l'on se désaltérait au ruisseau. Il va sans dire que, dans cette faille, leHans-bach s'était fait cascade au détriment de son volume ; mais il suffisait et au delà à étancher notre soif ; d'ailleurs, avec les déclivités moins accusées, il ne pouvait manquer de reprendre son cours paisible. (...)
Quatre jours plus tard, le samedi 18 juillet, le soir, nous arrivâmes à une espèce de grotte assez vaste ; mon oncle remit àHansses trois rixdales hebdomadaires, et il fut décidé que le lendemain serait un jour de repos. XXV Je me réveillai donc, le dimanche matin, sans cette préoccupation habituelle d'un départ immédiat. (...)
Le reste de la journée se passa en calculs et en conversation. Je fus toujours de l'avis du professeur Lidenbrock, et j'enviai la parfaite indifférence deHans, qui, sans chercher les effets et les causes, s'en allait aveuglément où le menait la destinée. (...)
Par certaines journées, on gagnait une lieue et demie à deux lieues vers le centre. Descentes périlleuses, pendant lesquelles l'adresse deHanset son merveilleux sang-froid nous furent très utiles. Cet impassible Islandais se dévouait avec un incompréhensible sans-façon, et, grâce à lui, plus d'un mauvais pas fut franchi dont nous ne serions pas sortis seuls. (...)
Tout à coup, en me retournant, je m'aperçus que j'étais seul. « Bon, pensai-je, j'ai marché trop vite, ou bienHanset mon oncle se sont arrêtés en route. Allons, il faut les rejoindre. Heureusement le chemin ne monte pas sensiblement. (...)
D'ailleurs, pour associer ces idées si simples, et les réunir sous forme de raisonnement, je dus employer un temps fort long. Un doute me prit alors. Etais-je bien en avant ? Certes.Hansme suivait, précédant mon oncle. Il s'était même arrêté pendant quelques instants pour rattacher ses bagages sur son épaule. (...)
Avant de remonter, je pensai qu'une ablution me ferait quelque bien. Je me baissai donc pour plonger mon front dans l'eau duHans-bach ! Que l'on juge de ma stupéfaction ! Je foulais un granit sec et raboteux ! Le ruisseau ne coulait plus à mes pieds ! (...)
Ainsi, au moment où mon premier pas s'engagea dans la route imprudente, je ne remarquai point cette absence du ruisseau. Il est évident qu'à ce moment, une bifurcation de la galerie s'ouvrit devant moi, tandis que leHans-bach obéissant aux caprices d'une autre pente, s'en allait avec mes compagnons vers des profondeurs inconnues ! (...)
Comment n'y avais-je pas songé plus tôt ! Il y avait évidemment là une chance de salut. Le plus pressé était donc de retrouver le cours duHans-bach. Je me levai et, m'appuyant sur mon bâton ferré, je remontai la galerie. La pente en était assez raide. (...)
Le mot « förlorad » était plusieurs fois répété, et avec un accent de douleur. Que signifiait-il ? Qui le prononçait ? Mon oncle ouHans, évidemment. Mais si je les entendais, ils pouvaient donc m'entendre. « A moi ! criai-je de toutes mes forces, à moi ! (...)
Impossible de te trouver. Ah ! je t'ai bien pleuré, mon enfant ! Enfin, te supposant toujours sur le chemin duHans-bach, nous sommes redescendus en tirant des coups de fusil. Maintenant, si nos voix peuvent se réunir, pur effet d'acoustique ! (...)
Mais il fallait de telles épreuves pour provoquer chez le professeur un pareil épanchement. En ce momentHansarriva. Il vit ma main dans celle de mon oncle ; j'ose affirmer que ses yeux exprimèrent un vif contentement. « God dag, dit-il. - Bonjour,Hans, bonjour, murmurai-je. Et maintenant, mon oncle, apprenez-moi où nous sommes en ce moment ? - Demain, Axel, demain ; aujourd'hui tu es encore trop faible ; j'ai entouré ta tête de compresses qu'il ne faut pas déranger ; dors donc, mon garçon, et demain tu sauras tout. (...)
- Mais oui, dis-je en me redressant sur les couvertures. - Cela devait être, car tu as tranquillement dormi.Hanset moi, nous t'avons veillé tour à tour, et nous avons vu ta guérison faire des progrès sensibles. (...)
- En effet, je me sens ragaillardi, et la preuve, c'est que je ferai honneur au déjeuner que vous voudrez bien me servir ! - Tu mangeras, mon garçon ! La fièvre t'a quitté.Hansa frotté tes plaies avec je ne sais quel onguent dont les Islandais ont le secret, et elles se sont cicatrisées à merveille. (...)
Quelques légères vapeurs, sautant d'un roc à l'autre, marquaient la place des sources chaudes, et des ruisseaux coulaient doucement vers le bassin commun, en cherchant dans les pentes l'occasion de murmurer plus agréablement. Parmi ces ruisseaux, je reconnus notre fidèle compagnon de route, leHans-bach, qui venait se perdre tranquillement dans la mer, comme s'il n'eût jamais fait autre chose depuis le commencement du monde. (...)
Je pensai qu'un bain me serait très salutaire, et j'allai me plonger pendant quelques minutes dans les eaux de cette Méditerranée. Ce nom, à coup sûr, elle le méritait entre tous. Je revins déjeuner avec un bel appétit.Hanss'entendait à cuisiner notre petit menu ; il avait de l'eau et du feu à sa disposition, de sorte qu'il put varier un peu notre ordinaire. (...)
Un radeau est aussi impossible à construire qu'un navire, et je ne vois pas trop... - Tu ne vois pas, Axel, mais, si tu écoutais, tu pourrais entendre ! - Entendre ! - Oui, certains coups de marteau qui t'apprendraient queHansest déjà à l'oeuvre. - Il construit un radeau ? - Oui. - Comment ! il a déjà fait tomber dès arbres sous sa hache ? (...)
» Après un quart d'heure de marche, de l'autre côté du promontoire qui formait le petit port naturel, j'aperçusHansau travail. Quelques pas encore, et je fus près de lui. A ma grande surprise, un radeau à demi terminé s'étendait sur le sable ; il était fait de poutres d'un bois particulier, et un grand nombre de madriers, de courbes, de couples de toute espèce, jonchaient littéralement le sol. (...)
Les vivres, les bagages, les instruments, les armes et une notable quantité d'eau douce se trouvaient en place.Hansavait installé un gouvernail qui lui permettait de diriger son appareil flottant. Il se mit à la barre. (...)
Après le souper je m'étendis au pied du mât, et je ne tardai pas à m'endormir au milieu d'indolentes rêveries.Hans, immobile au gouvernail, laissait courir le radeau, qui, d'ailleurs, poussé vent arrière, ne demandait même pas à être dirigé. (...)
Beau temps, c'est-à-dire que les nuages sont fort élevés, peu épais et baignés dans une atmosphère blanche, comme serait de l'argent en fusion. Thermomètre : +32° C. A midiHansprépare un hameçon à l'extrémité d'une corde. Il l'amorce avec un petit morceau de viande et le jette à la mer. (...)
Pendant deux heures il ne prend rien. Ces eaux sont donc inhabitées ? Non. Une secousse se produit.Hanstire sa ligne et ramène un poisson qui se débat vigoureusement. « Un poisson ! s'écrie mon oncle. (...)
« Prends garde, Axel, tu vas tomber à la mer ! » En même temps, je me sens saisir vigoureusement par la main deHans. Sans lui, sous l'empire de mon rêve, je me précipitais dans les flots. « Est-ce qu'il devient fou ? (...)
» Je me le tiens pour dit, et je laisse le professeur se ronger les lèvres d'impatience. A six heures du soir,Hansréclame sa paye, et ses trois rixdales lui sont comptés. Dimanche 16 août. - Rien de nouveau. Même temps. (...)
Il attache un des plus lourds pics à l'extrémité d'une corde qu'il laisse filer de deux cents brasses. Pas de fond. Nous avons beaucoup de peine à ramener notre sonde. Quand le pic est remonté à bord,Hansme fait remarquer à sa surface des empreintes fortement accusées. On dirait que ce morceau de fer a été vigoureusement serré entre deux corps durs. (...)
- Le soir arrive, ou plutôt le moment où le sommeil alourdit nos paupières, car la nuit manque à cet océan, et l'implacable lumière fatigue obstinément nos yeux, comme si nous naviguions sous le soleil des mers arctiques.Hansest à la barre. Pendant son quart je m'endors. Deux heures après, une secousse épouvantable me réveille. (...)
Le radeau a été soulevé hors des flots avec une indescriptible puissance et rejeté à vingt toises de là. « Qu'y a-t-il ? s'écria mon oncle. Avons-nous touché ? »Hansmontre du doigt, à une distance de deux cents toises, une masse noirâtre qui s'élève et s'abaisse tour à tour. (...)
Ils ont des dimensions surnaturelles, et le moindre d'entre eux briserait le radeau d'un coup de dent.Hansveut mettre la barre au vent, afin de fuir ce voisinage dangereux ; mais il aperçoit sur l'autre bord d'autres ennemis non moins redoutables : une tortue large de quarante pieds, et un serpent long de trente, qui darde sa tête énorme au-dessus des flots. (...)
D'un côté le crocodile, de l'autre le serpent. Le reste du troupeau marin a disparu. Je vais faire feu.Hansm'arrête d'un signe. Les deux monstres passent à cinquante toises du radeau, se précipitent l'un sur l'autre, et leur fureur les empêche de nous apercevoir. (...)
- L'autre, c'est un serpent caché dans la carapace d'une tortue, le terrible ennemi du premier, le plesiosaurus ! »Hansa dit vrai. Deux monstres seulement troublent ainsi la surface de la mer, et j'ai devant les yeux deux reptiles des océans primitifs. (...)
- Heureusement le vent, qui souffle avec force, nous a permis de fuir rapidement le théâtre du combat.Hansest toujours au gouvernail. Mon oncle, tiré de ses absorbantes idées par les incidents de ce combat, retombe dans son impatiente contemplation de la mer. (...)
C'est un mugissement continu. « Il y a au loin, dit le professeur, quelque rocher, ou quelque îlot sur lequel la mer se brise. »Hansse hisse au sommet du mât, mais ne signale aucun écueil. L'océan est uni jusqu'à sa ligne d'horizon. (...)
Je consulte le courant. Il est nul. Une bouteille vide que je jette à la mer reste sous le vent. Vers quatre heures,Hansse lève, se cramponne au mât et monte à son extrémité. De là son regard parcourt l'arc de cercle que l'océan décrit devant le radeau et s'arrête à un point. (...)
Sa figure n'exprime aucune surprise, mais son poil est devenu fixe. « Il a vu quelque chose, dit mon oncle. - Je le crois. »Hansredescend, puis il étend son bras vers le sud en disant : « Der nere ! - Là-bas ? » répond mon oncle. (...)
- Alors mettons le cap plus à l'ouest, car nous savons à quoi nous en tenir sur le danger de rencontrer ces monstres antédiluviens ! - Laissons aller », répond mon oncle. Je me retourne versHans.Hansmaintient sa barre avec une inflexible rigueur. Cependant, si de la distance qui nous sépare de cet animal, et qu'il faut estimer à douze lieues au moins, on peut apercevoir la colonne d'eau chassée par ses évents, il doit être d'une taille surnaturelle. Fuir serait se conformer aux lois de la plus vulgaire prudence. (...)
Je couperai, s'il le faut, la drisse de la voile ! Je me révolte contre le professeur, qui ne me répond pas. Tout à coupHansse lève, et montrant du doigt le point menaçant : « Holme ! dit-il. - Une île ! s'écrie mon oncle. (...)
- Evidemment, répond le professeur en poussant un vaste éclat de rire. - Mais cette colonne d'eau ? - Geyser, faitHans. - Eh ! sans doute, geyser ! riposte mon oncle, un geyser pareil à ceux de l'Islande10 ! » Je ne veux pas, d'abord, m'être trompé si grossièrement. (...)
« Accostons », dit le professeur. Mais il faut éviter avec soin cette trombe d'eau qui coulerait le radeau en un instant.Hans, manoeuvrant adroitement, nous amène à l'extrémité de l'îlot. Je saute sur le roc. Mon oncle me suit lestement, tandis que le chasseur demeure à son poste, comme un homme au-dessus de ces étonnements. (...)
Je remarque que son jet est irrégulier dans ses accès, qu'il diminue parfois d'intensité, puis reprend avec une nouvelle vigueur, ce que j'attribue aux variations de pression des vapeurs accumulées dans son réservoir. Enfin nous partons en contournant les roches très accores du sud.Hansa profité de cette halte pour remettre le radeau en état. Mais avant de déborder je fais quelques observations pour calculer la distance parcourue, et je les note sur mon journal. (...)
Il s'est fortement cramponné à un bout de câble et paraît considérer avec plaisir ce spectacle des éléments déchaînés.Hansne bouge pas. Ses longs cheveux, repoussés par l'ouragan et ramenés sur sa face immobile, lui donnent une étrange physionomie, car chacune de leurs extrémités est hérissée de petites aigrettes lumineuses. (...)
« La voile ! la voile ! dis-je, en faisant signe de l'abaisser. - Non ! répond mon oncle. - Nej », faitHansen remuant doucement la tête. Cependant la pluie forme une cataracte mugissante devant cet horizon vers lequel nous courons en insensés. (...)
Pourquoi l'état de cette atmosphère si dense, une fois modifié, ne serait-il pas définitif ? Nous sommes brisés de fatigue.Hanscomme à l'ordinaire. Le radeau court invariablement vers le sud-est. Nous avons fait plus de deux cents lieues depuis l'îlot Axel. (...)
Elle vient ici, là, monte sur un des bâtis du radeau, saute sur le sac aux provisions, redescend légèrement, bondit, effleure la caisse à poudre. Horreur ! Nous allons sauter ! Non ! Le disque éblouissant s'écarte ; il s'approche deHans, qui le regarde fixement ; de mon oncle, qui se précipite à genoux pour l'éviter ; de moi, pâle et frissonnant sous l'éclat de la lumière et de la chaleur ; il pirouette près de mon pied, que j'essaie de retirer. (...)
nous sommes couverts par des jets de flammes ! Puis tout s'éteint. J'ai eu le temps de voir mon oncle étendu sur le radeau,Hanstoujours à sa barre et « crachant du feu » sous l'influence de l'électricité qui le pénètre ! Où allons-nous ? (...)
Je me sentis précipité dans les flots, et si j'échappai à la mort, si mon corps ne fut pas déchiré sur les rocs aigus, c'est que le bras vigoureux deHansme retira de l'abîme. Le courageux Islandais me transporta hors de la portée des vagues, sur un sable brûlant où je me trouvai côte à côte avec mon oncle. (...)
Cependant une pluie diluvienne continuait à tomber, mais avec ce redoublement qui annonce la fin des orages. Quelques rocs superposés nous offrirent un abri contre les torrents du ciel.Hansprépara des aliments auxquels je ne pus toucher, et chacun de nous, épuisé par les veilles de trois nuits, tomba dans un douloureux sommeil. (...)
- Mais les provisions, en reste-t-il assez pour accomplir toutes ces grandes choses ? - Oui, certes.Hansest un garçon habile, et je suis sûr qu'il a sauvé la plus grande partie de la cargaison. Allons nous en assurer, d'ailleurs. (...)
J'avais un espoir qui était en même temps une crainte ; il me semblait impossible que le terrible abordage du radeau n'eût pas anéanti tout ce qu'il portait. Je me trompais. A mon arrivée sur le rivage, j'aperçusHansau milieu d'une foule d'objets rangés avec ordre. Mon oncle lui serra la main avec un vif sentiment de reconnaissance. (...)
« Maintenant, dit-il, nous allons refaire notre provision d'eau avec la pluie que l'orage a versée dans tous ces bassins de granit ; par conséquent, nous n'avons pas à craindre d'être pris par la soif. Quant au radeau, je vais recommander àHansde le réparer de son mieux, quoiqu'il ne doive plus nous servir, j'imagine ! - Comment cela ? m'écriai-je. (...)
- Bon, il est facile de s'en assurer en consultant la boussole. Allons consulter la boussole ! » Le professeur se dirigea vers le rocher sur lequelHansavait déposé les instruments. Il était gai, allègre, il se frottait les mains, il prenait des poses ! (...)
Telle fut sa réponse. J'eus beau faire, supplier, m'emporter, je me heurtai à une volonté plus dure que le granit.Hansachevait en ce moment de réparer le radeau. On eût dit que cet être bizarre devinait les projets de mon oncle. (...)
L'atmosphère était assez pure et le vent du nord-ouest tenait bon. Que pouvais-je faire ? Résister seul contre deux ? Impossible. Si encoreHansse fût joint à moi. Mais non ! Il semblait que l'Islandais eût mis de côté toute volonté personnelle et fait voeu d'abnégation. (...)
Rien de plus raisonnable dès lors que d'examiner avec soin les environs de ce nouvel atterrissage. « Allons à la découverte ! » dis-je. Et, laissantHansà ses occupations, nous voilà partis. L'espace compris entre les relais de la mer et le pied des contreforts était fort large. (...)
Des ruisseaux et des cascades tombaient par centaines des saillies de rocs, je croyais revoir la couche de surtarbrandur, notre fidèleHans-bach et la grotte où j'étais revenu à la vie. Puis, quelques pas plus loin, la disposition des contre-forts, l'apparition d'un ruisseau, le profil surprenant d'un rocher venaient me rejeter dans le doute. (...)
- Il est difficile de se prononcer, car tous ces rochers se ressemblent. Il me semble pourtant reconnaître le promontoire au pied duquelHansa construit son embarcation. Nous devons être près du petit port, si même ce n'est pas ici, ajoutai-je, en examinant une crique que je crus reconnaître. (...)
- Voilà qui est particulier ! - Mais non, c'est bien simple, Axel. Les Islandais ont souvent des armes de ce genre, etHans, à qui celle-ci appartient, l'aura perdue... » Je secouai la tête.Hansn'avait jamais eu ce poignard en sa possession. « Est-ce donc l'arme de quelque guerrier antédiluvien, m'écriai-je, d'un homme vivant, d'un contemporain de ce gigantesque berger ? (...)
Je m'élançais déjà vers la sombre galerie, quand le professeur m'arrêta, et lui, l'homme des emportements, il me conseilla la patience et le sang-froid. « Retournons d'abord versHans, dit-il, et ramenons le radeau à cette place. » J'obéis à cet ordre, non sans peine, et je me glissai rapidement au milieu des roches du rivage. (...)
Tout était préparé pour un départ immédiat. Pas un colis qui ne fût embarqué. Nous prîmes place sur le radeau, et la voile hissée,Hansse dirigea en suivant la côte vers le cap Saknussemm. Le vent n'était pas favorable à un genre d'embarcation qui ne pouvait tenir le plus près. (...)
J'éprouvai un vif désappointement, et je ne voulais pas admettre la réalité de l'obstacle. Je me baissai. Je regardai au-dessous du bloc. Nul interstice. Au-dessus. Même barrière de granit.Hansporta la lumière de la lampe sur tous les points de la paroi ; mais celle-ci n'offrait aucune solution de continuité. (...)
minons, et faisons sauter l'obstacle ! - La poudre ! - Oui ! il ne s'agit que d'un bout de roc à briser ! -Hans, à l'ouvrage ! » s'écria mon oncle. L'Islandais retourna au radeau, et revint bientôt avec un pic dont il se servit pour creuser un fourneau de mine. (...)
Il s'agissait de faire un trou assez considérable pour contenir cinquante livres de fulmicoton, dont la puissance expansive est quatre fois plus grande que celle de la poudre à canon. J'étais dans une prodigieuse surexcitation d'esprit. Pendant queHanstravaillait, j'aidai activement mon oncle à préparer une longue mèche faite avec de la poudre mouillée et renfermée dans un boyau de toile. (...)
» Je plongeai rapidement dans la flamme la mèche, qui pétilla à son contact, et, tout en courant, je revins au rivage. « Embarque, fit mon oncle, et débordons. »Hans, d'une vigoureuse poussée, nous rejeta en mer. Le radeau s'éloigna d'une vingtaine de toises. C'était un moment palpitant. (...)
Allumer une torche dans ces conditions était donc impossible, et notre dernier appareil électrique avait été brisé au moment de l'explosion. Je fus donc fort surpris de voir une lumière briller tout à coup près de moi. La figure calme deHanss'éclaira. L'adroit chasseur était parvenu à allumer la lanterne, et, bien que sa flamme vacillât à s'éteindre, elle jeta quelques lueurs dans l'épouvantable obscurité. (...)
Nous tombions. J'avais en moi l'impression d'une chute presque verticale. La main de mon oncle et celle deHans, cramponnées à mes bras, me retenaient avec vigueur. Tout à coup, après un temps inappréciable, je ressentis comme un choc ; le radeau n'avait pas heurté un corps dur, mais il s'était subitement arrêté dans sa chute. (...)
Je me noyais... Cependant, cette inondation soudaine ne dura pas. En quelques secondes je me trouvai à l'air libre que j'aspirai à pleins poumons. Mon oncle etHansme serraient le bras à le briser, et le radeau nous portait encore tous les trois. XLII Je suppose qu'il devait être alors dix heures du soir. (...)
» J'étendis le bras ; je touchai la muraille ; ma main fut mise en sang. Nous remontions avec une extrême rapidité. « La torche ! la torche ! » s'écria le professeur.Hans, non sans difficultés, parvint à l'allumer, et la flamme, se maintenant de bas en haut, malgré le mouvement ascensionnel, jeta assez de clarté pour éclairer toute la scène. (...)
Ce que je n'avais pas voulu avouer, il fallait enfin le dire : « Manger ? répétai-je. - Oui, sans retard. » Le professeur ajouta quelques mots en danois.Hanssecoua la tête. « Quoi ! s'écria mon oncle, nos provisions sont perdues ? - Oui, voilà ce qui reste de vivres ! (...)
Le professeur mangea avidement, avec une sorte d'emportement fébrile ; moi, sans plaisir, malgré ma faim, et presque avec dégoût ;Hans, tranquillement, modérément, mâchant sans bruit de petites bouchées et les savourant avec le calme d'un homme que les soucis de l'avenir ne pouvaient inquiéter. (...)
Il avait, en furetant bien, retrouvé une gourde à demi pleine de genièvre ; il nous l'offrit, et cette bienfaisante liqueur eut la force de me ranimer un peu. « Förträfflig ! ditHansen buvant à son tour. - Excellente ! » riposta mon oncle. J'avais repris quelque espoir. Mais notre dernier repas venait d'être achevé. (...)
Aussi, au sortir d'un long jeûne, quelques bouchées de biscuit et de viande triomphèrent de nos douleurs passées. Cependant, après ce repas, chacun se laissa aller à ses réflexions. A quoi songeaitHans, cet homme de l'extrême occident, que dominait la résignation fataliste des Orientaux ? Pour mon compte, mes pensées n'étaient faites que de souvenirs, et ceux-ci me ramenaient à la surface de ce globe que je n'aurais jamais dû quitter. (...)
Je ne pouvais la comparer qu'à la chaleur renvoyée par les fourneaux d'une fonderie à l'heure des coulées. Peu à peu,Hans, mon oncle et moi, nous avions dû quitter nos vestes et nos gilets ; le moindre vêtement devenait une cause de malaise, pour ne pas dire de souffrances. (...)
Mon imagination surexcitée se promenait sur les plaines de neige des contrées arctiques, et j'aspirais au moment où je me roulerais sur les tapis glacés du pôle ! Peu à peu, d'ailleurs, ma tête, brisée par ces secousses réitérées, se perdit. Sans les bras deHans, plus d'une fois je me serais brisé le crâne contre la paroi de granit. Je n'ai donc conservé aucun souvenir précis de ce qui se passa pendant les heures suivantes. (...)
Un ouragan qu'on eût dit chassé d'un ventilateur immense activait les feux souterrains. Une dernière fois, la figure deHansm'apparut dans un reflet d'incendie, et je n'eus plus d'autre sentiment que cette épouvante sinistre des condamnés attachés à la bouche d'un canon, au moment où le coup part et disperse leurs membres dans les airs. (...)
Je me vis couché sur le versant d'une montagne, à deux pas d'un gouffre dans lequel le moindre mouvement m'eût précipité.Hansm'avait sauvé de la mort, pendant que je roulais sur les flancs du cratère. « Où sommes-nous ? » demanda mon oncle, qui me parut fort irrité d'être revenu sur terre. Le chasseur leva les épaules en signe d'ignorance. « En Islande ? dis-je. - Nej, répondisHans. - Comment ! non ! s'écria le professeur. -Hansse trompe », dis-je en me soulevant. Après les surprises innombrables de ce voyage, une stupéfaction nous était encore réservée. Je m'attendais à voir un cône couvert de neiges éternelles, au milieu des arides déserts des regions septentrionales, sous les pâles rayons d'un ciel polaire, au delà des latitudes les plus élevées, et, contrairement à toutes ces prévisions, mon oncle, l'Islandais et moi, nous étions étendus à mi-flanc d'une montagne calcinée par les ardeurs du soleil qui nous dévorait de ses feux. (...)
L'imprévu d'un pareil spectacle en centuplait encore les merveilleuses beautés. « Où sommes-nous ? où sommes-nous ? » répétais-je à mivoix.Hansfermait les yeux avec indifférence, et mon oncle regardait sans comprendre. « Quelle que soit cette montagne, dit-il enfin, il y fait un peu chaud ; les explosions ne discontinuent pas, et ce ne serait vraiment pas la peine d'être sortis d'une éruption pour recevoir un morceau de roc sur la tête. (...)
» C'était une espèce de petit pauvre, très misérablement vêtu, assez souffreteux, et que notre aspect parut effrayer beaucoup ; en effet, demi-nus, avec nos barbes incultes, nous avions fort mauvaise mine, et, à moins que ce pays ne fût un pays de voleurs, nous étions faits de manière à effrayer ses habitants. Au moment où le gamin allait prendre la fuite,Hanscourut après lui et le ramena, malgré ses cris et ses coups de pied. Mon oncle commença par le rassurer de son mieux et lui dit en bon allemand : « Quel est le nom de cette montagne, mon petit ami ? (...)
s'écria mon oncle, que la colère commençait à gagner, et qui secoua l'enfant par les oreilles. Come si noma questa isola ? - Stromboli », répondit le petit pâtre, qui s'échappa des mains deHanset gagna la plaine à travers les oliviers. Nous ne pensions guère à lui ! Le Stromboli ! Quel effet produisit sur mon imagination ce nom inattendu ! (...)
» En parlant ainsi, mon oncle, demi-nu, sa bourse de cuir autour des reins et dressant ses lunettes sur son nez, redevint le terrible professeur de minéralogie. Une heure après avoir quitté le bois d'oliviers, nous arrivions au port de San-Vicenzo, oùHansréclamait le prix de sa treizième semaine de service, qui lui fut compté avec de chaleureuses poignées de main. (...)
Grâce aux indiscrétions de Marthe, la nouvelle de son départ pour le centre de la terre s'était répandue dans le monde entier. On ne voulut pas y croire, et, en le revoyant, on n'y crut pas davantage. Cependant le présence deHans, et diverses informations venues d'Islande modifièrent peu à peu l'opinion publique. Alors mon oncle devint un grand homme, et moi, le neveu d'un grand homme, ce qui est déjà quelque chose. (...)
Pour mon compte, je ne puis admettre sa théorie du refroidissement : en dépit de ce que j'ai vu, je crois et je croirai toujours à la chaleur centrale ; mais j'avoue que certaines circonstances encore mal définies peuvent modifier cette loi sous l'action de phénomènes naturels. Au moment où ces questions étaient palpitantes, mon oncle éprouva un vrai chagrin.Hans, malgré ses instances, avait quitté Hambourg ; l'homme auquel nous devions tout ne voulut pas nous laisser lui payer notre dette. (...)Jules Verne. Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits ». I - Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg. La bonne Marthe dut se croire fort en retard, car le dîner commençait à peine à chanter sur le fourneau de la cuisine. « Bon, me dis-je, s'il a faim, mon oncle, qui est le plus impatient des ...