Annexe : Les chapitres manquants des Aventures d'Arthur
Gordon Pymsur Les Editions sans Détour au format
Contient : tunnel (23)(...) XXVII : Lorsque je recouvrais mes sens, les ignobles hurlements avaient cessé. Une lueur rougeâtre épaisse, comme visqueuse, avait surgi dans letunneldevant moi, me permettant à nouveau de distinguer les alentours. Peters était accroupi contre un angle de la galerie, le regard fixé en direction de la lueur pourpre et artificielle. (...)
De plus, la matière dont l'objet était constitué ne m'évoquait rien de familier : vertdegris comme du bronze et pourtant semblant légèrement huileux au toucher, bien que cela puisse être dû à l'humidité de l'air dans letunnel. Nous employâmes l'objet pour fouiller les décombres jusqu'à ce que nous trouvions une pierre ovale qui semble intacte. (...)
Alors que nous désespérions de trouver le moindre signe de passage récent sur le sol de pierre brute, un vacarme retentissant et confus nous parvint soudainement dutunneld'où provenait la lumière, nous mettant sur nos gardes. Devant nous, quelque chose se déplaçait ; un bruit de battements et de frottements résonnait tout autour de nous, accompagné d'étranges hululements rauques. (...)
Peters s'empara de son pieu graisseux d'une main et de la lanterne verdâtre de l'autre. Je pris une seconde perche et m'engageais sur ses talons au sein dutunnel. Letunneldébouchait dans une caverne grouillant de manchots au pelage blanc, plus gros qu'aucun autre oiseau que je n'aie jamais observé. Derrière eux, la lumière qui nous parvenait en provenance de l'extérieur apparaissait insupportablement vive, surpassant en éclat la répugnante lueur de notre lanterne. (...)
A la violence de cet éclairage répondait une brutale chute des températures. Une brise glacée s'engouffrait dans notretunnelet Peters, tremblant, s'élança en brandissant son pieu et en un clin d'oeil, rompit le cou de l'un des volatiles. (...)
La neige y était fraîche et profonde, aussi blanche que la page vierge en attente du premier griffonnage de la plume. Grondant de colère tel un animal en chasse, Peters retourna dans les ténèbres dutunnel: nous n'étions pas sur la bonne piste. Nous bondîmes sur notre embarcation de pierre qui replongea immédiatement dans son interminable boyau. (...)
Après trois ou quatre heures au plus, le voyage cessa et la plateforme se rangea le long d'un autre quai d'embarquement. Cependant ne s'offrait à nous à présent qu'un uniquetunnel, qui nous conduisit directement à la surface. Aussi douloureuse qu'ait été la vision qui nous avait été offerte à l'issue du précédenttunnel, la vue depuis celuici était encore plus terrifiante. A moins d'un mille de là, visible au travers des rafales de vent et de neige, se tenait une tour titanesque - un repaire de géants, de dragons, ou de quelque fabuleuse mais répugnante créature, car sa taille était bien trop élevée pour que l'on puisse envisager qu'elle ait pu être l'oeuvre de mains humaines. (...)
Interrompant une longue et monotone ascension, une arche s'ouvrit sur le côté de notre rampe. Nous pénétrâmes dans ce passage, ne sachant si les captifs avaient été emmenés plus haut dans letunnelou conduits ici. La taille des lieux était impressionnante et le temps que nous avions passé enfermés dans l'étroittunnelgrimpant nous la rendait d'autant plus intimidante. La lueur verdâtre de notre lanterne ne parvenait pas à éclairer l'ensemble de la pièce, mais celleci disposait de sa propre source de lumière. (...)
L'air y était humide, étrangement chargé d'une buée que nous n'avions pas revue depuis notre descente dans letunnelsur l'île blanche. Et à la différence de la précédente, cette chambre n'était pas tout à fait vide. (...)
Mais quand nous parvînmes enfin à accélérer, aucun de nous ne ralentit jamais l'allure, résolus comme nous l'étions à courir sans nous arrêter jusqu'autunnel, abandonnant ce phare maudit à jamais derrière nous. Peters menait la course, sa stature trapue et sa résistance exceptionnelle lui ayant permis de lutter mieux que nous contre les horreurs et les privations que nous avions endurées récemment. (...)
Nous maintînmes coûte que coûte une course en demifoulées, espérant que l'effort suffirait à nous fournir assez de chaleur pour atteindre l'entrée dutunnel. A michemin, l'un des inconnus s'effondra et Peters dut porter l'infortuné sur ses épaules. Bien que le vent se fût calmé, la neige tombait toujours plus drue et nous permit d'échapper aux signaux tentateurs du phare gigantesque et infernal. Lorsque nous parvînmes enfin autunnel, nous nous traînions de façon désespérée plus que nous ne courions, pauvres hères gelés et épuisés. (...)
Aussi immense que fut ma fatigue, elle était probablement infime en comparaison de la leur. Après avoir franchi l'entrée dutunnel, nous traînâmes nos compagnons, nous enfonçant dans la tiédeur de la galerie. La consommation des végétaux charnus que nous avions laissés sur la plateforme permit à nos nouveaux compagnons de recouvrer une partie de leur énergie. (...)
Peters jura et, ne trouvant rien de plus approprié à notre défense, lança une des lanternes vers nos poursuivants. La lampe s'écrasa sur le sol dutunnel, ne laissant qu'une tache incandescente qui disparut immédiatement au loin, ne provoquant aucun dégât sur les créatures qui nous pourchassaient. (...)
J'aidais alors Peters à activer les lampes, conscient que l'affreuse sensation de succion qu'elles provoquaient n'était rien comparée aux horreurs qui nous guettaient si nous étions capturés et ramenés à la cité polaire. Au signal donné par DeLance, nous projetâmes les lanternes le long dutunnelen direction de nos poursuivants. Par bonheur, deux des trois projectiles atteignirent la plateforme des Choses Polaires. (...)
Mais soudain, le mouvement de notre plateforme fut interrompu, et nous fûmes projetés vers l'avant, tête la première, comme une poignée de dés lancés par un joueur maladroit. Notre vitesse était telle que le choc avec le sol dutunnelfut d'une extrême violence, mais je ne souffrais apparemment d'aucune fracture. Me relevant péniblement, je perçus une sorte de grondement propagé au plus profond de la roche. Je m'efforçais alors de rassembler mes compagnons, craignant qu'une portion dutunnelne s'effondrât, lorsque la substance rougeoyante que nous avions perdue de vue quelques instants plus tôt explosa soudain. (...)
Le liquide vorace formait à présent une monstruosité, enflée de façon incommensurable, dont l'embrasement nous plongea dans une lumière plus brillante que l'astre solaire, projetant d'étranges serpentins et flammèches, comme autant de rameaux incandescents. Nous ressentîmes, plus que nous ne vîmes, ce razdemarée infernal dévaler letunnelet nous rattraper, si rapide et si puissant que nous eûmes à peine le temps d'esquisser un mouvement de recul effrayé. (...)
Nous décidâmes de rationner la nourriture, puis reprîmes la route à un rythme atrocement lent. J'avais la sensation de m'affaiblir à chaque pas. Vredenburgh menait la marche dans letunnelqui replongeait dans une semiobscurité au fur et à mesure que nous nous éloignions de l'effrayante source de lumière. Nous marchâmes pendant une journée avant d'atteindre la fin dutunnelet la surface de l'île, près de la mer bouillante. Nous n'avions pas eu besoin d'allumer notre dernière lanterne. (...)Voici les 14 pages des chapitres manquants des aventures de Gordon Pym : 22 mars - Les ténèbres s'étaient sensiblement épaissies et n'étaient plus tempérées que par la clarté des eaux, réfléchissant le rideau blanc tendu devant nous. Une foule d'oiseaux gigantesques, d'un blanc livide, s'envolaient incessamment de derrière le singulier voile, et leur cri était le sempiternel Tekelili ! qu'ils poussaient en s'enfuyant devant nous. Sur ces entrefaites, NuNu remua un peu dans le fond du bateau ...