Ciel et Terre
sur Chaodisiaque au format
Le maître du vent. Je m'appelle Ciel Noir. Je ne suis qu'un homme. Le sang qui coule dans mes veines n'est pas celui des dieux, ni celui des dragons, il me permet juste d'animer ce corps, de pousser cette charrue qui creuse son sillon pour m'offrir de quoi me faire vivre, de parler, et parfois, faire naître un sourire sur le visage de ma femme. Ce village est petit, si petit qu'il ne porte pas de nom, à peine une centaine de paysans l'animent, survivant avec moi, leurs âmes revêtues ...Contient : fou (45)(...) La fièvre va faucher des vies et la famine est presque assurée mais le Seigneur des Hauts Vents ne voudra pas une part moins grande que le minimum auquel il est habitué, alors, les anciens du village tiennent conseils. Moi, Boeuf Assoiffé, Regard Vif, Nuage Bleu, Flocon Amer, PigeonFouet Cuillère d'Argent formons notre petit conseil de survivants. Nous nous rassemblons au moins trois ou quatre fois par ans pour discuter du goût de la bière, d'histoires de femmes, de chasse et disputer des parties de cartes. (...)
Malheureusement, ce n'est pas le cas aujourd'hui et nous nous retrouvons à devoir partager les chances de survie comme les cartes au poker : un peu au hasard, un peu à la finasserie. « Les choses légères, dit PigeonFou, doivent être traitées avec attention, et les choses graves avec légèreté. » C'est sans doute pour ça que nous discutons de tout cela autour d'une table ronde, couverte de verres de bières dans la maison de Flocon Amer, la seule maison de pierre du village. (...)
Un grognement d'assentiment balaie la pièce enfumée. - Je sais. Il va falloir trouver un arrangement. - Le cannibalisme ? C'est PigeonFou: Un petit bonhomme à la peau ridée dont les dents se bousculent de manière anarchique dans une bouche perpétuellement souriante. (...)
Je veux dire, c'est ma meilleure pondeuse et je l'ai pas vue de toute la journée et... Nous sourions silencieusement. Flocon interrompt Pigeon d'un regard glacial. PigeonFouest le seul à pouvoir se permettre ce genre plaisanterie avec Regard Vif, mais il n'est pas intelligent de courroucer un homme dont on dit qu'il possède une ascendance divine. (...)
Il ne sait pas encore ce que ça signifie ! - Il rêve de justice... Ciel Noir, comme tout le monde à son âge. Moi, Boeuf, PigeonFouet trois de ces plus vieux fils avions retrouvé le caravanier : Il a fini comme Chêne et sa famille, accroché à un arbre esseulé, ses biens furent partagés entre les anciens et leurs familles. (...)
Dernière source de lumière, sauf lorsqu'un éclair illumine le monde l'espace d'un instant. Précédant le craquement assourdissant du tonnerre. - Oui, moi, Boeuf et PigeonFou, peut-être un des petits-fils de Flocon. Veille sur Brin. Nous avons élevé un idiot. Ma femme hoche la tête. (...)
J'ai fait semblant de ne pas tenter d'écouter ronfler mon fils et j'ai fait semblant de partir sans angoisse. Au croisement de la route j'ai croisés PigeonFouet Boeuf Assoiffé, ainsi qu'OEil Vert, Chien Enragé, et Rude Automne, l'un des fils de Flocon et le chariot. (...)
Des insectes nous tournent autours, et bourdonnent bruyamment. La plaine parait aussi immense que le ciel. Boeuf picole tranquillement à sa gourde, PigeonFouest le seul qui rompt le silence, racontant des histoires au fils de Flocon Amer, à OEil Vert et Chien Enragé. (...)
Et la fille de Regard Vif reste trop silencieuse. - On dirait que le Seigneur des Hauts Vents nous protège, dit PigeonFouen sortant une balalaïka. - Pas de bêtise, dit Boeuf. Ce n'est pas un dieu. - Ah bon ? C'est Rude Automne. (...)
Fort comme un ours, bête à manger du foin, mais assez malin pour savoir comment survivre. Comme nous tous, peut-être. PigeonFoul'aime bien visiblement. - Flocon ne t'a rien dit ? Dit-il. - Pas grand chose, il dit que le Seigneur des Hauts Vents est un enfant de la déesse Mela, qu'il est sacré, et qu'il règne depuis toujours sur la nation des vents. (...)
Rude Automne jette un oeil à Boeuf, comme s'il risquait de se changer en monstre à l'instant. PigeonFousourit. Moi-même, je garde Brume à l'oeil mais j'écoute la conversation. Quand PigeonFoureprend la parole, sa voix est enjouée, comme celle d'un homme qui découvre une pièce de jade par terre. - Sache, jeune chiot, que le Seigneur des Hauts Vents n'est pas le fils de Mela, dit-il, c'est un élu divin, pas juste le rejeton d'une amourette divine. (...)
L'air inquiet, dans l'horizon obscurci de la plaine, s'attendant sans doute à voir un châtiment divin fondre sur lui. Il est tellement drôle qu'il me fait sourire. - Je... je ne comprends pas... PigeonFousourit. - Un élu divin : un Exalté, comme on dit, claironne-t-il, c'est autre chose, c'est un mortel soigneusement choisi par les dieux pour les représenter parmi les hommes. (...)
La bouche ouverte, Rude hésite un instant, puis cède à sa curiosité : - Et... le Seigneur des Hauts Vents est un Exalté ? Un public : juste ce dont PigeonFouà besoin pour être encourager. Il sourit. - Ouais, un élu de Mela, le Divin Dragon immaculé des airs et du vent, il a été élu pour régner sur le monde, protéger les mortels contre les Anathèmes et le Beau Peuple tandis que les dieux vivent dans leurs demeures Célestes. PigeonFoupart d'un rire hilare. Il n'a pas l'air d'y croire lui même. Rude porte un regard fasciné sur Pigeon. (...)
- Tu as déjà vu un Anathème ? Un membre du Beau Peuple ? Le silence se fait dans le campement. L'hilarité de PigeonFousoudain disparue. Soudain, une voix se fait entendre. Calme, douce mais ferme comme du cuir neuf. (...)
Ils sont la mort, sous une forme ou une autre, mais tu en sais beaucoup pour un humble paysan, PigeonFou. » C'est Brume. Nous nous retournons vers elle. Elle ne nous rend pas notre regard, elle observe le feu, et soudain je me souviens qu'elle est la fille de Regard Vif, le Shaman de notre village, notre médiateur entre les dieux et nous. PigeonFoureste comme nous, pétrifié, un long instant. Puis le regard de Brume croise celui de Boeuf, et elle baisse les yeux. (...)
Boeuf grimace, cherche quelque chose dans son sac, en ressort une petite fiole d'alcool qu'il se met à téter comme un bébé. Le regard de PigeonFous'écarquille en voyant ça. - Partage un peu ta bibine, Boeuf ! Dit-il. Boeuf sourit. - Oh non ! Je ne voudrais pas écarter un saint homme de l'illumination ! (...)
Il y a longtemps. - Qu'est-ce que tu veux en savoir, le chiot ? - Ben, à quoi ressemblait le monde ! PigeonFousourit. Il s'est rendu intéressant et c'est son passe-temps favori. Je ne peux pas lui en vouloir d'ailleurs, lors de certaines nuits d'hivers calmes et interminables, c'est même franchement utile. (...)
Je souris, je connais les légendes, et j'en sais assez sur les hommes pour savoir qu'un évènement marquant à tendance à s'amplifier tout seul d'une génération à l'autre. Se rappeler ce genre d'époque relève d'un exercice masochiste. Ca n'empêche pas PigeonFoude continuer et OEil Vert et Chien Enragé de continuer d'écouter. « Les bêtes et les hommes vivaient en harmonie, et il n'y avait pas réellement de différence entre le chasseur et le chassé. (...)
J'y croirais quand j'en verrais un ! - Et dire que je pensais être le bouffon du village ! Dit PigeonFou. - Oh non ! Dis-je, Tu es le bouffon de la nation ! Nous éclatons de rire, même Brume sourit. - Allez continue ! (...)
- Bien, il faut faire fondre la glace, réactivez le feu et suspendez-le au-dessus ! - On va le cuire ! S'écrie PigeonFou! - Oui, c'est un peu ça ! - Mais... Commence-t-il. Je l'interromps. - C'est la fille de Regard Vif, elle sait ce qu'elle fait ! (...)
Nous suspendons OEil Vert au-dessus du feu et faisons fondre l'étrange glace qui l'enveloppe tandis que PigeonFouet Brume soignent ses plaies autant qu'ils peuvent. Elles sont nombreuses, certaines profondes, et OEil Vert ne tarde pas à perdre connaissance. (...)
Tout ce qui reste, après, ce sont les regrets. Quand il reste quelque chose... Brume, Rude et PigeonFoureviennent. PigeonFoua presque l'air fier de lui, Brume a l'air épuisée mais égale. Les nouvelles ne doivent pas être trop mauvaises. - Comment va-t-il ? (...)
- S'il survit au voyage, il perdra un bras, peut-être une jambe, dit-elle. - Faudra lui faire un brancard, dit PigeonFou, avec les lances et du tissus, et on l'accrochera à un cheval. - Mieux vaut l'installer dans le chariot, dit-elle. (...)
J'aurais presque envie de le faire partir si je n'étais pas si sûr de l'envoyer se faire tuer ce faisant. Je soupire. - Reste ici. Je me retourne et pars vers le chariot. Quand PigeonFouvoit mon regard, il hausse les épaules l'air innocent, l'imbécile ! Je descends de mon cheval, et après l'avoir accroché au chariot, y grimpe d'un bond. (...)
J'ignore s'il s'agit d'un sort ou juste d'elle, mais je n'aime pas la façon dont elle attire ma pitié. Je n‘ai pas aimé son avertissement. Je remonte jusqu'à PigeonFou. - Ne laisse pas Rude Automne s'approcher à nouveau d'elle. - D'accord. Les choses sont assez pénibles comme ça. (...)
A mes pieds, je contemple distraitement une flaque d'urine entre les genoux de Rude, et Boeuf, ce pauvrefou, semble ressentir lui aussi le problème car il serre nerveusement dans un de ces poings posé par terre un bout de roche. (...)
L'étranger me regarde en se marrant. Quand il finit de rire, il me tend une gourde. Je bois comme unfouet le regrette aussitôt : je déteste le lait de chèvre. L'homme rit encore lorsqu'il me voit faire la grimace. (...)
» Hakka se remet à parler. La langue des Aïnouks est un flot rapide de syllabe qui confine a l'insaisissable. PigeonFouconnaissait leur langue, mais lui-même ne les comprenait pas toujours. Elle traduit instantanément. (...)
Je lutte pour mon destin et un jour, je serai Shaman. » Je souris. Hakka fronce les sourcils, ne comprends pas. Bien qu'à moitiéfou, comme tous les Shamans, il a l'air d'un type bien, mais ça me plait de le voir patauger. C'est notre secret mystique, la seule justice qui nous appartienne. (...)
Je suis surpris un instant par leurs arrivées tardives, puis je comprends : ils ont attendu que les Aïnouks se soient bien ravitaillés pour les empêcher de prendre la fuite trop rapidement. Mon coeur bât à tout rompre. Une sueur froide me glace l‘échine. Hakka a étéfoude me sauver. Je repense au regard du Héraut, au pouvoir de la Princesse Bleue, du Seigneur des Hauts Vents et du Trône d'orage. (...)
Je garde l'oeil sur la neige sous mes pieds et autours de moi, au cas où. Cette histoire de neige noire, que m'a un jour racontée PigeonFou: dans le nord lointain, il arrive parfois que de sombres nuages laissent tomber une neige sombre qui obscurcit la peau de ceux qu'elle touche, et qui laisse les corps de ces derniers calcinés sans même qu'ils aient brûlés. (...)
Cette chose en moi comprend mieux que ma raison ce qu'elle m'explique. Cette part de moi est dans ce lieu plus à son aise que ma raison. Je me sensfouet malheureux alors je ferme les yeux et tente de ressentir le pouvoir qui gravite au-dedans et autour de moi. (...)
Mes entrailles se glace lorsqu'il s'empale avec un bruit sec et dur sur une stalagmite, laissant une traînée de Sang-bleu sur le monceau aiguisé de métal, embrochés sinistrement. Je crois crier « non. » Mes mains tremblent, Lewellyn étaitfou, je n'avais pas vu à quel point. Je me retourne vers Aewyll... et Lewellyn est là, vivant, le sourire aux lèvres, propre comme un sou neuf, sans une égratignure, tenant, caressant lascivement et distraitement Aewyll dans ses bras. (...)
Les paroles de Lewellyn dansent dans mon esprit, des paroles démentes mais qui possèdent un sens, et j'ignore si c'est parce qu'elles en ont effectivement un ou si c'est parce que je deviensfou, mais toute mon âme me hurle de sortir d'ici, de me dépêtrer de ce piège de beauté et de folie. Je tente d'être discret. (...)
Dit-elle. La voix d'Aube Grise, le ton inquiet de Mahe. - Pourquoi fais-tu ça ? - T'aider ? Lewellyn estfou, même pour l'un d'entre nous... et je ne veux pas d'un monde où il règnerait. Je reste interloqué tandis que je la suis dans des couloirs sans fin qui s'élargissent de plus en plus, où la lumière devient de plus en plus dense. (...)
Le choc est résonne comme un coup de tonnerre qui projette le serpent en arrière et fait vaciller Lewellyn sur son trône. - Pauvrefou! Magnifique imbécile ! Je n'arrive pas à savoir s'il enrage ou s'il exulte. Je m'en moque tant j'ai froid et je suis couvert de gel, des morceaux de glaces retombent partout autour de moi tandis qu'un brouillard givrant se referme sur moi. (...)
Mon poing et le pouvoir jaillissent de concert. Mon coup est un vieux truc vicieux pour calmer les étrangers rendusfoupar les hurlements du vent, un vieux truc pour se débarrasser des amis, des parents encombrants, qui vient la cueillir dans l'estomac. (...)
Je tombe de si haut que ma chute creuse un petit cratère dans le sol, le rugissement de l'impact m'assourdit, et la main du dieufous'abat sur moi, je suis aveuglé un instant mais je ne panique pas. Après la faille, je commence à maîtriser les chutes, et je souris à cette pensée. (...)
Je le repousse d'un geste, il percute le mur si mal qu'il s'y étourdit tout seul comme un grand. Un autre se roule par terre en hurlant comme unfou, étreignant son visage d'où dégouline un flot de sang. Par réflexe, je m'approche de lui pour vérifier sa blessure : un long morceau d'acier effilé de l'armature est venu se ficher dans son oeil. (...)
Il ne dit rien, il sourit, vaguement. Je veux croire que ma vie à un sens. Je veux croire que je ne suis pasfou. Je veux croire que je ne suis pas un monstre. Je veux croire qu'il y a une justice dans ce monde. (...)
Les gigantesques collines nous dominent et nous plongent dans l'ombre. Les anciens, Flocons Amer et PigeonFou, disaient que lorsque le Beau Peuple a envahi le monde, les collines ont été submergées il y a longtemps par l'océan du chaos, qu'elles avaient changées sous son influence et étaient devenues d'immenses os vivants, et que lorsque le chaos se retirât devant le pouvoir de l'impératrice écarlate, les os moururent, et se fossilisèrent en ces énormes collines de roches. (...)