Ciel et Terre
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Le maître du vent. Je m'appelle Ciel Noir. Je ne suis qu'un homme. Le sang qui coule dans mes veines n'est pas celui des dieux, ni celui des dragons, il me permet juste d'animer ce corps, de pousser cette charrue qui creuse son sillon pour m'offrir de quoi me faire vivre, de parler, et parfois, faire naître un sourire sur le visage de ma femme. Ce village est petit, si petit qu'il ne porte pas de nom, à peine une centaine de paysans l'animent, survivant avec moi, leurs âmes revêtues ...Contient : vents (91)(...) C'est ainsi car nos pères ont appris longtemps avant nous qu'il vaut mieux finir vidé de son sang que de désobéir au Seigneur des HautsVents. Je ne suis pas un homme sage, mais comme tous les hommes de mon âge je connais les histoires du monde ancien, l'ancien âge perdu des merveilles. (...)
L'été, la plaine est verte, brûlante, impitoyable. Chaque année, après le jour le plus long de l'été, un Héraut du Seigneur des HautsVentsnous visite, revêtu d'acier et armé de jade, porteur d'exigences, d'étrangeté et de pouvoir. Chaque homme lui sacrifie une bête, et une part de sa récolte. (...)
Il ne faut pas être voyant pour savoir que cette année est mauvaise : trop de pluie, trop de chaleur. La fièvre va faucher des vies et la famine est presque assurée mais le Seigneur des HautsVentsne voudra pas une part moins grande que le minimum auquel il est habitué, alors, les anciens du village tiennent conseils. (...)
Pigeon Fou est le seul à pouvoir se permettre ce genre plaisanterie avec Regard Vif, mais il n'est pas intelligent de courroucer un homme dont on dit qu'il possède une ascendance divine. - Reprend. Regard Vif reprend. - Le Seigneur des HautsVentspeut être contenté, mais cela aura un prix... Nouveau grognement. - Encore un sacrifice ? C'est Boeuf Assoiffé. (...)
Cuillère d'Argent est l'homme le plus riche du village. Ce qui ne signifie pas grands chose pour le Seigneur des HautsVents. - Non, dit Regard Vif. Nous ferons oublier son appétit en en comblant un autre. Nous nous regardons tous. Nous savons de quoi il parle. Le maître des HautsVentspeut avoir envie de n'importe qui. Femme, homme, enfant. N'importe lequel d'entre nous peut-être choisi, même s'il à une préférence pour les êtres jeunes. (...)
Aube m'observe, pensive. Brin parle le premier. - Il est parti ? Je relève le nez de mon repas. Dans le pays desvents, nos femmes sont expertes à faire beaucoup avec peu. Aujourd'hui il y a un plus que peu et j'en profite. (...)
Et je sais que je ne pourrai pas manger en paix avant de régler cette discussion. - Il n'a pas le choix. - Mais il a des pouvoirs ! - Pas assez, crois-moi. Le Seigneur des HautsVentspourrait raser ce village en un instant s'il voulait. Regard Vif sait juste avoir les messages que les étoiles veulent bien lui donner. (...)
Tu te rappelle de ce qui vit dans les failles ? Ou ce qui vient au solstice d'hiver ? Le maître des HautsVentsnous protège parce qu'il le peut, toi, qu'estce que tu veux faire ? Je baisse le ton. « Maintenant mange et prend des forces. (...)
Nous n'attendions pas Brin d'Herbe, et nous n'attendons plus personne, même si le désir demeure. - Les routes seront mauvaises demain, dit-elle. - C'est le pays desvents, ici, elles sont rarement bonnes. Son sourire est furtif, précieux comme le diamant. Je la prends dans mes bras, l'embrasse. (...)
Parfois, ce n'est qu'une faible brise, mais la plupart du temps, il hurle dans les plaines, presque sans fin, tant et si bien que certains étrangers qui s'aventurent ici deviennent parfois fous lorsqu'ils restent trop longtemps dans les environs. Au pire moment ou lorsque le Seigneur des HautsVentsdéchaîne sa colère, c'est un ouragan destructeur, une terreur élémentaire et aveugle qui détruit tout sur son passage à des kilomètres à la ronde à laquelle il est presque impossible d'échapper. (...)
Je m'écarte et guette l'horizon en quête de danger. Il y a trois jours de voyage avant d'arriver au trône de glace, la demeure du Seigneur des HautsVents. Je garde l'oeil ouvert. Le Seigneur des HautsVentsveille sur la région. Le pire, le Beau Peuple, les grands ouragans et les tribus barbares, il les tient à distance, dans les failles où au delà des frontières de la nation, mais les brigands, les bêtes, ceux-là, il se contente d'envoyer ces serviteurs à leurs trousses et la plupart du temps, cela suffit. Seulement, la limite entre voyageurs et brigands est parfois indistincte, et toutes les bêtes ne sont pas si faciles que cela à chasser, et c'est essentiellement à nous de gérer ces problèmes. (...)
De plus, les villages des environs sont pour la plupart aussi pauvres que le nôtre, et même si c'est rare, il arrive parfois qu'un village qui ne sait pas payer le tribut, aille le chercher dans la communauté voisine. Le Seigneur des HautsVentsle sait, et la plupart du temps, laisse faire. De fait, nous n'aimons pas nos voisins et ils nous le rendent bien. (...)
» est un dicton de ma région. Et la fille de Regard Vif reste trop silencieuse. - On dirait que le Seigneur des HautsVentsnous protège, dit Pigeon Fou en sortant une balalaïka. - Pas de bêtise, dit Boeuf. Ce n'est pas un dieu. (...)
Pigeon Fou l'aime bien visiblement. - Flocon ne t'a rien dit ? Dit-il. - Pas grand chose, il dit que le Seigneur des HautsVentsest un enfant de la déesse Mela, qu'il est sacré, et qu'il règne depuis toujours sur la nation desvents. Boeuf secoue la tête. La foi n'a jamais été son fort. - Ah putain ! S'exclame-t-il. Rude Automne jette un oeil à Boeuf, comme s'il risquait de se changer en monstre à l'instant. (...)
Quand Pigeon Fou reprend la parole, sa voix est enjouée, comme celle d'un homme qui découvre une pièce de jade par terre. - Sache, jeune chiot, que le Seigneur des HautsVentsn'est pas le fils de Mela, dit-il, c'est un élu divin, pas juste le rejeton d'une amourette divine. (...)
La bouche ouverte, Rude hésite un instant, puis cède à sa curiosité : - Et... le Seigneur des HautsVentsest un Exalté ? Un public : juste ce dont Pigeon Fou à besoin pour être encourager. Il sourit. (...)
Nous faisons tous comme si rien n'était arrivé. Les gens tabous ont cet effet là. Je commence peut-être à entrevoir pourquoi le Héraut desventsla choisie comme sacrifice : on dit que certaines connaissances sont interdites aux mortels et la rumeur dit que du sang divin coule dans les veines du Shaman. (...)
Parfois, je regarde autour de moi et... Son regard s'assombrit. Il n'ose pas continuer mais je devine ses pensées : On raconte que lesventsde la nation rapporte au Seigneur tout ce qui se dit sur lui (qui lui ?) à travers la plaine, et que la lune parle en personne à ses enfants et aux Hommes- bêtes. (...)
Il me regarde d'un air interloqué, choqué. - Pourquoi ? - Parce que maintenant, ce sera plus difficile de la livrer au Maître desvents. Il reste silencieux un long moment, réfléchis, puis finalement, parle. - Tu as raison, Ciel Noir. (...)
Je fronce les sourcils, m'installe. - Que veux-tu ? - Je veux savoir... as-tu déjà vu le Seigneur des HautsVents? - Une fois. Regard Vif aussi. Il ne t'en a pas parlé ? - Non, jamais. Depuis mes huit ans, je suis. (...)
Je crois que le Héraut t'a choisie parce que tu es belle, et parce que tu es intelligente. Je pense que le Seigneur des HautsVentste fera vivre mieux que tu n'auras jamais vécu jusqu'ici. Il te fera faire sans doute la même chose que Regard Vif. (...)
Au fur et à mesure que nous approchons, nous nous faisons de plus en plus silencieux, même Rude et Pigeon restent cois. De l'extérieur du domaine, nous percevons petit à petit les détails de cette bâtisse. Ici, lesventsrestent calmes, comme à l'affût, je reconnais les murs en pierre bleue, marqués de sigle ancien en jade bleu, les toits presque translucides, bleus, et éclatants. (...)
La route est plus facile à parcourir, aussi à notre rythme, nous avançons rapidement, comme aspiré dans un rêve étrange, dans un de ces cauchemars qui ne veut pas dire son nom et qui vous laissent un goût d'inquiétude toute la journée du lendemain. Nous arrivons. La demeure du Seigneur des HautsVentsest construite d'une façon qui m'échappe, comme si elle n'avait pas été construite en fonction de l'environnement mais, à l'inverse, comme si son architecture façonnait le monde autour d'elle. (...)
Le vent gronde en permanence, fait tournoyer de façon cyclopéenne d'obscurs nuages gris autour du donjon principal, tandis que les rayons du soleil se déversent en cascade sur la toiture éclatante de la demeure du Seigneur des HautsVents. Nos capes claquent sous le vent, nos chevaux nerveux, hennissent, sentant la tempête tenue en laisse par le pouvoir de cette demeure que l'on sent plus vieille que la nation du vent ellemême. (...)
Cinq silhouettes apparaissent dans l'océan de lumière blanche qui semble être contenus dans la forteresse de jade bleu : Une femme et quatre hommes. La fille du Seigneur des HautsVents. On l'oublie souvent, tant l'aura de son père plane sur la nation, pourtant elle est presque aussi terrible que lui. (...)
- Ce n'est pas au Héraut de négocier ce genre de chose, dit-elle calmement. Son regard est calme, douloureux. - C'est au Seigneur des HautsVentsde décider s'il accepte votre offrande. J'essaierais d'intercéder en votre faveur. Elle se retire et disparaît dans l'entrée. (...)
Des morceaux de bois viennent se ficher quelque part dans ma chair tandis que des morceaux de chariot, des restes de récolte et d'OEil Vert retombe autour de moi. Le Seigneur des HautsVents? - Assez ! Je reconnais la voix. Je me redresse douloureusement. La Princesse Bleue se tient devant moi, des éclairs crépitent le long de son épée de jade bleue dégainée. (...)
Je me serais donné plus longtemps, mais j'ai plongé dans un petit lac dans le domaine du Seigneur des HautsVentspour échapper aux chiens et effacer mon odeur. Le lac ne valait pas beaucoup mieux qu'un marais, la morsure de l'eau était froide, cruelle. (...)
Boeuf était déjà affaiblis, et les Exaltés sont infiniment plus résistant que les mortels, le Seigneur des HautsVentsvivait déjà du temps de l'arrière grand-père de mon grand-père, et on dit que leurs membres et leurs organes repoussent comme ceux des démons et des dieux, rien ne me pousse à croire que la Princesse Bleue est différente de son père. (...)
- Nous vous avons trouvés, assis sous la constellation du cadavre. Hakka dit que c'est un signe. Vous avez survécut à la fureur du dieu desvents. Je lève la main brutalement. Jaï laisse tomber la sienne sur son poignard. Mahe recule. - Je n'ai survécu à sa fureur que parce que je n'étais pas là lorsqu'elle s'est abattue sur mon village. (...)
D'autres hommes m'observent, l'air méprisant, je les ignore. Je sens le vent sur mon visage, nous sommes toujours dans la nation du vent. Le Seigneur des HautsVentsdoit savoir qu'ils circulent sur ces pâturages. Impossible qu'un tel clan passe inaperçu. Mahe revient vers moi. - Votre couche est prête. - Vous avez un accord avec le Seigneur des HautsVents? Elle hoche la tête négativement. - Le Dieu desventsest changeant, il est trop libre et trop puissant. Asseyez-vous. Je m'assois. Hakka s'approche et parle à Mahe. (...)
- Il dit que ce n'est pas ce que pense Boeuf. Il dit qu'il vous attend, vous ou le Seigneur des HautsVents. Je reste silencieux et ne regarde pas Hakka. C'est la première fois qu'un Shaman parle aussi librement de chose qui ne doive être connue d'eux seuls. (...)
Ma voix tremble. Celle de Mahe aussi. - Oui, Hakka dit que dès que nous serons sortis de la plaine desvents, il vous indiquera le chemin du pays des morts. Le pays des morts... Prononcer ce seul nom est interdit pour les vivants. (...)
C'est dangereux d'en parler pour un non-initié, dis-je. - Hakka est un Shaman, et vous êtes différent, dit-elle. Vous avez échappé au pouvoir du Dieu desvents. Je reste silencieux un long instant. Je remarque Jaï nous observer d'un air mauvais et inquiet au loin. (...)
Parfois ils s'arrêtent pour faire un peu de commerce avec les autres villages, échangeant des légumes contre une ou deux bêtes en me tenant à l'écart et en me cachant de tout ceux qui pourrait me dénoncer au Seigneur des HautsVents. Les affaires sont mauvaises : le Seigneur des HautsVentsà visiblement prélevé un tribut important dans toute la plaine. Le peu que j‘aperçoit des villages voisins n'améliore pas mon moral : champs surexploités, vaches maigres, enfants hâves, et maisons silencieuses. (...)
Hakka a été fou de me sauver. Je repense au regard du Héraut, au pouvoir de la Princesse Bleue, du Seigneur des HautsVentset du Trône d'orage. La panique manque de me submerger, puis je m'assieds au fond de la yourte, ferme les yeux, incapable de penser. (...)
J'entends l'étrange voix du Héraut, elle couvre le souffle du vent, les hommes et les bêtes se tiennent dans un silence craintif lorsqu'il élève la voix. - Noble peuple Aïnouk ! Le Seigneur des HautsVentsvous a laissé vivre sur ces terres pendant de nombreux jours, et maintenant, il attend de vous que vous lui donniez une compensation pour son infinie hospitalité. (...)
Le ton du Héraut est celui dont doivent user les fleurs vénéneuses en enfer. - Je n'en attends pas moins, mais sachez que le Seigneur des HautsVentsserait offensé de ne pas vous voir reconnaître son pouvoir sur les cieux comme sur ces terres : Il ne demande que le dixième de vos troupeaux, cinq de vos hommes, cinq de vos femmes, et cinq de vos enfants. (...)
A nouveau la voix de Hakka, toujours aussi calme, toujours aussi solennelle, et la réponse du Héraut, détachée et sans appel. - Bien, vous subirez alors la justice du Seigneur des HautsVents. Je me lève et observe par l'ouverture de la yourte : les soldats du Seigneur des HautsVentsont démontés et se sont déployés dans le campement, leurs armes dégainées. La main d'acier griffue du Héraut jaillit soudain et attrape Hakka par le col. (...)
Au bout d'un court moment je sens le pouvoir qui sature presque les lieux, canalisé par les courants froids, par la plaine et lesvents, par la faille, il nourrit le mien, comme une source dont l'eau finit par nourrir l'océan qui semble se cacher au fond de moi. (...)
Je mets à profit cet instant pour agripper le fleuve de pouvoir qui orbite autour de moi, me laisser emmener par lui pour retrouver les gestes anciens et implacables qui ont tué le gardes du Seigneur des HautsVentset le Héraut. Ils sont là. Ils semblent m'attendre, plus mortels que les deux créatures devant moi. (...)
- Parce qu'ils n'ont pas réussi, mon ami, et ce n'est pas faute d'essayer, crois-moi ! Toi et les gens de ton village, n'avez vous pas conclu une alliance avec le Maître desventset sa fille, la Princesse Bleue pour vous protéger de moi ? Je reste silencieux. Je guette le fleuve de pouvoir revenus en moi, et m'apprête à le relâcher dans une attaque fulgurante, mais ces créatures. (...)
Je m'adosse à un endroit où le chant du vent se fait fort mais où rien d'autre ne se produit. Je ferme les yeux et essaie de me remémorer l'étrange géographie des lieux. La salle desventschantants, puis la salle des fauves qui patrouillent, non loin, la salle de bain de lait et le pont traversant la grotte où Lewellyn s'est suicidé puis, à nouveau mes appartements. (...)
Cet endroit est comme un rêve éveillé, et parfois l'important dans un rêve n'est pas tant où l'on va, mais ce que l'on fait, comme une histoire que l'on est en train de réécrire soi-même. Je rouvre brutalement les yeux lorsque je me rends compte que la salle desventschante, mais que je n'écoute pas ce que les voix disent. De l'autre coté du mur, de l'autre côté du miroir. (...)
En reculant, mon dos heurte un autre bloc, la neige qui le recouvre s'effrite et tombe, je reconnais l'homme dans celui-là aussi : l'un garde du Maître des HautsVents. Ils sont figés dans la glace, terrifiés, terrorisés, pour toujours. J'ai le souffle court, ma voix est basse : - Qu'est-ce que c'est ? (...)
Les mots du Hérauts me reviennent : « Tu as fait disparaître la Princesse Bleue... » - La Princesse Bleue... - C'est elle.., dit-elle avec la voix de la Fille du maître des HautsVents. Il s'en sert comme trophée et comme source de lumière. - Le Maître des HautsVentsn'est pas venu la chercher ? - Pourquoi le ferait-il ? Lewellyn est par trop puissant ici. Tu as une chance de vaincre le Maître des HautVents, mais lui n'a aucune chance de vaincre, ici. - Et maintenant ? Elle sourit, de ce sourire de gamine cruelle. (...)
Elle s'approche, pose une main sur mon épaule nue, sa paume fait courir des frissons en moi. Je les réprime. - Je dois aller voir le Seigneur des HautsVents..., dis-je. - Mon père ? Ne fais pas ça, vous aller vous battre, et il te tuera. Il a déjà tué un de mes frères pour la simple raison qu'il lui avait désobéit, et mon frère avait le pouvoir depuis plus longtemps que tu ne le possède, alors toi. (...)
Je suce des cailloux pour rompre la soif, mange des fourmis et des racines pour briser la faim. Nous étions aux frontières de la nation desvents, il me faut bien quatre jours pour retrouver le village inféodé au maître desventsle plus proche, tant et si bien que lorsque j'y arrive, je ne suis plus qu'un mendiant couvert de poussière, la barbe naissante rendue chiche par le manque de nourriture. Je connais l'endroit. (...)
Au mieux m'ignoreront-t-ils, au pire ils tenteront de prendre ma tête pour la livrer au maître des hautvents, histoire de se faire bien voir. Je ne leur en veux pas pour ça. Nous aurions fait pareil. J'attends que la nuit tombe. (...)
Les caractères du mot «ANATHEME », ont été tracés à l'encre rouge, une véritable débauche de luxe ! Il n'y a qu'une seule personne qui peut se la permettre. Le Maître des HautsVentssait que je suis toujours en vie. Probablement l'un des gardes accompagnant le Héraut est-il parvenu à survivre à la colère des Aïnouks et à revenir jusqu'au Trône d'Orage. (...)
Avec le chien, j'ai de quoi manger suffisamment jusqu'au Trône d'Orage, et les vêtements ne me vont pas trop mal : des vêtements de paysans, gris sombres, avec quelques lanières et quelques ceintures, uniquement ornementés de la cape bleue de la fille du Maître des HautsVents. Je m'improvise des bottes avec le tissu d'une cape que j'ai prise en même temps que les autres vêtements, et les ceint avec les lanières de cuir. (...)
Ca ne vaut pas de vraies bottes mais c'est toujours mieux que rien, puis j'avance et me mets en route pour le Trône d'Orage à travers la steppe. La demeure du Maître des HautsVentsest encore loin, pour me distraire de la plaine morne, j'arrache une feuille d'une plante, la plie et joue un air de voyage qui résonne à travers l'air. (...)
J'estime être à encore deux jours de marche lorsque le vent tourne plein sud, puissant, ramenant d'énormes nuages sombres, annonçant l'orage, annonçant la colère du Seigneur des HautsVents. J'observe les titans sombres et célestes qui projettent leurs ombres sur la steppe, qui voilent le soleil brûlant. (...)
Le vent ne m'arrête pas, mais il me ralentit considérablement, et je comprends instinctivement que le Seigneur des HautsVentstente de m'épuiser avant de me cueillir comme une pâquerette. Je regarde vers le ciel, et les béhémoths nuageux qui y dansent tels des géants ivres. (...)
Pendant ma chute, j'ai le temps d'observer le troupeau des gigantesques mastodontes de poussière qui semble tourner lentement au-dessus de la plaine desvents. Au loin, je crois apercevoir la mer tandis qu'audessous de moi, l'impact a balancé des milliers de tonnes de poussière dans les airs. (...)
Je grimpe les pentes de terre et de roche retournée devant moi, et arrivé au sommet, je constate que l'attaque du Seigneurs des HautsVentsm'a plus avantagée que lui. Ma chute m'a fait avancer de plusieurs kilomètres sur mon itinéraire. (...)
Tous ses assauts ne me font pas avancer, mais je survis, et j'apprends. Je finis par comprendre que le Seigneur des HautsVentsà besoins de temps pour m'attaquer de toute sa puissance, un temps que je met a profit pour reconstituer mes réserves de pouvoir, au bout de sa troisième attaque, lors de la chute vertigineuse qui la suit immanquablement, je fini par apprendre que je peux diriger plus ou moins ma chute en m'inclinant de gauche à droite et d'avant en arrière, et je comprend qu'il ne pourra pas me vaincre par ce moyen là non plus. (...)
A l'affût de l'attaque suivante, j'hésite à m'endormir, le pouvoir me soutient aisément, et je sens que je pourrais marcher encore deux bonnes journées avant de m'effondrer, mais je n'ai pas encore rencontré le Seigneur des HautsVentsen personne. J'ignore si je m'en sortirai vivant, je n'y pense pas, je me concentre sur la nuit et la journée suivante, sur les heures suivantes. (...)
Tout au plus, je prends une inspiration et soudainement une violente averse dégringole des cieux. Je suis presque déçu, néanmoins, je sais que le Seigneur des HautsVentsest un amateur de surprise, et je le suis beaucoup moins lorsque les gouttes d'eau se mettent à tomber de plus en plus dru, de plus en plus denses, et deviennent un instant plus tard une pluie de grêlons glacés, gros comme des poings, tombant à une vitesse vertigineuse, brisant des branches d'arbres épaisse comme des bras d'homme sans difficultés, transperçant, coupant les feuilles. (...)
Je ne vois pas trop ce qui pourrait m'arrêter à part le manque de pouvoir, mais justement je veux en économiser le plus possible pour le Seigneur des HautsVents, aussi je choisis la discrétion. Je me rue sur ce qui ressemble aux portes de bois des écuries. (...)
D'autres questions surgissent dans mon esprit comme à chaque coin de couloir, des questions sans réponses que j'étouffe et réprime pour garder l'esprit clair, concentré sur le danger, la tempête d'un genre différent que le Seigneur des HautsVentss'apprête à déchaîner sur moi. Une tempête de lames, de sang et de fureur. Je peux toujours entendre le vacarme, grondant par-dessus le bruit net de mes pas dans le Trône d'Orage, des cris de guerre dans la langue du nord, dans la langue de la plaine et celle des rivières. (...)
Non, tout cela n'a que pour seul but de me ralentir, de m'épuiser. Après, peut-être, le Seigneur des HautsVentsviendra seulement m'achever. Mais je ne compte pas jouer selon ses règles. Mon regard parcours le croisement baigné de lumière devant moi : luxe, jade et le pouvoir, invisible, saturant les lieux, mais enfermé dans le jade, aussi inaccessible pour moi que le soleil et la lune. (...)
Là, il n'y a plus de plaine, seulement une suite de collines, de vallées désertiques sur lesquelles planent encore de lourds nuages de poussière brune, emmenée par le vent. « Qu'ai-je accomplis là ? » Mes pensées se perdent dans le hurlement desventset je reviens au présent. Je ne prends pas la porte de la terrasse, certainement gardée Je saute sur le mur du bâtiment principal, m'accroche du bout des doigts de toutes mes forces, et je commence à grimper tel un insecte vers le temple du dragon situé au sommet. (...)
Je suis encore nimbé de lumière, aucune surprise ne m'étreint lorsque les cris des gardes s'échappent dans les airs, tentant de couvrir le bruit du vent, le bruit du glas qui résonne toujours. Ils décochent quelques flèches, mais elles n'arrivent même pas jusqu'à moi : lesventsdévient les traits qui s'écrasent non loin. Je grogne. Pas le temps de préparer mon entrée. Arrivé à deux mètres de la grande fenêtre du sommet, je me suspends par le bout des doigts sur un renfoncement infime dans le mur et m'élance. (...)
Au milieu de la grande salle ornementée d'inscriptions en langue ancienne, trône la statue d'un dragon de jade bleu, elle est entourée de cinq soldat armés de pied en cap, derrière eux, se tient un homme masqué, protégé d'une armure d'acier immaculée réfléchissante comme un miroir, les épaules couvertes d'une cape noire, aux longs cheveux tombant en une cascade de blancheur neigeuse dans son dos, et son regard, bleu et glacé comme la mort se fixe sur moi avant d'exploser dans une frénésie d'éclair. Enfin. Le Seigneur des HautsVents. La surprise joue, mais pas autant que j'espérais. J'atterris dans la salle dans une pluie de lumière solaire et de flocons de verre scintillant. (...)
L'un des gardes crie un ordre en langue du nord, je le repère par réflexe et le met soudainement en tête de liste des gens à tuer. Le Seigneur des HautsVentsne profère pas un mot, à peine pose-t-il ses mains sur les épaules de deux de ces hommes. Je hausse un sourcil, et soudain, me souviens de la Princesse Bleue, de sa main et de la force qu'elle m'a transmise par ce geste. (...)
Je serre les dents lorsque la douleur me traverse en deux éclairs rougeoyants. Mauvais. Ils sont capables de me blesser. Le Père de la princesse bleu recule avec la grâce desventsdont il est le maître, et un scintillement métallique et effilé s'échappe de sa main vers moi dans un sifflement. (...)
Le coup m'atteint à l'épaule, y trace un sillon écarlate et vient se planter dans l'un des piliers de jade derrière moi. Le rire du Seigneur des HautsVentsest une chose claire et froide comme un matin d'hiver, il retentit triomphalement. Je rugis et le pouvoir avec moi dans une explosion de lumière. (...)
J'entends le renâclement d'un aurochs tout prêt de moi, et je vois le taureau ailé se refléter dans les yeux emplis de terreur du dernier garde, juste avant qu'il ne s'enfuie en hurlant. Je reste seul au milieu du carnage. Mes yeux se portent sur le Seigneur des HautsVents. - Et maintenant.., dis-je. Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase, l'instant d'après, l'anima du Sang-dragon explose dans une fureur de vent polaire, de cristaux de neige glace et de lumière d'azur. (...)
Lorsque je frappe, mes poings crispés creusent des trous dans les murs, pulvérisent des piliers, soulèvent des vagues de poussières et répandent des ondes de choc, mais le Seigneur des Hautsventsm'est aussi inaccessible que l'azur bleu du ciel. Lui aussi manque sa cible, mais moins souvent que moi, ses dagues ont la puissance de la foudre, et sa foudre, une puissance au delà des mots. (...)
Les moins chanceux retapissent les murs, les autres s'enfuient, ventre à terre. Victoire sans objet, car la seconde d'après, le Seigneur des HautsVentsrevient à la charge, accompagné de ses foutues dagues infernales, de sa foudre et sa glace. Je pousse un cri de rage dont l'écho est sans fin. (...)
Ma voix est un grognement de bête. - Pourquoi ? Je frappe, son masque se brise, le sol s'affaisse sous nous. Le Seigneur des HautsVentsest un homme dans la quarantaine, beau, le regard bleu et glacé, la peau pâle, le visage orné d'un bouc, maintenant ensanglanté. (...)
Je me sens vide, froid. Je suis seul. Je reprends conscience. Mes yeux sont fixés sur le cadavre du Seigneur des HautsVents, il n'a plus réellement de tête. Mes yeux se posent sur mes mains, couvertes de sang jusqu'aux coudes. (...)
La seule chose qui s'approche de moi, ce sont ces quelques silhouettes de femmes, vêtues de parures magnifiques et légères, les courtisanes du Seigneur des HautsVentssans doute, qui traînent une jeune femme vaguement familière. L'une d'elle chuchote à cette dernière : « Tu le connais, toi, il est de ton village. (...)
Je regarde le gâchis autour de moi : le lupanar en ruine dans lequel j'ai atterrit, les femmes terrorisées, le vent soufflant à travers les murs et le pouvoir du lieu, brisé comme l'aile d'un oiseau. Je secoue la tête, saisis le corps du Seigneur des hauts-vents. - Nous partons, dis-je. Je franchis les portes du harem en titubant, laissant dans mon sillage des flaques de sang. (...)
De l'autre coté, dans le couloir situé au pied de l'escalier, des soldats m'attendent, armés et nombreux. Ils reculent rapidement devant moi lorsque je jette le corps de leur maître Seigneur des HautsVentsà leurs pieds. Certains s'agenouillent, d'autres pleurent, la plupart restent stupéfaits, silencieux. (...)
Lorsque nous sortons, la populace de tout ceux qui ne nous ont pas fuit nous suit. Je me retourne vers eux et je domine le hurlement desventsd'une voix forte : - Je n'étais venu que pour votre maître ! Vous avez vu ce qui est arrivé à ceux qui se sont interposés. (...)
Et tu as choisi de sacrifier les autres pour sauver tes fesses, et tous tes efforts ont échoués : Le soleil m'a élu, j'ai tué le Héraut, j'ai tué le Seigneur des HautsVents, j'ai détruit le Seigneur de la faille... Ses yeux s'agrandissent de terreur. Je continue. Brume entre dans la caverne, ne dit rien et observe. (...)
Les légendes disent que les élus du soleil et ceux des dragons sont ennemis, alors j'ai prévenu le Seigneur des HautsVentsgrâce à Brume, mais le destin... c'est injuste ! Le destin, répète-t-il, le destin... J'éclate de rire. (...)
Je franchis les collines grises et du sommet de ces dernières, je perçois une odeur humide portée par lesventsvenus du fond des mers, là où ils vont et viennent à leur guise, libres du pouvoir du Seigneur des HautsVentset portés par leurs seules volontés. Dans le ciel, le soleil brille, puissant, majestueux. J'ignore toujours pourquoi il m'a choisi, mais il m'a donné le pouvoir et je m'en servirai pour retrouver ceux que j'ai aimés. (...)