JdRP Ambiance : Le Journal de Bridget-J-ONS [3]
François-Vi-ONS était dans son bureau, la tête dans les mains, écrasé par les ennuis. Sa société secrète venait de lui communiquer une information des plus inquiétantes. La Sec Int avait eu vent des activités qui se tramaient sur le secteur et venait de dépêcher l’un de ses meilleurs agents, une certaine Bridget, dans le secteur ONS, sous un prétexte quelconque. (...)
S’extrayant de son confortable fauteuil, François-Vi se mit à arpenter son bureau à grands pas. Après dix minutes de cet exercice inutile, il décida d’aller faire un tour dans les rues du Complexe, pour s’aérer un peu et peut-être glaner quelques idées qui lui permettraient de se sortir de ce mauvais pas. (...)
Ignorant superbement le majordome-bot qui lui tendait son manteau en lui souhaitant un bon cycle, le Violet sortit de ses luxueux appartements et commença à marcher dans les rues, l’air sombre. Sur son passage, les citoyens apeurés s’écartaient servilement, baissant les yeux, terrorisés par sa simple présence et tentant de se donner un semblant de contenance en bondissant sur leurs pieds et en prenant un air occupé. (...)
Cela faisait bien longtemps que François-Vi-ONS s’était lassé de ce petit jeu. Après avoir goûté au pouvoir et au droit de vie et de mort qu’il avait sur tous ses citoyens, il s’en était lassé. On se lasse de tout, avait-il fini par conclure. C’est ainsi qu’un jour, après avoir surpris un groupe de citoyens se livrer à une activité illégale qu’il jugea intéressante, François-Vi-ONS prit le parti de fermer les yeux. Il fit arrêter les leaders, les fit exécuter, mais au lieu de démanteler le réseau de contrebande qu’il avait mis à jour, il en prit simplement la tête. (...)
Lui qui avait toujours été un membre fidèle de la Première Eglise du Christ Programmeur avait du jour au lendemain abandonné toutes ses fonctions dans cette Société Secrète vaguement tolérée par l’Ordinateur et à laquelle il était de bon ton d’appartenir pour les citoyens les plus zélés du Complexe Alpha. Après l’avoir quittée sans tambour ni trompette, il avait rejoint les rangs de Libre Entreprise, cette Société Secrète qui se livrait à toutes sortes de trafics dans le Complexe Alpha. L’attrait de l’interdit avait été le plus fort. François-Vi-ONS avait alors goûté aux joies nouvelles de l’illégalité, de la clandestinité. Lui qui avait toujours masqué aux autres son pouvoir mutant avait commencé à l’utiliser activement. (...)
Lui, le modèle d’intégrité, premier de sa promotion a l’école des clarificateurs s’était retrouvé dans la peau d’un manipulateur, vénal, calculateur et sans scrupules. Puis les cycles avaient passé. Il avait changé de Société Secrète, trahissant ses nouveaux amis de Libre Entreprise pour intégrer les Léopards de la Mort, une organisation beaucoup plus marrante… Après les Léopards, il avait rejoint Psion, puis les Romantiques, le Club Sierra, Moo et bien d’autres sociétés encore. (...)
Sans qu’il s’en rende compte, ses pas l’avaient porté jusqu’au bord de l’avenue 437bis, la plus fréquentée du secteur, celle où chaque cycle des multitudes de transbots circulaient pour aller livrer au Complexe tout entier les barres calorifiques chocolatées qui faisaient la réputation du secteur ONS. Il s’arrêta au bord du trottoir pour contempler ce spectacle d’un oeil las. (...)
Si ses petites affaires étaient dévoilées, il ne donnait pas cher de son clone. Il lui fallait à tout prix trouver une solution, mais laquelle ? - « Je te dis que c’est un boulon de 12. - Les boulons de 12, on en a plus. Tu es sûr que ce n’est pas un boulon de 12,3 ? - Non. Les boulons de 12,3, ils ne sont plus en service depuis longtemps. Il nous faut du 12, ou à la rigueur du 12,08. - Pourtant… - Ecoute, on va pas y passer le cycle nocturne. Il reste 36 frotbots à faire après celui-là. Si un simple boulon de 12 nous arrête, j’aime autant ne pas penser à la botte Orange qui est coincée dans le Ciro-bot. (...)
Ils la retransmettaient en direct hier soir dans « Ca s’est passé dans votre secteur ». - Bon, tout ça ne nous dit pas ce qu’on va faire avec ce boulon de 12. - On en a vraiment besoin ? - On pourrait bâcler le travail, mais… - Je t’ai connu moins pointilleux. - Oh, ca va. - Y’en a pas besoin, de ce boulon. Au pire, la brosse se redétachera et quelqu’un ramènera le frotbot ici. C’est pas grave. Ca arrive tout le temps. » Booz-O-ONS fit coulisser le chariot sur lequel il s’était allongé et s’extirpa de dessous le frot-bot sur lequel il travaillait ; il jeta un regard sévère à Phil-O-ONS. (...)
Sa forte corpulence et son visage poupin lui donnaient d’habitude un air débonnaire, mais Phil put voir qu’il était contrarié. - « Tu ne crois pas qu’on leur a fait assez souvent le coup ? fit Booz. - Ils ne se sont rendu compte de rien jusqu'à présent, non ? - Mouais… - Ecoute, on va pas s’embêter. Tu fais comme d’habitude. Tu mets un bout de chewing-gum aux algues à la place de ce boulon, et baste. On passe au suivant. » Booz fit une moue dubitative et repassa sous le frot-bot. - « Ouais, bon. On va dire que ca ira pour cette fois. (...)
Mais je te dis qu’un jour, ca va finir par se voir. - T’en fais pas. - On a quand même peut-être un peu abusé. Et si c’était juste les boulons de 12, encore... Enfin, je veux dire… La pompe à cacao branchée directement sur la machine personnelle du Violet, c’était déjà risqué. (...)
Et puis il a vraiment un air totalement idiot. - Aargulllu… kof kof… - Ce n’est pas lui qui ferait mieux en réparations de transbots. Je suis sûr qu’il n’en a même jamais utilisé un de sa vie. Ces ahuris, ils passent leurs cycles à se prélasser ; ils ne savent rien faire de leurs dix doigts et… » Une voix grave et monocorde, qui n’était pas celle de Phil-O, vint couper le bavardage de Booz. - J’ai commencé à la TECH, lorsque j’étais jeune, avant d’être affecté à l’UCT. Je m’y connais encore un peu. Evidemment, je ne m’occupais pas de transbots ni de frotbots, mais je suis sûr que je pourrais m’y retrouver. Les mécanismes de tapis roulants du Centre d'Extermination Sommaire et ceux des chenilles de transbots présentent d’étonnantes similarités. Mais qui sait, vous aurez peut-être l’occasion de le vérifier par vous-même. Booz ressortit de dessous le frotbot et manqua de s’étrangler en voyant François-Vi-ONS qui se tenait derrière un Phil pâle comme un linge. D’un air tranquille, le Violet continua : - Bon cycle, citoyens. Alors, des ennuis avec les boulons de 12 ? Vous trouvez que l’Administration ne vous fournit pas assez d’équipement ? - Beuuh… - Beeeen… - Si vous estimez que votre bonheur n’est pas parfait, vous savez, il existe des formulaires d’auto-dénonciation… - Chef, nous… - Chef, vous… - Mais passons. (...)