JdRP Ambiance : Une époque formidable : la politique sous la IIIème République dans toute sa richesse...
Ce régime, nul n’aurait parié à la chute du Second Empire qu’il serait le plus long depuis la Révolution. (...)
Il le fut, mais non sans de longues hésitations, d’interminables querelles, d’âpres combats, des compromis constants, des alliances surprenantes. La république conservatrice et la crise du 16 mai 1877 Après la capitulation, l’essentiel de la classe politique songeait à réinstaurer une monarchie. Monarchie de droit divin sur le modèle de la Restauration pour les légitimistes, monarchie constitutionnelle libérale pour les Orléanistes, voire, un IIIème Empire pour les Bonapartistes... Face à des conservateurs divisés, les républicains ne l’étaient pas moins : républicains modérés autour d’Adolphe Thiers et radicaux autour de Gambetta. Les radicaux avaient fustigé l’accord de paix et prôné la poursuite de la guerre à outrance. Or, la guerre, les Français n’en voulaient plus. Qui plus est, l’épisode de la Commune contribua à une assimilation de la gauche au désordre. C’est donc une assemblée de notables qui fut élue en février 1871 : les monarchistes étaient deux fois plus nombreux que les républicains à la Chambre... Paradoxal dans une république ! Il était entendu que cette république serait provisoire. Pourtant, Adolphe Thiers, chef de l’Etat, parvint à réaliser une union en apparence contre-nature : la conjonction des centres, les Orléanistes libéraux - ses anciens amis - et les républicains modérés - auxquels il s’était rallié « par raison ». Toutefois, une partie des monarchistes libéraux reprochait à Thiers son incapacité à contrarier les succès des radicaux aux élections partielles. Il fut contraint de démissionner le 24 mai 1873. Le maréchal de Mac-Mahon, légitimiste, est élu à la présidence de la République le soir même. Il charge Albert de Broglie (prononcez : de Breuil), Orléaniste qui avait pris la tête de l’opposition à Thiers, de former un gouvernement qui est passé à la postérité sous le nom « d’Ordre moral ». Par ses mesures aussi autoritaires que maladroites, ce gouvernement a assuré bien malgré lui la propagande des républicains. Conservateur certes, uni pour la défense de la hiérarchie sociale, des intérêts des classes dirigeantes, de la place de l’Eglise dans la société, ce gouvernement d’Ordre moral manque toutefois singulièrement d’unité. Malgré l’invitation qui lui est faite par le gouvernement de monter sur le trône de France, le comte de Chambord refuse les « garanties » exigées par les Orléanistes, à savoir le maintien du parlementarisme et du drapeau tricolore. Les légitimistes ne pouvaient pardonner à de Broglie un tel échec : ils s’allient aux républicains et aux bonapartistes pour faire chuter le gouvernement le 16 mai 1874. La République était encore provisoire. Une nouvelle coalition des centres se dessine : déçus par la politique réactionnaire de l’Ordre moral, les Orléanistes, restés attachés à la liberté, s’étaient rapprochés des républicains. Le 30 janvier 1875, après six mois d’âpres débats stériles, les députés votent, à une voix de majorité seulement, le fameux amendement Wallon : « Le président de la République est élu (...) par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. » A partir de ce texte, la République de fait cède la place à la République de droit. Entre la monarchie impossible et l’Empire abhorré, il ne restait plus à l’Assemblée, pour reprendre les termes de Wallon, qu’à prendre « ce qui existe » ; trois lois constitutionnelles sont votées de février à juillet 1875 ; « à reculons, commenta Gambetta, nous entrons dans la République ». JPG - 20 ko La République fut fondée par la voie de l’opportunisme ; c’est toutefois le mérite de Gambetta d’avoir su militer au sein de son propre camp pour une alliance avec les plus modérés des conservateurs, fussent-ils monarchistes. D’ailleurs, les lois constitutionnelles de 1875 sont indiscutablement le fruit d’un compromis : elles fondaient un régime parlementaire conservateur qui pouvait convenir aussi bien à une république qu’à une monarchie libérale. A la vérité, par-delà l’opposition des monarchistes et des républicains, les centres avaient imposé l’avenir libéral et parlementaire du régime. Cependant, grand paradoxe de cette période, la République restait aux mains des monarchistes. Début 1876, les élections sénatoriales et législatives changent la donne et préparent la crise. Le gouvernement pouvait s’appuyer sur une faible majorité au Sénat, mais les républicains emportaient 360 sièges à l’Assemblée, n’en laissant que 150 aux conservateurs dont 75 aux bonapartistes. Cependant, les deux présidents du Conseil qui se succèdent - Duffaure, orléaniste rallié, et Jules Simon, républicain modéré - éprouvaient des difficultés à réfréner les velléités des députés, en particulier sur le terrain anticlérical. La crise du 16 mai 1877 fera date et est restée dans les mémoires des républicains tout au long du régime : le président Mac-Mahon envoie à son président du Conseil une lettre de réprimande dans laquelle il se demande « s’il a conservé sur la Chambre l’influence pour faire prévaloir ses vues ». Jules Simon démissionne. Mac-Mahon rappelle de Broglie aux affaires ; mais la situation avait changé depuis l’Ordre moral. Le 16 juin, il est mis en minorité et démissionne. Mac-Mahon décide alors de dissoudre l’Assemblée, geste interprété par les républicains comme un véritable coup d’Etat. Au cours de la campagne électorale qui suivit, le ministère de l’Intérieur rappela aux préfets leur devoir « d’éclairer le corps électoral ». Certains conservateurs même jugèrent excessif le zèle de certains préfets. Mais cette politique bien peu démocratique valut plus d’impopularité au gouvernement qu’elle n’entrava la campagne de ses adversaires. En outre, la situation diplomatique était favorable aux républicains : les menées de la droite ultramontaine en France faisaient craindre une guerre avec l’Italie - au sujet de la Question romaine - et contre l’Allemagne - au sujet du Kulturkampf. Les conservateurs ne représentaient donc plus l’ordre et la paix. A l’issue du scrutin, les républicains conservaient une très confortable majorité. Dans un message adressé à la Chambre, Mac-Mahon convenait que « le droit de dissolution » ne saurait constituer « un système de gouvernement ». De fait, le droit de dissolution ne fut plus utilisé sous la IIIème République, ni même sous la suivante. Quant aux républicains, l’épisode les convainquit que les notions d’autorité et de démocratie étaient foncièrement antinomiques ; d’où l’extrême discrétion des hommes qui se succédèrent à l’Elysée jusqu’à De Gaulle. Dans un premier temps, le président de la République - pour reprendre une expression utilisée par Gambetta au cours de la campagne - dut se soumettre, chargeant le républicain Duffaure de former un gouvernement. Mais il préféra se démettre le 30 janvier 1879. Jules Grévy, vieux républicain, fut élu par le Congrès. Au cours du mois suivant, La Marseillaise retrouvait son statut d’hymne national, à la dérobée, comme la République s’était imposée, puisque c’est le ministre de la Guerre qui invoqua le décret du 26 Messidor an III, qui n’avait juridiquement jamais été abrogé. L’année suivante, la République adoptait le 14 juillet comme fête nationale. Deux mesures pour rappeler l’origine clairement révolutionnaire du régime. Le 14 juillet 1880, à Longchamps, le président de la République remettait un drapeau tricolore à chacun des régiments de l’armée. Dans les jours suivants, les Communards furent amnistiés. Après dix ans d’incertitude, la crise du 16 mai avait permis à la République d’exister. Une victoire certes, mais le 16 mai n’avait certainement pas balayé la réaction et le régime avait encore des ennemis virulents. La République opportuniste Le combat contre le camp conservateur demeure une priorité pour les républicains. A l’issue de la crise du 16 mai, les conservateurs se trouvent dans une situation très inconfortable. Toujours aussi divisés, ils perdent progressivement tout espoir de restauration : le prince Eugène, fils de Napoléon III, est tué en 1879, et le comte de Chambord, dernier descendant des Bourbons, s’éteint en 1883. Ils mènent donc une opposition parlementaire très molle et ne retrouvent de la vigueur que pour la défense des intérêts de l’Eglise ou des milieux d’affaire. Même sur ces dossiers délicats, ils ont continuellement besoin de trouver des alliances, que ce soit avec les plus modérés des républicains, voire avec les radicaux. Car l’opposition à la République ne vient plus seulement du camp des conservateurs. Les radicaux sont désormais dans l’opposition. Car ils se définissent comme des hommes de principes qui ne peuvent se satisfaire des compromis que consentent les républicains de gouvernement, qu’ils appellent « opportunistes » ; eux-mêmes s’intitulaient « progressistes » parce qu’il allait de soi que la République allait vers le progrès. Mais être progressiste signifiait surtout ne pas être radical ! Le conflit qui oppose un Ferry et un Clémenceau, deux hommes aux idées pourtant très compatibles, en est une très bonne illustration. JPG - 23.9 ko Aux radicaux s’ajoute progressivement une extrême-gauche, encore embryonnaire dans les années 80, d’inspiration prolétarienne, voire communarde. Certes les opportunistes avaient finalement accepté d’amnistier les Communards. Mais les Communards n’étaient pas disposés à oublier les massacres de mai 1871 ; en réprimant si violemment la Commune, Thiers a ainsi inscrit une fragilité dans la construction de la République. D’autre part, les milieux d’affaires, jusque là proches des idées libérales des Orléanistes, avaient progressivement délaissé le camp conservateur pour se rapprocher des républicains modérés. Aux yeux de l’extrême-gauche donc, la République est une république bourgeoise, et ils sont bien décidés à utiliser les libertés qu’elle leur offre pour la combattre et revendiquer la révolution sociale. En somme, ce sont deux concepts révolutionnaires qui s’opposent : celui hérité de 1789 et celui hérité de 1870. L’échiquier politique est donc ternaire. Ce n’est pas droite contre gauche, départagées par un centre. C’est une gauche de gouvernement, cherchant continuellement des appuis parmi les plus modérés de ses adversaires, opposée à une droite monarchiste et à une extrême-gauche prolétarienne. Encore faut-il s’entendre sur le vocabulaire et éviter tout anachronisme. (...)
En premier lieu, les termes de « gauche » et de « droite » n’étaient employés qu’au pluriel, tant les pluralités au sein de ces familles politiques étaient perceptibles. On lui préférait d’ailleurs d’autres termes : « conservateurs » (« cléricaux » pour leurs ennemis), les républicains modérés, le centre-gauche (c’est-à-dire la droite ralliée à la République), etc. Enfin il est dangereux d’essayer de lire ces clivages à la lumière de ceux que nous leur connaissons aujourd’hui. Ainsi, pour les citoyens de la IIIème République, un homme comme Adolphe Thiers est incontestablement de gauche - puisque républicain -, quand la gauche d’aujourd’hui ne voit en lui que le boucher de la Semaine sanglante... Les grandes familles composant le paysage politique sont cependant très floues. Il n’existe pas encore de partis politiques au sens moderne du terme. (...)
Au demeurant, l’idée qu’un parti puisse dicter une ligne directrice aurait été choquante pour les républicains d’alors, qui estimaient qu’un élu n’avait de compte à rendre qu’à ses électeurs. C’est aussi ce qui explique l’instabilité gouvernementale de la IIIème République. Bien plus que les élections législatives, ce sont les alliances de circonstance et les événements qui causent la chute des gouvernements. (...)
Lorsqu’un cabinet brillait par sa longévité, tels les ministères Ferry, Freycinet, Waldeck-Rousseau, Clémenceau, c’était pour avoir accompli « l’exploit » de rester plus de 24 mois aux affaires… La plupart ont dû se contenter d’une année à la tête du gouvernement. D’autres n’ont pas eu cette chance : le « grand ministère » Gambetta a été renversé moins de trois mois après avoir été nommé ! (...)
En fait, cette caractéristique n’est pas surprenante étant donné l’attachement de la majorité des républicains au caractère parlementaire du régime. Nombres de radicaux, à l’exemple de Clémenceau, souhaitaient même obtenir la suppression du Sénat et de la Présidence ; mais ils n’obtinrent jamais la majorité nécessaire pour réviser les lois constitutionnelles de 1875. L’exemple de Gambetta, une des plus grandes figures de la République, montre aussi à quel point ces républicains se méfiaient de la popularité qui était, pensaient-ils, la porte ouverte au césarisme et à la dictature. Lorsqu’il fut enfin appelé aux affaires, il ne réussit à convaincre aucun des hommes politiques de grande notoriété à s’agréger à son équipe - d’où le qualificatif ironique de « grand ministère » Gambetta. La crainte du césarisme avait d’ailleurs été grandement alimentée par l’affaire Boulanger. (...)
Le général Boulanger, issu d’une famille républicaine, avait été nommé à la tête du ministère de la Guerre dans le gouvernement Freycinet, en 1886. Son charisme et sa prestance lui valurent une très grande popularité dont témoigne la fameuse revue du 14 juillet 1886 à Longchamps, au cours de laquelle il concurrença, au registre des acclamations, le président de la République lui-même. Charismatique, énergique, certes, l’homme manquait toutefois singulièrement de diplomatie ; ainsi, suite à des propos maladroits sur l’Allemagne - propos que ne pouvait accepter la politique prudente des opportunistes - il fut évincé. Malgré cela, sa popularité ne cessait de croître, surtout suite au scandale des décorations, qui compromettait le gendre du président Grévy : Boulanger paraissait un modèle de vertu au sein d’une classe politique corrompue. Une coalition hétéroclite se forma autour de Boulanger : de la droite à l’extrême-gauche, tout ce que l’opinion comptait d’hostiles au régime se joignirent à son programme - « dissolution, constituante, révision ». L’année 1889 est marquée par la lutte du gouvernement contre le boulangisme : on songea à le faire traduire devant la Haute-Cour pour complot contre l’Etat. Averti à temps, le général choisit l’exil en Belgique en compagnie de sa maîtresse, Marguerite, sur la tombe de laquelle il s’est suicidé deux ans plus tard. Clémenceau, qui avait le sens des formules, a proposé une épitaphe : « il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant. » Autre signe de cette crainte du césarisme, l’Elysée ne reçut aucun locataire de première importance jusqu’à l’élection de Charles de Gaulle. Clémenceau disait volontiers qu’à chaque fois que le Congrès se prononçait pour faire l’honneur de l’Elysée à l’un des leurs, il donnait sa voix au plus bête ! Il n’était pas le seul à se méfier de l’influence politique que pouvait conférer cette charge ; il en a été lui-même victime à la fin de Grande Guerre. La valse des ministères, n’empêcha toutefois pas une politique très cohérente. En effet, les républicains étant largement majoritaires ; c’est un programme résolument républicain qui fut appliqué. (...)
L’action des républicains Après les mesures de grande portée symbolique évoquée plus haut, on s’attacha à défaire tout ce que les gouvernements conservateurs avaient fait et qui paraissait contraire à l’idéal républicain : loi sur la liberté de la presse, autorisation des syndicats et des organisations professionnelles, loi sur les débits de boisson - hauts lieux de sociabilité et de débat politique, ce qui n’avait pas été du goût de l’Ordre moral -, loi municipale donnant aux conseils municipaux les prérogatives que nous leur connaissons aujourd’hui. « Ce libéralisme républicain (. (...)
2 ko En 1877, Gambetta avait annoncé à la Chambre : « le cléricalisme voilà l’ennemi. » Certes l’Eglise s’était fort bien accommodée de la IIème République, mais on ne pouvait pas oublier qu’elle avait béni le 2 Décembre, le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte. (...)
De même qu’on n’oublierait pas que le clergé avait soutenu majoritairement la réaction le 16 mai. « On a fait de Dieu un homme politique, pouvait-on lire dans Le Journal des Débats, il siège à droite. » Pour la majorité des républicains, les dogmes de l’Eglise montraient qu’elle était incompatible avec la modernité. Certes l’essentiel avait été fait en 1830 puisque la monarchie de Juillet avait rejeté l’idée d’une religion d’Etat. Mais il fallait libérer les esprits de son emprise. La République annonçait dès 1877 un programme clairement anticlérical, et elle l’appliqua. La première partie de ce programme fut mise en oeuvre par Jules Ferry. (...)
Jules Ferry paraît trop tiède aux yeux de bien des anticléricaux, et trop extrémiste de l’avis de certains républicains modérés - tel Jules Simon qui appela le Sénat à voter contre l’article VII, preuve que les familles politiques n’étaient pas très clairement définies. Sa politique de laïcisation, quoique ferme, mais sans agressivité outrancière, a volontiers recours à la négociation discrète et au compromis. (...)
Mais l’école républicaine a incontestablement constitué un déblocage qui pouvait permettre des promotions sociales notables sur trois, voire deux générations. La République radicale L’affaire Dreyfus marque un tournant dans l’histoire de la IIIème République. En 1895, le capitaine Dreyfus est dégradé et déporté en Guyanne pour trahison. Devant la faiblesse du dossier de l’accusation, l’état-major avait permis des fuites dans la presse antisémite et constitué un « dossier secret » qui fut communiqué dans la salle des délibérés, à l’insu de la défense. (...)
Les deux camps s’affrontent en fait sur deux conceptions antinomiques de la France : pour les antidreyfusards, la raison d’Etat prime sur l’intérêt individuel ; pour les dreyfusard, au contraire, la justice et le respect du droit sont les valeurs qui fondent la République et l’honorent. Or, à la fin de l’Affaire, c’est la conception des dreyfusards qui prévaut. Il n’y eut aucun renouvellement de l’Assemblée du début de l’Affaire à la révision. Mais progressivement, grâce aux efforts de quelques hommes politiques (Scheurer-Kestner, Clémenceau, Blum) et hommes de lettres (Zola, Proust, Anatole France) les radicaux et une partie du centre rejoignent le camp des dreyfusards, ainsi que l’extrême-gauche qui, à l’origine, n’y voyait qu’une querelle de bourgeois ne concernant pas la classe ouvrière. Au lendemain des élections de 1902, on constate combien l’Affaire a bouleversé le paysage politique français : la « défense républicaine » est plébiscitée (366 sièges dont 219 pour les radicaux et radicaux-socialistes, contre 22 à la droite). « Ils sont trop nombreux » aurait déclaré le président du Conseil, Waldeck-Rousseau, avant de se retirer quelques jours plus tard en raison de son état de santé. Le « petit père » Combes, vieux radical provincial et ancien séminariste, le remplace. A Chambre radicale, gouvernement radicale, et… politique radicale !. On prend immédiatement des mesures contre les congrégations, et la lutte contre les cléricaux qui, il est vrai, s’étaient montrés fort peu discrets pendant l’Affaire, reprend avec d’autant plus de vigueur, sans laisser de place au compromis : « je n’ai pris le pouvoir que pour cela » aurait un jour déclaré Combes. Cette politique conduit à la liquidation pure est simple de la question : en 1905 la loi de Séparation dénonce le Concordat de 1801. Toutefois, sur le terrain social, la politique de Waldeck-Rousseau, de Combes et plus encore de Clémenceau, est beaucoup moins radicale. La liberté syndicale était légale depuis 1884, mais les autorités se souciaient peu de contrôler son respect dans les entreprises. Un certain nombre d’avancées non négligeables étaient dues aux précédents gouvernements opportunistes : suppression du livret ouvrier en 1890, loi sur le travail des femmes en 1892, responsabilité patronale dans les cas d’accident du travail en 1898. D’autres chantiers sont plus laborieux : la loi sur les retraites n’aboutit qu’en 1907 et celle sur l’impôt sur le revenu en 1917, toutes les deux après plus de vingt ans de débats. Pour se faire entendre, la classe ouvrière n’a qu’une arme : la grève. Or un gouvernement, fût-il radical, a aussi besoin de rassurer les milieux d’affaires en assurant l’ordre et en protégeant l’outil de travail. (...)
D’une certaine façon, la création des CRS dans les années 50 a constitué une avancée sociale ! Car la IIIème République est aussi celle qui, à Fourmie, fit tirer sur les grévistes le 1er mai 1891. La participation du socialiste Millerand au gouvernement de Waldeck-Rousseau avait séparé l’extrême-gauche entre ceux, tel Jean Jaurès, qui étaient plus républicains que révolutionnaires, et ceux, tel Jules Guesdes, qui étaient plus révolutionnaires que républicains. JPG - 39. (...)
Une première lézarde dans le Bloc des gauches survient en 1906, quand les craintes d’une guerre contre l’Allemagne resurgissent : l’antimilitarisme ouvrier devient alors une arme politique quand, en avril, Gustave Hervé déclare « notre patrie, c’est notre classe », et que plusieurs personnalités d’extrême-gauche annoncent que les ouvriers ne prendront pas les armes pour défendre les intérêts de la bourgeoisie. (...)
Qui plus est, la gauche radicale veut ménager la fraction du monde des affaires rallié à la campagne anticléricale. La victoire des radicaux lors des élections de 1906 est une nouvelle étape dans la désagrégation du Bloc des gauches. Clémenceau, l’aile gauche radicale, est chargé de constituer un gouvernement, soutenu par Jaurès qui y voit une étape avant le socialisme. Seulement, le Tigre est aussi et avant tout un homme d’ordre, et c’est parfois avec une très grande violence qu’il répond aux agitations sociales des années 1907-1908, ce qui lui a très vite valu le surnom de « premier flic de France ». (...)
Le conflit de classes reprend bien vite le dessus et la classe ouvrière dut bien se faire à l’idée que, la question cléricale liquidée, les radicaux ne souhaitaient aucunement remettre en question l’ordre social du pays. En 1914, le régime est toujours contesté par une droite, certes devenue très minoritaire. Mais il se trouve largement consolidé. (...)