JdRP Aides de Jeu : Une bien belle époque... (1)
Belle Epoque... D’où vient cette désignation inattendue ? Elle apparut dans l’immédiat après-guerre pour désigner le temps « d’avant », d’avant l’horreur, le temps d’avant les incertitudes et les détresses, un temps où l’avènement de la République, la prospérité économique, l’espoir que la science et le progrès promettaient un âge d’or. De fait, il est depuis habituel de définir la Belle Epoque comme étant la période de prospérité générale en France entre 1900 et 1914. Certes, les historiens ne s’entendent pas forcément sur la date marquant le début de cette période de notre histoire nationale. Mais en fait, peu importe pour notre propos. Concentrer notre attention, dans les lignes qui suivent, sur la première décennie du XXème siècle, ce serait s’interdire de comprendre un bon nombre de caractères de la Belle Epoque. C’est d’autant plus nécessaire que les personnages de Maléfices sont, la plupart du temps, nés dans les premières années de la IIIème République, voire sous le second Empire, et ont connu ces heures d’incertitudes et d’âpres combats. Ainsi, il faut rappeler la longue lutte pour instaurer la République : dans les années 1900, un républicain se souvenait encore de la crise du 16 mai 1877 et savait, si besoin était, la rappeler à la mémoire d’un clérical. Loin de prétendre remplacer la présentation proposée par Michel Gaudo dans les règles de Maléfices, cet article est complémentaire : il essaie cependant d’aller plus loin que la simple présentation des événements, ce qui le rendra peut-être moins abordable pour ceux qui ne sont pas férus d’Histoire. Rassurez-vous, nous ne pourrons toutefois pas entrer dans les détails d’une histoire aussi complexe que tumultueuse en quelques pages. La plupart du temps, nous nous limiterons à l’évocation. (...)
En définitive, nous souhaitons alimenter une réflexion sur cette période passionnante et lancer, par des conseils bibliographiques, des pistes sur lesquelles les joueurs de Maléfices, et plus particulièrement les meneurs de jeu, tireraient de grands bienfaits à s’engager. UNE BELLE EPOQUE ? La Belle Epoque marque la fin d’un long XIXème siècle d’incertitudes : entre le Consulat et l’avènement de la IIIème République, pas moins de cinq régimes se sont succédés. Sans parler des guerres napoléoniennes, la France s’était retrouvée engagée dans plusieurs conflits : la conquête de l’Algérie en 1830, la guerre de Crimée en 1854-1855, la campagne d’Italie en 1859 contre l’Empire austro-hongrois et la calamiteuse guerre de 1870 contre la Prusse. Le lourd héritage du XIXème siècle finissant : Après la défaite de 1870, Bismarck avait imposé, outre la reconnaissance du IIème Reich allemand et l’annexion par le jeune empire de l’Alsace-Lorraine, le paiement d’une très lourde indemnité de guerre. Le chancelier voulait mettre la France à genoux. Ce fut un échec : l’économie française se révéla capable de payer rapidement le lourd tribut exigé par les vainqueurs. Mais elle n’a pu résister à la récession des années 1890. Après des années marquées par le triomphe des idées libérales et saint-simoniennes, la France est alors contrainte à une politique protectionniste : le verrou Méline - instauration de droits de douane et protection des petites propriétés paysannes, verrou qu’il convient toutefois de relativiser - est mis en place en 1892. Le XIXème siècle avait été marqué par un très fort recul de l’analphabétisme et la diffusion, dans toutes les couches de la société, d’une culture écrite de masse grâce au progrès technique qui permettait de produire ouvrages et périodiques pour des coûts de plus en plus dérisoires. La vision que les contemporains ont du monde lui-même tend à changer. Certaines découvertes, telle la théorie de l’évolution des espèces par Darwin en 1859, remettent totalement en question le texte biblique. Avec des penseurs tels que Comte, Taine ou Renan, on voulait croire que l’on en avait fini avec les croyances et les superstitions d’autrefois. Nombres de penseurs vont même jusqu’à suggérer que la science sera un jour capable tenir le rôle social de la religion. Pourtant, les années 1870 sont marquées par un retour du phénomène religieux. Outre l’intense besoin d’expiation qu’éprouvent nombre de catholiques (fille aînée de l’Eglise vaincue par une puissance protestante, pape « prisonnier de son palais du Vatican » et violences de la Commune), l’alliance du trône et de l’autel, qui avait marqué la Restauration et le second Empire, attise le militantisme du clergé à l’heure de choisir de nouvelles institutions pour la France. Qui plus est, ces années correspondent à l’apogée de l’ultramontanisme et de la mainmise de Rome sur les églises nationales (l’Infaillibilité pontificale est adoptée par le concile de Vatican en 1870). (...)
Malgré l’action des loges maçonniques et des associations de libres-penseurs, ce retour au religieux sépare durablement la population française. Dans les campagnes, les superstitions perdurent, et dans les villes de nouvelles apparaissent : celles qui ont pour initiateurs des gens tels que Allan Kardec ou Papus. (...)
Mais aux yeux de bien des contemporains, le plus lourd héritage du XIXème siècle tient à la démographie française. Emile Zola avait publié dès 1896 dans Le Figaro, un article intitulé « Dépopulation » fustigeant les modes de vie bourgeois dans lesquels l’avoir avait remplacé l’être. La jeune science démographique lance des cris d’alarme : la population française, de 38.500.000 en 1896, atteint péniblement les 39.600.00 quinze ans plus tard. C’est bien peu face à la population allemande - référence obligée au cours de la Belle Epoque - qui croît de 500.000 âmes par an. Pire encore, la croissance démographique française n’est plus assurée que par une immigration, en grande partie italienne. En fait, la France a simplement passé le cap de la transition démographique plus rapidement que ses voisins européens - phénomène auquel, par de multiples facteurs qu’il serait long d’exposer, la Révolution n’est pas étrangère. Mais ce problème était durement ressenti par bon nombre de nos compatriotes du début du siècle, d’autant plus que les idéologues néo-malthusiens, vigoureusement condamnées par les nationalistes, rêvaient de rendre toute guerre impossible en diminuant la masse de « chair à canon ». Mais dans la pratique, c’est sans aucun doute grâce au progrès social et à la recherche d’une vie meilleure que les habitudes contraceptives de la bourgeoisie s’étaient diffusées dans les milieux populaires, autrefois si féconds. L’amélioration des conditions de vie : Les Français connaissent en effet, dans la deuxième moitié du XIXème siècle une incontestable amélioration des conditions de vie. (...)
Ces nouvelles conditions de vie sont à porter au crédit des sciences, en particulier de la médecine, et à la diffusion de nouvelles notions d’hygiène que l’instruction obligatoire et le service militaire contribuent à généraliser. A la fin de la Belle Epoque, le niveau de vie moyen des Français est supérieur à celui des Allemands et presque au niveau de celui des Anglais. (...)
Après la crise économique de la fin du XIXème siècle, les premiers signes de reprise sont perceptibles dès les premières années du XXème siècle ; après 1907, la croissance s’accélère pour atteindre son dynamisme maximal à la veille de la Grande Guerre. En une décennie, la France gagne un rang de grande puissance industrielle, réduit l’écart par rapport à l’Angleterre et l’Allemagne. L’économie du pays s’appuie sur l’industrie lourde : charbon - dont on oublie souvent de mentionner que la France est très peu pourvue en comparaison de ses concurrents -, acier, métallurgie. Mais l’industrie française souffre de faiblesses structurelles : les mentalités restent encore très attachées à la petite propriété. On rencontre encore peu de concentrations industrielles comparables à celles que l’on peut voir en Angleterre et en Allemagne. Au début de la IIIème République, le pays, par de nombreux aspects, présente le visage d’une société préindustrielle. La situation à la veille de la guerre n’en est que plus étonnante. Mais l’économie française est aussi très contrastée. En premier lieu, contrairement à leurs voisins allemands et anglais, les Français sont encore majoritairement des paysans. Sur le plan industriel, les secteurs de pointes côtoient des industries plus anciennes qui n’ont pas toutes été aussi réceptives au progrès et à l’innovation. L’économie française est une économie à deux vitesses. Ainsi Paris est déjà une ville démesurée à l’échelle du pays : elle concentre 2,9 millions d’habitants en 1911 (à titre de comparaison Marseille atteint difficilement le demi-million) et un sixième des emplois industriels ; dans le département de la Seine, la fortune privée moyenne est trois fois plus importante que la moyenne nationale. A une échelle plus réduite, le même contraste se lit dans toutes les régions entre villes et campagnes. A l’échelle du pays, on distingue clairement un Nord-Est très industrialisé, dynamique, concentrant l’essentiel des richesses du pays, séparé par une ligne Cherbourg-Marseille à un Sud-Ouest encore majoritairement rural et agricole. Il faut donc se garder d’un tableau trop idyllique de la Belle Epoque. Rappelons cependant que l’industrie française, qui avait célébré la fée Electricité lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1900, était aussi capable d’exceptionnelles innovations, en particulier dans les industries de pointe : la France est, au début de la Belle Epoque, le pays de l’automobile, de l’aviation, du cinéma. L’automobile, soutenue par une forte demande urbaine, perce : on compte plus de 24.000 automobiles immatriculées en 1906, ce qui place le parc français au deuxième rang derrière celui de la Grande-Bretagne. La France regagne une place dans le concert des Nations : Ces multiples comparaisons que nous faisons avec les pays voisins ne sont pas innocentes. Les contemporains eux-mêmes les faisaient. Après la défaite de 1870, Bismarck avait voulu affaiblir la France et l’isoler pour le plus grand profit du jeune empire allemand. Les dirigeants français, malgré les interminables et complexes divisions du pays, cherchèrent à permettre à la France de regagner sa place dans le monde. Parce que la défaite avait été humiliante et qu’il fallait préparer la Revanche, l’armée fit l’objet de soins particuliers. En 1872, une loi institua l’universalité du service militaire en fixant sa durée à cinq ans ; mais en raison de l’incapacité des armées à accueillir un si grand nombre de conscrits, on remit en place le principe du tirage au sort : 5 ans pour les uns, 1 an pour les plus chanceux. En outre de multiples dispenses étaient accordées aux fonctionnaires, aux ecclésiastiques, aux étudiants. (...)
Réduite à deux ans en 1905, la durée du service fut ramenée à trois ans en 1913 par crainte d’un conflit avec l’Allemagne. Dès 1873, on réorganisa la mobilisation. Ainsi, en 1914, l’état-major pouvait théoriquement compter sur un effectif de 3,6 millions d’hommes. (...)
En 1874, d’importants crédits furent alloués aux fortifications de la frontière. En 1875 fut créée l’Ecole de Guerre pour améliorer le niveau de qualification technique des officiers d’état-major. Tous les matériels furent améliorés. (...)
Les contemporains pouvaient légitimement s’enorgueillir de la prouesse technique que constituait le fameux « canon de 75 ». L’armée de la France de la Belle Epoque pouvait sans aucun doute affronter l’armée allemande ; c’est moins la qualité de nos armées qui expliquent les déboires des premières semaines de la Grande Guerre que d’importantes erreurs tactiques, voire stratégiques. C’est dans les colonies que les militaires français de la Belle Epoque faisaient leurs preuves. En effet, sous l’impulsion de Jules Ferry, la République s’était lancée dès 1880 dans une ambitieuse politique coloniale suivant, pour reprendre les propres termes de son initiateur, « le devoir des races supérieures de civiliser les races inférieures ». Les Français étaient, dans leur majorité, très fiers de leur empire. Il y eut certes des oppositions ; elles étaient cependant moins dictées par des considérations éthiques que par la nécessité, selon certains, de garder le regard sur « ligne bleue des Vosges ». (...)
L’empire colonial offrait un partenaire commercial de premier ordre et explique, en partie tout au moins, l’enrichissement du pays au cours de cette période. Il importait surtout au pays de sortir de l’isolement diplomatique que lui avait imposé l’Allemagne bismarckienne. Dès 1891, la Russie, redoutant l’alliance des empires austro-hongrois et allemand, se tourna vers la France. Un accord, conclu l’année suivante, désignait clairement l’ennemi commun : l’Allemagne. On pensait alors en France qu’en cas de guerre, « le rouleau compresseur » russe serait indispensable pour assurer la victoire. C’est ce qui explique cette alliance quasi-contre-nature entre la jeune république - revendiquant l’héritage des Lumières - avec le plus autocratique des Etats européens. L’école de Jules Ferry en A.E.F. : Le rapprochement avec l’Angleterre fut plus lent et plus délicat. La France contrariait les ambitions coloniales britanniques ; la crise de Fachoda en 1898 avait d’ailleurs bien fait craindre une guerre entre les deux pays. Mais la Grande-Bretagne, comme la France, ne cachait pas ses inquiétudes, dès le tournant du siècle, face à la Weltpolitik de Guillaume II. Les négociations aboutirent à un accord en 1904 qui réglait les différends coloniaux. (...)
En 1912 fut signée une convention militaire ; toutefois, le gouvernement britannique se refusa à un traité d’alliance et voulut se limiter à la fameuse « Entente cordiale ». Comparativement à ce qu’elle avait connu dans les années qui suivirent la défaite de 70, la France du début du XXème siècle vivait bien une Belle Epoque. Certes la vie était plus facile pour les classes moyennes que pour les paysans, pour les rentiers que pour les ouvriers. Dans son encyclopédie, Berthelot concluait toutefois son article consacrée à la France en ces termes : « En somme, la République a été résolument pacifique ; elle a rendu à la France son influence dans le monde et l’a mise en mesure de braver les attaques, d’où qu’elles viennent. » A suivre...