Ne (surtout) pas garder la tête hors de l'eau (2)
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Pour lire le début de ce billet, cliquez là. Bon dans cette seconde partie, pourtant déjà plus théorique, je me suis encore laissé aller à pas mal de divagations. J'ai eu beau me taper sur les doigts, mais rien n'y a fait. Les types d'immersions : différents modèles. Ernest Adams : Parmi les nombreux modèles qui tentent d'établir des distinctions entre les différents types d'immersion, on trouve notamment le modèle d'Ernest Adams qui a l'avantage de la clarté et de pouvoir assez facilement ...Contient : immersion (36)(...) Ernest Adams : Parmi les nombreux modèles qui tentent d'établir des distinctions entre les différents types d'immersion, on trouve notamment le modèle d'Ernest Adams qui a l'avantage de la clarté et de pouvoir assez facilement s'adapter au jdr. E. Adams identifie donc : - l'immersiontactique, qui correspond à du jeu intense sur des périodes très courtes (« in the zone ») et généralement, dans le jeu vidéo, à beaucoup de réflexes et une activité se faisant surtout sur une coordination oeil mains. (...)
Tout se résout en une fraction de seconde et toute tentative d'amener une réflexion, un temps de résolution plus long, de prendre du recul ou de réfléchir à l'histoire du jeu briserait la « transe ». Pour favoriser ce genre d'immersionil faut une interface qui soit sans faille, robuste, rapide et intuitive. Toute défaut des contrôles ou changement brusque de gameplay (par exemple avec un boss qui ne se tue pas comme les autres) la briserait au contraire. (...)
Là, clairement, le rôle de l'interface est joué par le mj et/ou le système de règles et effectivement, on attend avant tout de ce dernier qu'il soit appliqué et pas contourné. Il « does matter » comme on dit de l'autre côté de l'Atlantique. - l'immersionstratégique, qui correspond essentiellement à un challenge cérébral et au fait de distinguer la structure des parties. (...)
Ce qui compte n'est pas tant ce que vit le personnage qui n'est finalement qu'une contrainte et un moyen d'obtenir des indices selon certaines conditions, mais bien la façon de résoudre l'enquête à la manière d'un puzzle ou d'une énigme. Chacun de ces trois exemples correspondent effectivement à la définition de l'immersionet peuvent être sans problème suffisamment prenants pour focaliser dessus toute une soirée et aimer ça, mais je dois bien avouer qu'intuitivement, je ne pensais pas forcément à ça en parlant d'immersion. L'avantage par contre est que sur ce genre de choses, il est d'autant plus facile de se débarrasser des vieux réflexes. (...)
Sur une enquête à la Hercule Poirot ou à la Sherlock Holmes par exemple, on n'a pas vraiment besoin d'incarner chacun un personnage. Au contraire cela peut même se révéler être un frein. - l'immersionnarrative, qui correspond peu ou prou à ce que l'on peut trouver dans un livre ou un film : on s'intéresse aux personnages, commence à avoir de la sympathie pour eux, et on veut savoir comment tout cela va finir. (...)
Pour cela on est d'ailleurs souvent prêt à supporter une interface bancale ou le fait qu'il soit difficile sinon infaisable d'élaborer une stratégie (personnellement, je pense au contraire, il s'agirait presque d'une condition à l'immersionnarrative). D'après Adams, pour y arriver, il n'y a qu'une façon : soigner le « storytelling ». (...)
Ainsi, la sensation de certains - dont je fais partie - que les storygames ne sont pas vraiment des jdr peut s'expliquer par le type d'immersiondifférent auquel ils font appel. De même pour ce sempiternel débat sur l'utilité relative du système de règles, la différence entre la priorité donnée à l'histoire ou aux émotions des joueurs ou le fait qu'on puisse ressentir des émotions fortes même en faisant du PMT, ne serait ce que le « fiero ». (...)
Staffan Björk and Jussi Holopainen : Ces deux auteurs ont formalisé un modèle qui est paraît-il très proche de celui d'Adams (mais là je crois wikipedia et quelques autres articles sur paroles, j'ai commandé leur livre mais ne l'ai pas encore reçu). L'immersiontactique y devient sensorielle et/ou motrice, la stratégique cognitive et la narrative émotionnelle. Par contre, ils rajoutent deux autres types d'immersion: - l'immersiongéographique qui correspond au moment où le monde virtuel devient convaincant pour la perception qu'en a le joueur (cette théorie fait référence à la réalité virtuelle). J'imagine qu'on peut faire un lien avec l'univers d'un jdr, et je crois que d'une certaine façon, on peut s'immerger dans un univers, mais n'ayant pas lu le livre en question, je ne sais pas si cela correspond à leur théorie. Cela rejoint par contre la définition de ML Ryan qui décrit l'immersioncomme le moment où on imagine qu'il y a plus que ce que l'on voit et qu'on « remplit les trous ». - l'immersionpsychologique qui correspond à une confusion entre le monde réel et le monde fictif. De toute évidence, et comme précisé dans la première partie, ce n'est pas vraiment de parler de ce genre de problème qui m'intéresse. Le SCI (Laura Ermi et Frans Mäyrä) : Apparemment la réalité virtuelle et l'immersionsont des sujets qui ont la côte chez les scandinaves. Le modèle SCI est également conçu autour de trois types d'immersions : celle basée sur les sens (S), sur le Challenge (C) et sur l'imagination (I). (...)
C'est aussi vrai d'une façon un peu détournée avec tous les faux articles de presse photocopiés qui pullulaient dans les vieux scénarios de Chtulhu ou Maléfices (et avec leur effet pervers d'aiguiller les joueurs sur ce qui fait partie du scénario ou pas), ou pour l'usage de talkies walkies dans les multitables pour faire office de radio... Alors oui, cela fait figure de parent pauvre et il est difficile d'en tirer quoi que ce soit de plus, mais bon, à défaut d'être original, c'est souvent pratique et toujours bon à creuser. Le second type d'immersionest le challenge. D'après ce modèle, pour s'assurer d'avoir uneimmersionmaximale, il faut absolument doser la difficulté d'un jeu pour toujours la laisser dans une zone qui soit entre la facilité qui provoque l'ennui (et sans doute le manque d'enjeu) et la difficulté qui fait décrocher. Bien sûr cette « zone » évolue au fur et à mesure que le joueur apprend à manier le jeu. (...)
C'est capital pour une campagne, surtout si c'est la première faite pour un jeu donné. Après ces enfonçages de portes ouvertes, le troisième type d'immersion, l'imagination, est un peu plus complexe. Je n'ai pas bien compris à la lecture s'il s'agissait du fait d'avoir des intrigues et personnages captivants ou du fait de pouvoir voir du fantastique/merveilleux, c'est à dire des choses non visibles dans la vie de tous les jours. Dans les deux cas, ce n'est pas très grave : on ne peut vraiment pas dire que ce soit le type d'immersionle plus difficile à mettre en place autour d'une table de jdr. Mais au delà de la simple présentation du modèle, le point sans doute le plus intéressant dans ces travaux est que les chercheurs ont ensuite (en 2005) fait remplir une série des questionnaires à des joueurs pour tenter de voir comment s'en sortaient une dizaine de jeux connus sur les différents types d'immersion. Certains résultats sont surprenants, mais ce qui frappe surtout, c'est de voir que parmi ces titres qui ont tous été des succès, on vraiment toutes les configurations : des jeux qui ont un type spécifique d'immersionqui va très haut (Half Life 2 pour le S, Civilization III et Nethack pour le C...) avec ou sans grosses lacunes dans un des domaines (pas la peine de chercher le I dans PES 4) d'autres qui restent plutôt bons partout sans exceller nulle part (GTA : San Andreas ), et un seul se permet même d'être très moyen partout (Sims 2). Là encore, en transposant au jdr, j'aurais du mal à « noter » des jeux de la sorte, mais si je prends plus ou moins les catégories, j'ai presque immédiatement des prénoms de mes anciens meneurs qui viennent se greffer dessus. (...)
Tous ces meneurs sont très différents, la plupart se connaissent et s'apprécient, certains ne peuvent pas se saquer, mais avec tous, j'oubliais que je jouais et était donc en pleineimmersion. Et j'aimais ça. Plus même, vu que sans eux j'aurais sans doute arrêté. Pourtant aujourd'hui, avec l'expérience, leurs différences de style (et les lacunes de certains) me paraissent de plus en plus évidentes et c'est vrai que certains parties me tentent plus que d'autres. (...)
Bon, dans le cadre du jdr, je ne suis pas sûr que la distinction soit très importante, même si elle est sans doute justifiée. Le second changement est de remplacer l'immersionbasée sur le challenge (C) par « l'immersionsystémique » (S). Cette distinction est amenée par le fait que le challenge est surtout présent pour les médias interactifs et les jeux mais ne s'applique pas dans la plupart des autres cas. Par contre, il y a quelque chose de proche qui est la capacité à discerner non plus ce qui nous arrive directement, mais sa structure. (...)
Par exemple, un joueur d'échec particulièrement aguerri peut être totalement immergé dans sa partie (car oubliant qu'il joue pour se consacrer uniquement au fait de jouer) mais ne pas percevoir les coups adverses en tant que coups indépendants mais bien de routines ou d'ouvertures et « prévoir » les coups suivants sans pour autant rompre sonimmersion. Il peut en être de même pour un cinéphile qui perçoit les choix de réalisation ou un d'un amateur de polar qui formule des dizaines d'hypothèses pour savoir où si se cache le meurtrier et s'il ne serait pas un des dix petits nègres. (...)
De mon point de vue, les seules vraiment importantes sont : - d'avoir une pseudo définition de ce qu'est l'immersionpour pouvoir m'y référer dans les inévitables dialogues de sourds à venir : « lorsqu'on ne fait plus attention au fait qu'on joue, qu'on ne se voit plus en tant que joueur participant à la partie mais directement en tant que personnage et qu'on en oublie au moins partiellement le monde extérieur »; - de voir qu'il existe plusieurs degrés d'immersionet que même s'il y en a qu'un qui m'intéresse a priori, les autres peuvent constituer des paliers pour arriver à celui voulu ; - qu'il y a bien un lien entre les émotions ressenties par les joueurs et l'immersionet que les deux se stimulent mutuellement ; - qu'il existe plusieurs types d'immersions, quelque soit le modèle choisi, mais que les typologies sont nombreuses. Elles n'ont d'intérêt qu'en tant que grille de lecture et donc ne doivent pas être choisies pour elles-mêmes mais parce qu'elles répondent à un objectif particulier. Après, suivant les expériences et les envies de chacun, on sera forcément plus intéressé par tel ou tel modèle. (...)
Même si ce n'est pas le but initial de ce billet qui se contente uniquement de regrouper pas mal de théories sur le sujet de l'immersion, il me semble effectivement qu'il y a des choses à prendre. Par contre, il manque toujours un petit quelque chose concret qui permette de s'en servir d'avantage. (...)
Autrement dit, on peut en y passant du temps en déduire des méthodes pour qualifier son style de partie ou de maîtrise ou pour renforcer l'immersion, mais il n'en existe pas a priori et les seules choses que l'on trouve parlent davantage de faire tomber les barrières à l'immersionplutôt que de la créer directement. Pour les quelques pistes sur la façon de renforcer concrètement l'immersionet de susciter l' « active creation of belief » (ML. Ryan), ce sera sûrement au travers d'un prochain billet. (...)
Celui-ci est déjà bien trop long et deviendrait interminable... Quelques sources pour ceux que ça intéresse : M. Arsenault : Dark waters : spotlight onimmersion. E. Brown et P. Cairns : A grounded investigation on gameimmersion. L. Ermi et F Mäyrä : Fundamental components of the gameplay Experience : Analysingimmersion. J. Murray : Hamlet on the holodeck :the future of narrative in cyberspace. B.J. Pine et J. (...)
Gilmore : The experience economy : work is theatre & every business a stage. M-L. Ryan : Narrative as virtual reality :immersionand interactivity in literature and electronic media. Et puis bon, parce que si j'oublie, je vais me faire écharper (mais bon j'ai fait un effort cette fois-ci)...