Tempête
Contient : veneur (9)(...) Sans détourner la tête, et sans avoir besoin de demander son chemin à qui que ce soit, il se dirigea directement vers la roulotte duVeneurqui, depuis quelques jours, installait régulièrement son attelage à l'écart des autres voitures de la Caravane. J'étais encore sous le coup de l'étonnement, lorsque je vis leVeneursortir de sa roulotte sans la moindre manifestation de surprise, s'approcher de l'inconnu, planter son regard dans le sien, saisir ses bras puissants, et le serrer un court instant contre son coeur. (...)
Qui pouvait bien être cet homme, pour déclencher ainsi, chez notre guide une telle extériorisation de sentiments qui, aussi modérée fût-elle, n'aurait jusqu'alors pu être soupçonnée, même par les plus anciens des bateleurs ? Au bout de quelques instants, les deux silhouettes sombres disparurent dans la roulotte duVeneur. Trois jours avant, nous avions essuyé une violente tempête. Les éclairs mêlés aux rafales de vent, s'acharnant sur nos frêles abris de nomades, avaient fait planer sur la Caravane un parfum de fin du monde. (...)
Puis, la crainte, la discrétion et la routine avaient eu raison des langues trop vites déliées. Les moins bavards avaient remarqué un changement dans le comportement duVeneur: plus pensif, apparemment moins sûr de lui, comme en proie au doute, restant à proximité de la Caravane, mais fuyant la compagnie. (...)
Mais lorsque je vis l'étrange guerrier à l'indéfinissable regard, « émerger » au milieu du campement, j'eus la profonde conviction que sa présence parmi nous était liée aux préoccupations duVeneur. Cela faisait déjà un grand moment que les deux hommes s'entretenaient en privé, à l'abri des yeux et des oreilles de chacun. Je surveillais de loin la roulotte duVeneur, étayant diverses hypothèses plus ou moins réalistes. J'étais de toute façon trop préoccupé par la situation de la Caravane, pour me consacrer à la moindre activité. (...)
Les deux hommes sortirent de la roulotte. Ils restèrent quelques instants debout à côté d'elle. Puis leVeneurposa une main complice sur le bras du guerrier, et de l'autre, lui montra le campement d'un large geste circulaire. (...)
Mais il détourna les yeux du campement. Son regard s'abandonna quelques instants sur l'horizon, puis revint se fixer dans celui duVeneur. Les deux hommes se tenaient maintenant face à face, les bras de l'un dans les mains de l'autre, les yeux dans les yeux. (...)
Plus loin, trois loups imposants, que je n'avais jusque là pas remarqués, l'attendaient et l'escortèrent. L'homme n'était plus qu'un point sur l'horizon lorsque mes yeux se portèrent de nouveau sur leVeneur. Il était assis sur le marche-pied de sa carriole, pensif. Il semblait déçu. Il m'apparut, soudain, infiniment humain. (...)Une nappe de brume automnale venait de se dissiper, me dévoilant soudainement ses yeux, rivés sur l'horizon, et au fond desquels brillait une flamme singulière. L'homme qui s'avançait avait l'étrange regard des gens que rien ne peut arrêter, sûr de lui, plein de savoir et de certitudes. Ce regard énigmatique et dur, qui forçait le respect des hommes et aurait glacé le sang de plus d'un animal sauvage, du grand aigle maître des cimes, au plus puissant des chevaliers loups de nos forêts. Impassible ...