Ciel et Terre
sur Chaodisiaque au format
Le maître du vent. Je m'appelle Ciel Noir. Je ne suis qu'un homme. Le sang qui coule dans mes veines n'est pas celui des dieux, ni celui des dragons, il me permet juste d'animer ce corps, de pousser cette charrue qui creuse son sillon pour m'offrir de quoi me faire vivre, de parler, et parfois, faire naître un sourire sur le visage de ma femme. Ce village est petit, si petit qu'il ne porte pas de nom, à peine une centaine de paysans l'animent, survivant avec moi, leurs âmes revêtues ...Contient : vert (31)(...) J'ai fait semblant de ne pas tenter d'écouter ronfler mon fils et j'ai fait semblant de partir sans angoisse. Au croisement de la route j'ai croisés Pigeon Fou et Boeuf Assoiffé, ainsi qu'OEilVert, Chien Enragé, et Rude Automne, l'un des fils de Flocon et le chariot. Nous nous sommes rendus chez Regard Vif. (...)
Boeuf picole tranquillement à sa gourde, Pigeon Fou est le seul qui rompt le silence, racontant des histoires au fils de Flocon Amer, à OEilVertet Chien Enragé. Je garde l'oeil sur le chariot, un instant, par-dessus le bruit du vent et le bavardage sans fin de Pigeon, j'entends quelque chose de vaguement mélodieux venant de l'intérieur du chariot. (...)
Se rappeler ce genre d'époque relève d'un exercice masochiste. Ca n'empêche pas Pigeon Fou de continuer et OEilVertet Chien Enragé de continuer d'écouter. « Les bêtes et les hommes vivaient en harmonie, et il n'y avait pas réellement de différence entre le chasseur et le chassé. (...)
Tu délires déjà bien assez comme ça ! - Il paraît qu'il y a des bateaux volant à Lookshy ! Intervient OEilVert, un gosse naïf qui passe trop de temps avec ses bêtes, mais qui n'a pas son pareil une fois lâché dans la nature. (...)
Les vêtements ne s'usaient pas, pas plus que leurs outils, les tours de leurs cités s'élevaient jusqu'au dessus des nuages, ou tombaient aussi profondément que dans le fond des océans. » - C'est profond un océan ? Me chuchote OEilVert. Mon sourire est bref. - Qu'est-ce que j'en saurais ? Je n'ai jamais vu la mer ! Aucun d'entre nous, en fait. (...)
Une cascade de juron dégringole dans mon cerveau, sur moi, sur Chien Enragé, sur Boeuf Assoiffé et sur Création tout entière. OEilVertme suit, les autres veillent sur le chariot. Boeuf Assoiffé s'est assoupi, alors qu'il montait la garde avec son fils. (...)
Je pourrais en vouloir à Boeuf, mais dans la plaine morne et débilitante, n'importe qui peut s'endormir à force d'ennui. Je l'avais dit à OEilVert, Rude Automne et Chien Enragé. Boeuf s'est réveillé au petit matin, seul. Son cri d'angoisse nous a éveillés brutalement. (...)
Je suis idiot, mais pas complètement stupide, j'ai laissé Boeuf sur place, trop dangereux de l'emmener et j'ai pris OEilVertavec moi, parce qu'il est le meilleur hors des sentiers dans la nature. Les autres n'ont rien dit. Je ne sais pas pourquoi, ils auraient eut le droit de me traiter de tous les noms, pourtant. OEilVerta retrouvé sa piste rapidement, à l'odeur, moi aussi, d'ailleurs, le tas d'excrément puait effroyablement. (...)
Chien devait être franchement malade, dans d'autres circonstances, cela aurait été presque une excuse. Tel un limier, il a pisté les traces à travers la brume. Plutôt doué l'OEilVert. Je me suis demandé pourquoi je ne lui parlais pas plus souvent au village. Puis nous sommes arrivés près d'un buisson aux feuilles blanches... OEilVerta fait mine de continuer. Je l'ai arrêté d'une main. - On ne va pas plus loin. C'est foutu. Il m'a jeté d'un regard déçu et inquiet. (...)
Puis un souffle froid a agité la brume face à nous comme les eaux bouillonnante d'un lac gris, de plus en plus intensément. Je me suis tourné vers OEilVert, ma voix était blanche : - Cours ! Ce qui nous amène à cet instant. OEilVertcours aussi vite qu'un lièvre au milieu des hautes herbes, je l'entends gémir tout haut de peur tandis que la brume s'agite, bouillonnante autour de nous. Un cliquetis rapide, métallique, rythmé et presque mélodieux se fait entendre derrière nous, de plus en plus proche, de plus en plus distinct, et il fait de plus en plus froid. OEilVertest plus rapide que moi, mais il est moins endurant. Le brouillard deviens étrangement poisseux, comme de la boue, lorsque je le rejoins, chaque pas que je fais me coûte de l'énergie, mais me coûte moins qu'à OEilVert, grand échalas mince, qui essoufflé, ralentit de plus belle à cause du brouillard. Je dépasse OEilVert. Puis la chose sort du brouillard dans un cliquetis, un loup gris caparaçonné à huit pattes, aux yeux rouges. (...)
Il n'y a pas un aboiement, pas un grognement, juste ce cliquetis frénétique qui s'interrompt une fraction de seconde, et reprend lorsque j'entends quelque chose se déchirer, et OEilVerthurler. Je me retourne, le regrettant aussitôt. La chose laboure le dos d'OEilVert, j'entends des os se briser. Il tente de ramper mais la bête le retient de ses membres surnuméraires. (...)
La bête ne meurt pas, ne grogne pas, ne crie pas, mais sa carapace se fissure et du sang y suinte. La bête crache un staccato de cliquetis rageur et douloureux. Elle recule, et OEilVertparvient à libérer une main de la gangue blanchâtre, lui laboure le ventre d'un coup de poignard en hurlant de rage : Un sang rouge et gluant se répand sur lui, et la chose s'enfuit dans un cliquetis rapide. Comme une extension de son corps le brouillard semble se retirer avec elle. OEilVerttente de reprendre son souffle, il est balafré de partout. On dirait qu'une dizaine d'épée se sont abattues sur lui. (...)
Je le pose dans le chariot, au pied de Brume qui nous observe d'un air doucement terrifié. - Tu saignes ! C'est Rude Automne. - Juste le sang d'OEilVert. J'ai pas une égratignure. Boeuf me regarde. Je secoue la tête négativement. Il s'éloigne, les mains posées sur son visage. - Vous l'auriez vu ! Gémit OEilVert, vous l'auriez vu ! Il lui a presque fendu le crâne ! - Ferme ton claque ! Dit Pigeon. Garde ton énergie ! Il regarde la pâte blanchâtre qu'est devenue la gangue qui entoure OEilVert. - Qu'est-ce que c'est que ce truc ? - Je ne sais pas... une bête de la faille, elle le lui a craché dessus. - Je sens plus mes jambes ! C'est OEilVert. - C'est froid ! Ca à durcit... on dirait de la glace... La panique perce dans la voix de Pigeon. (...)
Brume m'observe un instant, et elle me semble moins assurée que je ne le suis en réalité. Nous exécutons ses ordres. Boeuf revient nous aider. Nous suspendons OEilVertau-dessus du feu et faisons fondre l'étrange glace qui l'enveloppe tandis que Pigeon Fou et Brume soignent ses plaies autant qu'ils peuvent. Elles sont nombreuses, certaines profondes, et OEilVertne tarde pas à perdre connaissance. Ils y passent toute la journée. Dès que l'on a plus besoin de lui, Boeuf s'éloigne un peu et va s'asseoir. (...)
Elle est installée dans un coin, sur une caisse. Elle m'observe monter de son regard perpétuellement préoccupé. Bourré de calmant, OEilVertronfle douloureusement. - Merci, dit elle. - Que veux-tu ? - Nous ne nous sommes jamais réellement parlé, mais je sais de quoi tu es capable. (...)
Les choses sont assez pénibles comme ça. Le lendemain et le surlendemain sont calmes. Rude pose un tas de question, Pigeon y répond. OEilVertse réveille, souffre, gémit et se rendort. Boeuf et moi surveillons Brume et l'horizon. La plaine se vallonne peu à peu au fur et à mesure que nous approchons du Trône d'Orage, des bois apparaissent lentement dans les décors. (...)
A mes pieds, je contemple distraitement une flaque d'urine entre les genoux de Rude, et Boeuf, ce pauvre fou, semble ressentir lui aussi le problème car il serre nerveusement dans un de ces poings posé par terre un bout de roche. - Montre-nous ! Dit le garde. Je marche jusqu'au Chariot et lève la bâche. OEilVertest éveillé, terrifié, allongé et silencieux. Brume est là. Je la saisis par la main, elle fait quelques pas et elle s'agenouille, front contre terre devant la Princesse Bleue. (...)
Je suis toujours en vie. Sans savoir comment, je suis caché derrière le chariot. A l'intérieur, OEilVerthurle, impuissant. J'entends un garde jurer, un autre rire. Soudain, je réalise que je vais mourir. (...)
Des morceaux de bois viennent se ficher quelque part dans ma chair tandis que des morceaux de chariot, des restes de récolte et d'OEilVertretombe autour de moi. Le Seigneur des Hauts Vents ? - Assez ! Je reconnais la voix. Je me redresse douloureusement. (...)