Voyage au Centre de la Terre
sur Les Ludopathes
Contient : vivre (5)(...) J'avouerai que je mordis avec appétit aux sciences géologiques ; j'avais du sang de minéralogiste dans les veines, et je ne m'ennuyais jamais en compagnie de mes précieux cailloux. En somme, on pouvaitvivreheureux dans cette maisonnette de Königstrasse, malgré les impatiences de son propriétaire, car, tout en s'y prenant d'une façon un peu brutale, celui-ci ne m'en aimait pas moins. (...)
Les hommes paraissaient robustes, mais lourds, des espèces d'Allemands blonds, à l'oeil pensif, qui se sentent un peu en dehors de l'humanité, pauvres exilés relégués sur cette terre de glace, dont la nature aurait bien dû faire des Esquimaux, puisqu'elle les condamnait àvivresur la limite du cercle polaire ! J'essayais en vain de surprendre un sourire sur leur visage ; ils riaient quelquefois par une sorte de contraction involontaire des muscles, mais ils ne souriaient jamais. (...)
Je ne veux pas dire du mal de ces pauvres prêtres qui, après tout, sont fort misérables ; ils reçoivent du gouvernement danois un traitement ridicule et perçoivent le quart de la dîme de leur paroisse, ce qui ne fait pas une somme de soixante marks courants7. De là, nécessité de travailler pourvivre; mais à pêcher, à chasser, à ferrer des chevaux, on finit par prendre les manières, le ton et les moeurs des chasseurs, des pêcheurs et autres gens un peu rudes ; le soir même je m'aperçus que notre hôte ne comptait pas la sobriété au nombre de ses vertus. (...)
Mes regards éblouis se baignaient dans la transparente irradiation des rayons solaires, j'oubliais qui j'étais, où j'étais, pourvivrede la vie des elfes ou des sylphes, imaginaires habitants de la mythologie scandinave ; je m'enivrais de la volupté des hauteurs, sans songer aux abîmes dans lesquels ma destinée allait me plonger avant peu. (...)
La pensée me vint de tout dire à mon oncle, de lui montrer à quel dénûment nous étions réduits, et de faire l'exact calcul du temps qui nous restait àvivre. Mais j'eus le courage de me taire. Je voulais lui laisser tout son sang-froid. En ce moment, la lumière de la lanterne baissa peu à peu et s'éteignit entièrement. (...)Jules Verne. Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits ». I - Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg. La bonne Marthe dut se croire fort en retard, car le dîner commençait à peine à chanter sur le fourneau de la cuisine. « Bon, me dis-je, s'il a faim, mon oncle, qui est le plus impatient des ...