A travers le philtre
Partout dans les Ombres il y a deux constantes. Le temps et l'amour, encore que je ne sois pas aussi catégorique pour le temps, mais laissons ces questions pour le moins rhétoriques et obscures pour parler de ce que je connais. Parler d'amour revient pour moi à assez prosaïquement, parler des femmes. N'étant point réputé pour mon originalité, je ne vois pas vers qui d'autre que la femme se jetterait mon dévolu. Parler des femmes... Pour hélas avoir passé plus de temps en leur compagnie qu'avec ces ...Contient : père (9)(...) Parler des femmes... Pour hélas avoir passé plus de temps en leur compagnie qu'avec ces dernières, je peux vous parler des romans de la bibliothèque dePère. Ils constituèrent avec le glaive Avalonien les artéfacts fétiches de mon enfance. J'ai toujours été fasciné par la magie qui émane d'un fer fraîchement trempé, du parfum électrique de ce prolongement à présent naturel de mon bras d'arme. (...)
L'élément qui stimulait le plus mon imagination au moment béni mais fugace de mon adolescence en Avalon était le pouvoir tant surnaturel qu'absolu des philtres d'amour. Si j'avais eu le début du commencement d'une recette, j'aurais tuéPèreet Mère pour obtenir un des ingrédients nécessaire à son élaboration...Et Téuta aurait été la première condamnée à porter le calice à ses lèvres. (...)
Voici las l'exemple d'un de mes plus grands défauts : la tendance à l'hyperbole romantique que m'ont infligée des années de lecture dans notre rustique manoir à l'isolement quasi monacal. Premièrement, même si je l'avais seulement voulu, je n'aurais jamais pu tuerPèreet Mère. Je n'ai pas connu cette dernière, et celui que j'ai baptisé avec gratitude du nom de l'auteur de mes jours est tout simplement immortel. (...)
Je ne sais quel genre de philtre saurait venir à bout de sa vigilance, son intelligence et sa dextérité. En effet, le problème des philtres est qu'ils ne s'appliquent en rien àPère. Qu'ils soient absorbés, inhalés, injectés, et ils vous mettent dans un tel état de réceptivité et d'empathie que vous succombez sans combat à la passion. Passons encore quePèrese fasse attraper en ingérant un alcool frelaté avec ce genre d'élixir. Mais que sa volonté se plie sans combat à celle d'une 'fichue mixture chimico-hormonale' comme il les dénomme lui même apparaît comme étant impossible...Et s'il y a combat, il le gagne. (...)
J'avais bien besoin de rêve, car Téuta fuyait ma réserve et ma gaucherie d'apprenti chevalier cloîtré. J'étais de plus le fils du Protecteur, sobriquet populaire donné par le peuple d'Avalon à monPère. Cela augmentait mon prestige mais aussi mon inaccessibilité. D'ailleurs j'étais davantage apprenti libertin qu'apprenti chevalier... Alors je pensais, je rêvais, je lisais pour à la fois me remplir et me vider la cervelle des tortures mentales que m'imposaient mes désirs. (...)
Ils ne juraient en rien avec l'ambiance verdoyante et martiale d'Avalon, la contrée dirigée par le Protecteur, celui que j'ai coutume d'appeler monpère, Benedict d'Ambre. Il était aussi en secret mon conteur et répétiteur préféré. Lorsque je me remémore ces soirées d'avant mes six ans où il prenait le temps de me lire des passages de mes livres de guerres et de bagarres favorites, j'en attrape une bouffée de nostalgie. (...)
Ces paroles, bien qu'occultes et prononcées de manière mi-énigmatique mi-narquoise, furent un précieux réconfort. Et elles ont depuis trouvé un sens, que monPèreconnaissait sans nul doute, en se gardant bien de me le révéler. Pour me forcer tel le stratège qu'il est à aller de l'avant. (...)
Afin que je vive pour trouver une explication à cette phrase pour le moins sybilline... Je crois que l'ai trouvé. L'élixir naguère évoqué parPère, je crois y avoir goûté, en même temps qu'aux lèvres douces et sucrées de ma bien aimée. Mais à ce moment précis, le philtre que le destin a déposé sur la tendre bouche de celle qui serait la mère de Tristan avait déjà produit son effet ! (...)