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J'ai retiré deux choses de ces minutes que la Réalité transforma en éternité de souffrances : La première est que rien ne différencie un océan Réel d'un océan d'Ombre ; la seconde que l'éternité a pour les Ambriens une fin que notre Réalité n'offre pas. Ou plutôt si, elle l'offre. A plusieurs reprises même, selon les dires de ma mère. Comment ne pas la croire, elle qui par son sang est responsable de ce que j'ai coutume d'appeler de manière fort égocentrique ma malédiction. Je suis de ces ...Contient : aujourd (6)(...) Jusqu'à mourir du vertige des profondeurs qu'entraînent l'anoxie et les surpressions. Je la rencontrai bien plus tôt que je m'y étais attendu, vérifiant déjà un premier cliché au goûtaujourd'hui amer sur l'amour... Elle était, ce qu'appellentaujourd'hui avec une détestable vulgarité les ethnologues et autres biologistes, une femelle dominante. J'ai pour ma part simplement constaté que c'était tout simplement la plus intelligente, la plus racée et la plus capable des Cétacés de Wenrebma et des mers alentours...J'avais été tout de suite fasciné par la danse rythmée de sa nage à travers les posidonies ondoyantes des sables des hauts-fonds de Careel, par le jeu coquin des rayons du soleil sur sa peau ivoire abondamment huilée, par la courbe parfaite de sa nageoire dorsale, par le frisson qui m'habitait lorsque me parvenaient les ondes harmonieuses de son sonar...Son nom est imprononçable par le gosier de ma forme humanoïde, et il n'a de toute façon aucun sens caché ou mystérieux. (...)
Ces temps furent aussi calmes que la politique des lieux, nous vivions tellement au jour le jour qu'aujourd'hui encore je considère de ne pas avoir profité suffisamment de ces moments, tant nous nous complaisions dans une paresse et un train-train qui nous paraissaient aventure. (...)
C'est l'idée de pouvoir commander à cette Puissance de venir à moi m'offrir ses Pouvoirs que ma mère a provoquée, j'en suisaujourd'hui persuadé. C'était plutôt bien joué. Une caresse à l'orgueil qui précipita une blessure à l'âme... C'est un soir d'été où nous avions taquiné le homard en compagnie de nos amis les Orques pour qui cette nourriture constitue tout juste un apéritif, qu'après une course haletante avec Elle et nos amis, nous ressentîmes le besoin de reconstituer nos stocks d'oxygène. (...)
Ces secondes, si courtes, si longues, furent mes derniers instants de répit avant que les affres du chagrin et de la culpabilité me hantent durant l'éternité dont je suisaujourd'hui revenu. Plus fort, et moins fier. Je passai ces quelques minutes à ne pas penser, à agir. (...)
Fonçant à travers les nuages obscurs de plancton, fendant la houle, me fracassant le nez contre les dunes fossiles des bancs de l'avant-plage, priant qu'il soit plus simple de les transpercer que de quitter la Réalité. A ne pas penser appeler et trouver ma mère. Elle aurait trouvé la solution, peut-être.Aujourd'hui encore je ne lui ai rien dit, et n'ai toléré aucune question sur le sujet. Je suis sorti des eaux, et ai commencé une nouvelle vie, condamnant celle-ci à l'oubli, essayant d'empêcher les mauvaises pensées d'émerger... Qu'avait Elle ressenti ? (...)