Ciel et Terre
sur Chaodisiaque au format
Le maître du vent. Je m'appelle Ciel Noir. Je ne suis qu'un homme. Le sang qui coule dans mes veines n'est pas celui des dieux, ni celui des dragons, il me permet juste d'animer ce corps, de pousser cette charrue qui creuse son sillon pour m'offrir de quoi me faire vivre, de parler, et parfois, faire naître un sourire sur le visage de ma femme. Ce village est petit, si petit qu'il ne porte pas de nom, à peine une centaine de paysans l'animent, survivant avec moi, leurs âmes revêtues ...Contient : pigeon (56)(...) La fièvre va faucher des vies et la famine est presque assurée mais le Seigneur des Hauts Vents ne voudra pas une part moins grande que le minimum auquel il est habitué, alors, les anciens du village tiennent conseils. Moi, Boeuf Assoiffé, Regard Vif, Nuage Bleu, Flocon Amer,PigeonFou et Cuillère d'Argent formons notre petit conseil de survivants. Nous nous rassemblons au moins trois ou quatre fois par ans pour discuter du goût de la bière, d'histoires de femmes, de chasse et disputer des parties de cartes. (...)
Malheureusement, ce n'est pas le cas aujourd'hui et nous nous retrouvons à devoir partager les chances de survie comme les cartes au poker : un peu au hasard, un peu à la finasserie. « Les choses légères, ditPigeonFou, doivent être traitées avec attention, et les choses graves avec légèreté. » C'est sans doute pour ça que nous discutons de tout cela autour d'une table ronde, couverte de verres de bières dans la maison de Flocon Amer, la seule maison de pierre du village. (...)
Un grognement d'assentiment balaie la pièce enfumée. - Je sais. Il va falloir trouver un arrangement. - Le cannibalisme ? C'estPigeonFou : Un petit bonhomme à la peau ridée dont les dents se bousculent de manière anarchique dans une bouche perpétuellement souriante. (...)
Je veux dire, c'est ma meilleure pondeuse et je l'ai pas vue de toute la journée et... Nous sourions silencieusement. Flocon interromptPigeond'un regard glacial.PigeonFou est le seul à pouvoir se permettre ce genre plaisanterie avec Regard Vif, mais il n'est pas intelligent de courroucer un homme dont on dit qu'il possède une ascendance divine. - Reprend. (...)
Il ne sait pas encore ce que ça signifie ! - Il rêve de justice... Ciel Noir, comme tout le monde à son âge. Moi, Boeuf,PigeonFou et trois de ces plus vieux fils avions retrouvé le caravanier : Il a fini comme Chêne et sa famille, accroché à un arbre esseulé, ses biens furent partagés entre les anciens et leurs familles. (...)
Dernière source de lumière, sauf lorsqu'un éclair illumine le monde l'espace d'un instant. Précédant le craquement assourdissant du tonnerre. - Oui, moi, Boeuf etPigeonFou, peut-être un des petits-fils de Flocon. Veille sur Brin. Nous avons élevé un idiot. Ma femme hoche la tête. (...)
J'ai fait semblant de ne pas tenter d'écouter ronfler mon fils et j'ai fait semblant de partir sans angoisse. Au croisement de la route j'ai croisésPigeonFou et Boeuf Assoiffé, ainsi qu'OEil Vert, Chien Enragé, et Rude Automne, l'un des fils de Flocon et le chariot. (...)
Des insectes nous tournent autours, et bourdonnent bruyamment. La plaine parait aussi immense que le ciel. Boeuf picole tranquillement à sa gourde,PigeonFou est le seul qui rompt le silence, racontant des histoires au fils de Flocon Amer, à OEil Vert et Chien Enragé. (...)
Je garde l'oeil sur le chariot, un instant, par-dessus le bruit du vent et le bavardage sans fin dePigeon, j'entends quelque chose de vaguement mélodieux venant de l'intérieur du chariot. Je m'approche et j'entends la voix triste de Brume qui porte une balade comme une mère porte son enfant mort-né. (...)
Lorsque le ciel vire au jaune, nous montons rapidement le camp autour du chariot. Boeuf allume un feu.Pigeons'occupe des chevaux. Je fais descendre Brume du chariot. Je plante le bâton de fer qui est censé nous protéger des mauvais esprits et du Beau Peuple. (...)
Et la fille de Regard Vif reste trop silencieuse. - On dirait que le Seigneur des Hauts Vents nous protège, ditPigeonFou en sortant une balalaïka. - Pas de bêtise, dit Boeuf. Ce n'est pas un dieu. - Ah bon ? C'est Rude Automne. (...)
Fort comme un ours, bête à manger du foin, mais assez malin pour savoir comment survivre. Comme nous tous, peut-être.PigeonFou l'aime bien visiblement. - Flocon ne t'a rien dit ? Dit-il. - Pas grand chose, il dit que le Seigneur des Hauts Vents est un enfant de la déesse Mela, qu'il est sacré, et qu'il règne depuis toujours sur la nation des vents. (...)
S'exclame-t-il. Rude Automne jette un oeil à Boeuf, comme s'il risquait de se changer en monstre à l'instant.PigeonFou sourit. Moi-même, je garde Brume à l'oeil mais j'écoute la conversation. QuandPigeonFou reprend la parole, sa voix est enjouée, comme celle d'un homme qui découvre une pièce de jade par terre. - Sache, jeune chiot, que le Seigneur des Hauts Vents n'est pas le fils de Mela, dit-il, c'est un élu divin, pas juste le rejeton d'une amourette divine. (...)
L'air inquiet, dans l'horizon obscurci de la plaine, s'attendant sans doute à voir un châtiment divin fondre sur lui. Il est tellement drôle qu'il me fait sourire. - Je... je ne comprends pas...PigeonFou sourit. - Un élu divin : un Exalté, comme on dit, claironne-t-il, c'est autre chose, c'est un mortel soigneusement choisi par les dieux pour les représenter parmi les hommes. (...)
La bouche ouverte, Rude hésite un instant, puis cède à sa curiosité : - Et... le Seigneur des Hauts Vents est un Exalté ? Un public : juste ce dontPigeonFou à besoin pour être encourager. Il sourit. - Ouais, un élu de Mela, le Divin Dragon immaculé des airs et du vent, il a été élu pour régner sur le monde, protéger les mortels contre les Anathèmes et le Beau Peuple tandis que les dieux vivent dans leurs demeures Célestes.PigeonFou part d'un rire hilare. Il n'a pas l'air d'y croire lui même. Rude porte un regard fasciné surPigeon. Sa curiosité a été éveillée. - Tu as déjà vu un Anathème ? Un membre du Beau Peuple ? Le silence se fait dans le campement. L'hilarité dePigeonFou soudain disparue. Soudain, une voix se fait entendre. Calme, douce mais ferme comme du cuir neuf. (...)
- Les Anathèmes sont la fin du monde incarnée, et le Beau Peuple, celle de toute raison. Ils sont la mort, sous une forme ou une autre, mais tu en sais beaucoup pour un humble paysan,PigeonFou. » C'est Brume. Nous nous retournons vers elle. Elle ne nous rend pas notre regard, elle observe le feu, et soudain je me souviens qu'elle est la fille de Regard Vif, le Shaman de notre village, notre médiateur entre les dieux et nous.PigeonFou reste comme nous, pétrifié, un long instant. Puis le regard de Brume croise celui de Boeuf, et elle baisse les yeux. (...)
Boeuf grimace, cherche quelque chose dans son sac, en ressort une petite fiole d'alcool qu'il se met à téter comme un bébé. Le regard dePigeonFou s'écarquille en voyant ça. - Partage un peu ta bibine, Boeuf ! Dit-il. Boeuf sourit. - Oh non ! (...)
Ca me condamnera à renaître comme un membre de ta famille dans ma prochaine vie, brrr ! Ils éclatent de rire.Pigeonrâle et je reste silencieux. Nous faisons tous comme si rien n'était arrivé. Les gens tabous ont cet effet là. (...)
Il y a longtemps. - Qu'est-ce que tu veux en savoir, le chiot ? - Ben, à quoi ressemblait le monde !PigeonFou sourit. Il s'est rendu intéressant et c'est son passe-temps favori. Je ne peux pas lui en vouloir d'ailleurs, lors de certaines nuits d'hivers calmes et interminables, c'est même franchement utile. (...)
Je souris, je connais les légendes, et j'en sais assez sur les hommes pour savoir qu'un évènement marquant à tendance à s'amplifier tout seul d'une génération à l'autre. Se rappeler ce genre d'époque relève d'un exercice masochiste. Ca n'empêche pasPigeonFou de continuer et OEil Vert et Chien Enragé de continuer d'écouter. « Les bêtes et les hommes vivaient en harmonie, et il n'y avait pas réellement de différence entre le chasseur et le chassé. (...)
- Ouais, dit Boeuf. J'y croirais quand j'en verrais un ! - Et dire que je pensais être le bouffon du village ! DitPigeonFou. - Oh non ! Dis-je, Tu es le bouffon de la nation ! Nous éclatons de rire, même Brume sourit. - Allez continue ! Dit Chien.Pigeonregarde autour de lui, narquois et plein d'aise. Le silence se fait. Il reprend : « Les hommes étaient sage comme des dieux, les bêtes autant que les hommes, et les plantes comme des bêtes. (...)
dit Boeuf, si ton monde était aussi idyllique, pourquoi ils avaient besoin d'armes ? Boeuf le contestataire...Pigeonsourit. - A cause du Beau Peuple, des Rakshas... il y en a toujours eu au-delà du monde et il y en aura toujours, benêt ! (...)
Chien et OEil sourient à leur tour. - Et les Anathèmes, dans tout ton beau truc ? Toujours Boeuf, cherchant à coincerPigeon. MaisPigeonà réponse à tout, ce soir. - D'après la foi immaculée, ils ont volé le secret de l'Exaltation au Soleil et à la Lune. Certains disent qu'il s'agit de l'oeuvre des démons qui ont corrompu les hommes, d'autres que c'est le Beau Peuple qui leurs glissèrent l'idée. » - Tu le crois ? C'est ma voix. - Franchement.., ditPigeon, tout bien considéré, je ne sais pas. Parfois, je regarde autour de moi et... Son regard s'assombrit. (...)
Je sens son sang qui dégouline un peu dans ma nuque lorsque je le mets sur mon dos, mais il gémit tout au long du voyage du retour, ce qui me semble être un bon signe. Quand je reviens les autres me lancent des regards qui valent tous les discours de la Création.Pigeonse précipite le premier. - Pose le dans le chariot, on va le soigner ! Toi, tu vas bien ? - Ouais. (...)
- Vous l'auriez vu ! Gémit OEil Vert, vous l'auriez vu ! Il lui a presque fendu le crâne ! - Ferme ton claque ! DitPigeon. Garde ton énergie ! Il regarde la pâte blanchâtre qu'est devenue la gangue qui entoure OEil Vert. (...)
C'est OEil Vert. - C'est froid ! Ca à durcit... on dirait de la glace... La panique perce dans la voix dePigeon. La panique perce dans mon esprit, dans le regard de Rude qui s'éloigne, effrayé. Soudain Brume est là, debout devant nous. - Laissez-moi vous aider ! Nous la regardons un instant.Pigeonet moi échangeons un regard. Je hoche la tête, nous n'avons rien à perdre. - D'accord ! dit-il. (...)
- Bien, il faut faire fondre la glace, réactivez le feu et suspendez-le au-dessus ! - On va le cuire ! S'écriePigeonFou ! - Oui, c'est un peu ça ! - Mais... Commence-t-il. Je l'interromps. - C'est la fille de Regard Vif, elle sait ce qu'elle fait ! (...)
Nous suspendons OEil Vert au-dessus du feu et faisons fondre l'étrange glace qui l'enveloppe tandis quePigeonFou et Brume soignent ses plaies autant qu'ils peuvent. Elles sont nombreuses, certaines profondes, et OEil Vert ne tarde pas à perdre connaissance. (...)
La cruauté de ce genre de moment viens du fait que l'on à parfois encore un espoir, alors qu'il est plus qu'infondé. Tout ce qui reste, après, ce sont les regrets. Quand il reste quelque chose... Brume, Rude etPigeonFou reviennent.PigeonFou a presque l'air fier de lui, Brume a l'air épuisée mais égale. Les nouvelles ne doivent pas être trop mauvaises. - Comment va-t-il ? (...)
- S'il survit au voyage, il perdra un bras, peut-être une jambe, dit-elle. - Faudra lui faire un brancard, ditPigeonFou, avec les lances et du tissus, et on l'accrochera à un cheval. - Mieux vaut l'installer dans le chariot, dit-elle. (...)
tu es le meilleur guerrier du village, c'est la fille de Regard Vif, c'est... c'est le destin, non ? - Le meilleur guerrier du village ? Qui t'a raconté ça ? -Pigeon... Flocon... tous les autres au village. Je me tourne vers lui, croise son regard : un gosse. (...)
J'aurais presque envie de le faire partir si je n'étais pas si sûr de l'envoyer se faire tuer ce faisant. Je soupire. - Reste ici. Je me retourne et pars vers le chariot. QuandPigeonFou voit mon regard, il hausse les épaules l'air innocent, l'imbécile ! Je descends de mon cheval, et après l'avoir accroché au chariot, y grimpe d'un bond. (...)
- Ce dont je suis capable, Boeuf l'est aussi, en pire. Pourquoi moi ? - Tu es un ancien, Boeuf me fait peur.Pigeonparle trop, Rude est ignorant. Je fronce les sourcils, m'installe. - Que veux-tu ? - Je veux savoir. (...)
J'ignore s'il s'agit d'un sort ou juste d'elle, mais je n'aime pas la façon dont elle attire ma pitié. Je n‘ai pas aimé son avertissement. Je remonte jusqu'àPigeonFou. - Ne laisse pas Rude Automne s'approcher à nouveau d'elle. - D'accord. Les choses sont assez pénibles comme ça. Le lendemain et le surlendemain sont calmes. Rude pose un tas de question,Pigeony répond. OEil Vert se réveille, souffre, gémit et se rendort. Boeuf et moi surveillons Brume et l'horizon. (...)
Le troisième jour, nous nous approchons encore, même si nous ralentissons instinctivement. Au fur et à mesure que nous approchons, nous nous faisons de plus en plus silencieux, même Rude etPigeonrestent cois. De l'extérieur du domaine, nous percevons petit à petit les détails de cette bâtisse. (...)
J'entends les pas métalliques des gardes qui s'approchent. La voix caverneuse de l'un d'eux retentit. - Le tribut ? La voix dePigeonretentit lorsque je l'entends se redresser. - Maigre, monseigneur, mais nous avons négocié une compensation avec le Héraut. (...)
- Ciel ! Je me lève, gardant le poing fermé. Furtivement, je croise le regard de la princesse et celui dePigeonet une vieille sensation s'empare de mes tripes, et les attache comme un noeud coulant autour de mon esprit. (...)
Un garde, le même, ricane. - Vous êtes dans la merde ! - Notre vie ne tient qu'à un fil, fiston. C'estPigeon. Je soupire. Une colère froide me prend et me glace les veines. - Est-ce que ça change vraiment de l'habitude ? (...)
Soudain, un glas retentit, et mon sang se fige dans mes veines. Boeuf jure. Rude nous regarde, paniqué : - Que se passe-t-il ?Pigeonécarquille les yeux de stupéfaction. - Non... nous... le village... le Seigneur nous renie ! Les gardes s'avancent vers nous pour nous mettre à mort. (...)
Je n'ai pas le temps de bouger, une flèche se plante dans mon épaule, je tourbillonne et tombe au sol, deux autres flèches suivent de très près. Aucune ne me touche. Un vrai miracle.Pigeonse rue vers le bois, je découvre à quel point le petit homme court vite, mais il n'atteint pas les frondaisons. (...)
Lentement, la douleur s'étiole, se dissipe, et elle est tant liée à mon existence qu'un moment je crois mourir. Mais je n'entends pas le souffle du vent du monde des morts, ni les voix de Boeuf,Pigeonet Rude. C'est seulement mon vieux corps obstiné qui s'est habitué. Je prends une inspiration profonde, l'air frais et humide mord sauvagement mes poumons. (...)
» Hakka se remet à parler. La langue des Aïnouks est un flot rapide de syllabe qui confine a l'insaisissable.PigeonFou connaissait leur langue, mais lui-même ne les comprenait pas toujours. Elle traduit instantanément. (...)
Je garde l'oeil sur la neige sous mes pieds et autours de moi, au cas où. Cette histoire de neige noire, que m'a un jour racontéePigeonFou : dans le nord lointain, il arrive parfois que de sombres nuages laissent tomber une neige sombre qui obscurcit la peau de ceux qu'elle touche, et qui laisse les corps de ces derniers calcinés sans même qu'ils aient brûlés. (...)
Les gigantesques collines nous dominent et nous plongent dans l'ombre. Les anciens, Flocons Amer etPigeonFou, disaient que lorsque le Beau Peuple a envahi le monde, les collines ont été submergées il y a longtemps par l'océan du chaos, qu'elles avaient changées sous son influence et étaient devenues d'immenses os vivants, et que lorsque le chaos se retirât devant le pouvoir de l'impératrice écarlate, les os moururent, et se fossilisèrent en ces énormes collines de roches. (...)