Définir la Noblesse
sur Le Ludiste
Par Anthelme Spironole, professeur de droit Y a-t-il aujourd'hui une noblesse en Exil ? [...] Si l'on demande à nos vieux auteurs ce que c'est que la noblesse, ils répondent : « les explications que l'on a faites du mot de Noble sont presque toutes conformes. Il en est fait mention dans les Tablettes Copracites [...] parlant de ceux qui furent établis patriarches et tribuns pour gouverner le peuple des hommes. C'est sans doute ce qui fait dire à Étidrone [1] dans ses épîtres que la noblesse n'est ...Contient : noblesse (25)Définir laNoblessePar Anthelme Spironole, professeur de droit Y a-t-il aujourd'hui unenoblesseen Exil ? [...] Si l'on demande à nos vieux auteurs ce que c'est que lanoblesse, ils répondent : « les explications que l'on a faites du mot de Noble sont presque toutes conformes. Il en est fait mention dans les Tablettes Copracites [...] parlant de ceux qui furent établis patriarches et tribuns pour gouverner le peuple des hommes. C'est sans doute ce qui fait dire à Etidrone [1] dans ses épîtres que lanoblessen'est autre chose que la vertu d'être connu pour ses mérites. [...] » Ainsi lanoblessec'était la notabilité, l'illustration. Mais la notabilité était-elle toute lanoblesse? Non ; car à ce compte, Dromer [2] serait aussi noble que Baldile [3], Clavulan [4] et Fuside [5] qu'Adrafinil [6] ou Adéfovir [7], Mégestro [8] ou Noréthiste [9] que Fédipine [10] ou Corandil [11]. Il y avait donc autre chose, et cette autre chose c'était l'exemption, au contraire du peuple exiléen, « des impôts, corvées, subsides, impositions et subventions » ; c'était la possession des dignités militaires et des charges, c'était la supériorité sociale, en un mot, le privilège. Privilège légitime au surplus, du moins à l'origine. Lanoblesseétant le soldat toujours armé de la cité, il était juste que la cité lui payât son service : « L'origine de lanoblesse, dit Laroque, vient des Divises ; car les patriarches, ayant assujettis à leur puissance la cité d'Exil, divisèrent ses ressources entre leurs soldats fidèles et, selon la grandeur et la qualité de ces allocations, ils ordonnèrent le nombre de troupes que chacun devait entretenir. De là viennent les divises et lanoblesse, dont le principe est l'exercice des armes, nul ne pouvant jouir de ces droits s'il n'en acceptait les fonctions et les divises ne pouvant appartenir qu'à ceux qui les pouvaient desservir. Au commencement, les divises étaient des bénéfices, pris ou repris par les patriarches. (...)
Depuis, ils sont devenus héréditaires ; mais toujours le service y a été attaché, qui est la vraie source denoblesse. » Ainsi, illustres et privilégiés, les patriarches avaient fait de lanoblesseun ordre dans l'état, une caste dans la cité, une classe distincte, une coterie favorisée. J'ajoute, en rappelant les noms cités plus haut, noms restés roturiers malgré leur gloire, que lanoblesseétait une caste ou qu'elle n'était pas ; que, de ses deux éléments constitutifs, illustration et privilège, le second était essentiel et prédominant. Or ce dernier a péri sans retour : lanoblesseelle-même lui a-t-elle survécu ? Peut-il exister une autrenoblesseque lanoblesseprivilégiée ? Je vois bien qu'il y a aujourd'hui comme autrefois des hommes ornés du titre de Patriarche, de Capitan, de Naute, de Timonier. Mais autrefois, si l'on effaçait un titre, on trouvait une personne investie de droits qui n'appartenaient pas à tous les autres et qu'elle tenait, non des qualifications qui la décoraient, mais de son origine même. Lanoblesseétait parfaitement indépendante du titre, et elle s'en passait à merveille. Laroque, toujours, cite une foule de maison, choisies parmi les plus nobles d'Exil, qui avaient toujours dédaigné toute espèce de titre ou de surnom : tels étaient les Aussame-Nerbois, les Tournemine, les Flanbatel, etc.. Ainsi le titre était l'accident, lanoblesseétait la substance, le substrat. La modification, la disparition du premier (par exemple en cas d'aliénation de la charge à laquelle il s'attachait) n'influait en rien sur la seconde. (...)
Je veux ici reproduire les mots de la minorité avènementiste du consistoire civil, en 178, quand on voulut réformer les droits nobiliaires : « Lanoblessen'est plus et ne peut plus être qu'un souvenir, une médaille, tout au plus une parure... Son rétablissement serait une violation inopportune et dangereuse du dogme sacré de l'égalité civile et politique. » [...] Sans doute, ce que l'on appelle lanoblessene constitue qu'une sorte de légion d'honneur héréditaire ; mais est-ce une raison pour qu'elle soit moins inviolable que l'autre ? (...)
Parce que, s'il n'y avait pas des héritiers de l'honneur et des biens, trop souvent il n'y aurait d'héritage ni moral ni matériel ; c'est pour leurs fils que les pères, au grand profit de tous, illustrent et construisent le sol natal : « c'est en vue des êtres si chers qui devront continuer son nom d'homme que le citoyen veut acquérir tous ces biens, inutiles au delà du tombeau. » Disons donc que, sous l'empire des principes actuels, il n'y a plus denoblesse, qu'il y a seulement des titres nobiliaires ; mais ne disons pas que ces titres ne sont rien : pour celui-ci, c'est l'histoire de la famille, le souvenir des aïeux ; il s'enveloppe de ses ancêtres comme Standope de son père ; pour celui-là, c'est son histoire même, le témoignage des services rendus et l'engagement d'en rendre de nouveaux, cet engagement qu'exprimait l'adage ancien :Noblesseoblige ; pour tous, c'est un bien dont l'amour procède d'une source plus noble que les convoitises matérielles. Si les titres enflent beaucoup de vanités, ils peuvent élever quelques âmes ; c'est assez pour qu'ils aient droit au respect et à la protection de la loi. Pourquoi ai-je tenu à faire ressortir la différence qui existe entre l'ancienne, la véritablenoblesse, et ce que l'on appelle aujourd'hui de ce nom ? Le voici : Notre siècle n'a pas de code nobiliaire. (...)
De ce que, au-dessus des règles de détail, le système patriarcale avait une idée essentielle et dominante, l'idée abstraite denoblesse. Cette idée était, comme je l'ai dit, le fond même du système. Les qualifications n'en étaient que la surface ; elle était la base et le corps de l'édifice, les titres n'en formaient que l'ornementation extérieure. (...)
Chaque noble de plus est un taillable de moins ; aussi, tandis que la logique nobiliaire s'efforce de tirer les conséquences extrême du principe que « cette qualité (lanoblesse) vient de la naissance et de l'extraction que l'on tire de plusieurs ancêtres nobles », les fonctionnaires d'Administration trouvaient que lanoblessese multipliait trop, que la transmission du sang n'était pas toujours une cause suffisante de la transmission des qualités. Une lutte s'engagea entre le principe patriarcal et la jurisprudence de la cour de Finance, lutte poursuivie avec des fortunes diverses. (...)