L'angoisse de la feuille blanche
Contient : histoire (16)(...) Si vous voulez rester fidèle à l'esprit du jeu, il vous sera difficile de cacher l'indigence d'un scénario par de l'action, du sexe et de superbes effets spéciaux. La réussite de votre partie dépendra grandement de la qualité de l'histoireque vous proposerez à vos joueurs. Je me souviens avoir un jour entendu Michel Gaudo répondre à un joueur qui lui avait demandé comment écrire un scénario : « d'abord, il faut avoir envie de faire quelque chose, il faut une idée ; ensuite, c'est du travail, du travail et du travail... » Cette réplique n'avait rien de provocatrice ; elle définissait pleinement toute la problématique de l'écriture d'un scénario. Au registre des citations, Gabin disait : « pour faire un bon film, il faut une bonnehistoire, une bonnehistoireet une bonnehistoire. » Et une bonnehistoire, justement, ça ne s'improvise pas, ça se travaille... Préparez-vous donc à suer sang et eau au cours de ce long et fastidieux exercice. Attendez-vous à douter - si vous ne doutez pas, c'est très mauvais signe ! Vous connaîtrez l'appréhension, l'angoisse, l'exaspération, le découragement. Mais quand l'oeuvre sera achevée, que de satisfactions ! (...)
Le scénariste est un rat de bibliothèque, un lecteur invétéré, un cinévore insatiable, un voyageur intrépide, un curieux impénitent et, par-dessus tout, un inlassable rêveur. Notez tout dans un coin de votre tête : unehistoirequi vous a passionné, un événement historique intéressant, un paysage pittoresque, une ambiance, un visage, un personnage atypique, une scène de rue, etc. (...)
Le temps de la déception passé, je me suis rendu compte que les lieux étaient en fait beaucoup plus intéressants que ceux que j'avais imaginés... Plus récemment, j'ai eu l'occasion de lire quelques ouvrages sur la paysannerie écossaise de la fin du XIXe siècle, dimension que je n'avais pas envisagée le moins du monde quand j'avais écrit cettehistoire. Depuis, j'ai repris très largement ce scénario : mes paysans écossais qui n'étaient, dans la première mouture, que de vagues figurants extraordinairement stéréotypés prennent une dimension qui, au final, enrichit grandement le scénario. (...)
Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de réunir la documentation d'un doctorant préparant une thèse d'histoire! Le plus souvent la documentation qui vous sera nécessaire est très facile d'accès. Il est possible que l'idée de départ n'induise pas de situer l'action dans un cadre espace-temps très précis. (...)
Or vos joueurs, aussi brillants puissent-ils être, ne sont pas des Sherlock Holmes. Le but est de leur faire vivre unehistoireextraordinaire qui leur laissera d'impérissables souvenirs, et non de les noyer sous d'inextricables énigmes. (...)
Rien n'est pire qu'un joueur qui ne sait plus quoi faire en cours de partie ; neuf fois sur dix, un joueur qui ne sait plus que faire, décide tout de même de faire quelque chose, et souvent n'importe quoi ! D'où l'intérêt de prévoir quelques fausses pistes,histoirede les occuper - ce qui permet qui plus est de rompre avec une linéarité qui sans cela pourrait être trop apparente. (...)
Il faut d'autant plus soigner le commencement de votre scénario que si vos joueurs veulent rester très cohérents - à savoir jouer réellement des personnages de la Belle Epoque -, ils risquent de ne pas s'embarquer dans une affaire sans un bon motif. Intégrer les personnages dans l'histoire: Le fait de lire dans votre journal local qu'un meurtre a été commis dans votre ville va-t-il vous donner l'irrésistible envie d'enquêter pour essayer de trouver le meurtrier ? (...)
Certes, vous respecterez le principe de cohérence ; mais surtout vos effets dramatiques devraient être beaucoup plus efficaces si les personnages de vos joueurs se sentent pleinement impliqués dans le scénario. Le montreur d'ombres est à cet égard exemplaire. Le MacGuffin : Hitchcock racontait unehistoiretrès amusante pour définir le MacGuffin. C'est celle d'un homme qui, assis dans un compartiment du Londres-Glasgow, voit un voyageur entrer, portant une valise visiblement très lourde puisqu'il peine à la lever jusqu'au porte-bagages. (...)
On attire les joueurs dans une direction en brandissant un chiffon rouge, et dès qu'ils sont embarqués dans cettehistoire, on vire ! Hitchcock l'a magistralement utilisé dans Psychose : on croit qu'il s'agit de la banalehistoired'une jeune femme qui se fait la belle avec un magot, mais à partir de la scène de la douche - soit après vingt minutes de film - on comprend qu'il s'agit de tout autre chose. On trouve le même procédé utilisé de façon encore plus subtile dans Les oiseaux : alors que le sujet du film, par le titre même, ne fait aucun doute, Hitchcock nous montre, pendant une bonne vingtaine de minutes, le jeu de séduction auquel se livrent un homme et une femme qu'en apparence tout oppose. (...)
Mieux vaut me semble-t-il prévoir quelques « saillies drolatiques » - au sens littéraire du terme, restons corrects ! - à des moments opportuns et soigneusement choisis par vous,histoirede détendre vos joueurs un court instant et éviter des vesses euphoriques intempestives. L'amour : Hitchcock racontait que pour être sûr de ne laisser échapper aucune idée, il avait placé sur sa table de chevet un carnet et un crayon pour y noter celles qui pourraient lui venir nuitamment ; le lendemain il s'aperçut qu'il avait écrit sur son carnet : « homme aime femme ». (...)
Ces deux exemples montrent que, lorsque vous voulez faire passer une émotion dans une scène, la préparation de la scène compte au moins autant que la scène elle-même. La chute : Pour Claude Seignolle, il n'y a pas de bonnehistoiresans une bonne chute. Personnellement, je n'adhère pas entièrement à ces propos, même si je pense qu'une bonne chute peut avoir un effet redoutable. (...)Quel meneur de jeu n'a un jour tenté d'écrire ses propres scénarios ? Quel meneur de jeu n'a alors jamais connu une irrépressible angoisse face à la feuille blanche ? Ou pire, quel meneur n'a jamais ressenti, après des jours voire des semaines d'un labeur exténuant, le sentiment que ce qu'il proposait à ses joueurs était loin de tenir la route ? C'est un lieu commun, mais il faut pourtant le répéter : Maléfices est un jeu de rôle qui a ses exigences. Si vous voulez rester fidèle à l'esprit du ...