Cendres d'Automne
sur Pénombre au format (30 Ko)
«C'est un jeune homme bien agité, monseigneur». Shiba Gosuke ne daigna pas répondre à cette évidence concernant son fils. Le regard du daimyo était fixé sur la calligraphie suspendue au fond du dojo et il demeurait parfaitement immobile. Face au seigneur, le vieux sensei couturé de cicatrices se sentit conforté par ce silence hostile. Au moins on ne lui avait pas ordonné de se taire. Il bougea légèrement, de manière presque imperceptible, afin de soulager ses chevilles engourdies par une longue ...Contient : homme (21)Cendres d'Automne «C'est un jeunehommebien agité, monseigneur». Shiba Gosuke ne daigna pas répondre à cette évidence concernant son fils. (...)
Le vieux maitre s'imprégna de l'esprit qui habitait ce bâtiment dans lequel il avait passé l'essentiel de son existence, depuis qu'il avait repris cette charge des mains de son propre maitre vingt quatre ans plus tôt. Shiba Gosuke avait été un de ses premiers élèves. Le jeunehommesi sérieux ne devait pas devenir un grand guerrier mais il avait l'esprit sérieux et discipliné. (...)
A la vérité, le daimyo n'était pas vraiment pressé de s'en retourner auprès de l'envoyé des Togashi qui était apparu quelques jours plus tôt devant sa porte. L'hommeavait ce don exaspérant que partageaient les isezumi de vous sortir les phrases les plus idiotes et les plus gênantes au plus mauvais moment. (...)
Loin de la sérénité du Tao, leurs propos parfois très crus ou iconoclastes... évidemment, Kazuo lui ne lâchait plus l'hommetatoué et Gosuke s'attendait à moitié à ce que ses gardes lui ramènent le Togashi et son enfant liés ensemble par un acte complice qui aurait malmené la réputation ou l'honneur de quelque notable de ses terres. (...)
Je crois que grâce à vous je viens de comprendre bien des choses.' Le vieux maitre ne cacha pas sa surprise mais se garda bien d'interrompre son suzerain. 'L'hommetatoué, le Dragon venu dans la maison du Phénix... il est sans doute ici pour Kazuo.'. En regardant les choses ainsi, la présence de l'homme, le fait qu'il s'entende si bien avec son enfant et le présage d'autrefois convergeaient tous vers cette unique évidence. Qui elle débouchait sur. (...)
' Mais il était déjà bien trop tard. *** 'J'aimerai comprendre pourquoi vous nous avez fait cet affront, Togashi... san'. L'hommetatoué se contenta de sourire, traitant par l'indifférence le mépris et la colère du seigneur. (...)
Dans le secret de ses pensées, la brûlure de l'horreur le disputait à la fraîcheur glacée de la logique. Il brûlait de faire décapiter l'hommedevant lui et de faire porter son crâne à Togashi Yokuni après que les chiens se soient acharnés sur le vestige funèbre. (...)
il y en avait tellement à dire à leur propos que mille ans n'y suffiraient sans doute pas. 'Kazuo' Son fils releva la tête et le regarda d'un air paisible. 'Kazuo, pourquoi as tu écouté cethomme? Pourquoi as tu tué le vieux Jin ?' Un sourire triste fut la seule réponse. De cette tristesse propre à ceux qui savent et ne peuvent partager ce savoir. (...)
Tant de calme alors que tous les coeurs présents étaient bouleversés par son crime et que le temps dehors tournait lentement à la tempête, comme en réponse au maelstrom d'émotions réfrénées qui emplissaient la salle d'audience. 'Et vous,hommetatoué, vous... qu'avez vous fait à mon fils pour qu'il commette ce meurtre ?' 'Je lui ai montré sa véritable nature. (...)
Des murmures choqués, deux des bushi qui s'avancent comme pour frapper l'impertinent mais qu'un regard de leur seigneur arrête. Comment peut-il oser me faire insulte devant ma cour ? Cethommevient de faire de mon fils un assassin, un assassin qui n'éprouve aucun remords, et il me défie devant tous mes vassaux ! (...)
Je sais à quel point il souhaitait mourir et j'ai vraiment essayé de le persuader de ne pas mettre fin à ses jours...' 'Comment oses tu souiller la mémoire de cethommeet essayer d'excuser ton crime !!' 'Mais père, je ne cherche pas à l'excuser. Il voulait mourir, je ne pouvais pas l'arrêter. (...)
Mais leur hurlement de fureur fut réduit à néant lorsque les vents arrachèrent les frêles cloisons de papier et s'engouffrèrent dans la salle, soufflant les lanternes, projetant les flammes sur les estampes. Ténèbres, flammes, cris, fuite. Lorsque le calme revint, le jeune Kazuo et l'hommetatoué avaient disparu. Ne restaient que des courtisans terrifiés, des shugenja troublés, un seigneur effondré. (...)
Après quelques instants de silence il lut un poème émouvant parlant de l'aveuglement de ceux qui se croient justes, puis il cessa de porter atteinte au nom de Shiba. *** 'C'est ici que nous nous séparons' déclara l'hommetatoué. Il contempla un moment le carrefour bordé par une petite stèle rongée par les ans avant de se retourner vers le jeune garçon. 'Comment te sens tu ?' L'enfant, non, le jeunehommeétait encore bouleversé. Donner la mort est inhérent à la voie du guerrier, mais combien le font par compassion ? (...)
'Mais va le faire ailleurs, je t'ai assez vu'. Kazuo prit les deux lames sans dire un mot lorsque l'hommetatoué les lui tendit. Machinalement, il les passa à sa ceinture, sans prêter attention à leur facture ni les sortir de leurs saya. (...)
Comme s'il se demandait s'il ne valait mieux pas le tuer. Ce qui ne fit qu'élargir encore le sourire de l'homme. Avec un clin d'oeil malicieux et un geste d'invite à demi moqueur, l'ise-zumi indiqua au jeune garçon la route qu'il devait prendre, puis il s'aventura sur l'autre chemin et fit un dernier signe de la main, sans même daigner se retourner. (...)
Il sentait la présence de son Maître, quelque part dans les collines proches, attendant qu'il vienne lui rendre compte. L'hommetatoué ne savait rien des désirs de celui dont il portait le nom. Pas plus qu'il ne comprenait le rôle du jeune garçon si brutalement arraché aux siens et aux dangereuses illusions de l'ambition travestie en vertu. (...)
D'ailleurs, à tout prendre, il se fichait pas mal de comprendre. Le jeune garçon suivit du regard l'hommetatoué jusqu'à ce qu'il disparaisse. Il demeura ensuite un long moment immobile, les mains blanchies par l'effort qui serraient à toute force les deux armes passées à sa ceinture. (...)
Lorsque les kami du vent jouèrent avec les feuilles mortes sur son chemin, il vit les vestiges roux et bruns comme autant d'hommes emportés par des vents qu'ils ne voyaient pas mais qu'ils prétendaient comprendre. Il vit son père, l'hommequ'il avait tué et bien d'autres. Emportés par le vent sans que nul ne se soucie d'eux, avant ou après qu'ils tombent de l'arbre de la vie. (...)
Un peu plus loin, un vieux bûcheron croisa un jeune ronin nommé Automne qui lui demanda son chemin et le remercia d'un sourire si éblouissant que l'hommeen resta songeur pendant le reste de la journée.