Ciel et Terre
sur Chaodisiaque au format
Le maître du vent. Je m'appelle Ciel Noir. Je ne suis qu'un homme. Le sang qui coule dans mes veines n'est pas celui des dieux, ni celui des dragons, il me permet juste d'animer ce corps, de pousser cette charrue qui creuse son sillon pour m'offrir de quoi me faire vivre, de parler, et parfois, faire naître un sourire sur le visage de ma femme. Ce village est petit, si petit qu'il ne porte pas de nom, à peine une centaine de paysans l'animent, survivant avec moi, leurs âmes revêtues ...Contient : morts (29)(...) Le temps d'avant la contagion, où chaque homme vivait tel un prince, où les dieux écoutaient encore les prières des hommes et où lesmortsreposaient en paix, où la beauté ne signifiait pas si souvent aussi la terreur. Ces histoires, je les transmettrai le jour venu à mon fils, lorsqu'il apercevra dans le regard d'une femme le même feu que j'ai perçu dans celui de la mienne. (...)
Alors des arrangements sont pris, des serments prononcés entre nous, et nous supportons notre maître car il est le moins pire des maux qui errent à l'orée de nos existences. Ainsi nous vivons, cernés par des monstres, desmorts, des demi-dieux et les éléments. Le conseil des Anciens gère ces arrangements et s'assurent qu'ils sont respectés. (...)
Anciens : c'est un titre doux-amer, il faut être le plus vieux de sa famille pour l'obtenir, mes parents ont été emportés par les fièvres et ceux d'Aube Grise sontmortsde vieillesse il y a longtemps. Je suis moi-même un ancien, mais je n'ai pas trente printemps. (...)
Deux jours avant le solstice d'hiver, un caravanier itinérant était passé et vendait des exorcismes, mais les talismans étaient bidons. Lesmortss'étaient offensés et avaient fait un exemple. - Un homme... Il ne sait pas encore ce que ça signifie ! (...)
Nous traversons le bois entourant le Trône d'orage : C'est un lieu brumeux, dont de nombreux arbres sontmortsmais où survivent aussi des géants centenaires sur lesquels perchent des familles entières de corbeaux et de corneilles qui croassent en nous voyant passer sur la route pavée de pierre et de jade et jalonnée de dragons de jade bleu. (...)
Le retour se fit sous la pluie, a pied, sous une chaleur imbibée accablante. Lorsque je revins, quatre jours plus tard, épuisé, mes parents étaientmortsévidemment. A l'époque, Flocon faisait déjà partie du conseil des anciens, mais il n'était pas l'aîné. (...)
Pas la peine d'essayer à nouveau, j'ai besoin de repos, alors je ferme les yeux et prie silencieusement pour qu'une bande de loups ne m'ait pas pisté. C'est drôle d'y repenser maintenant. Quand j'y repense, Sillon est peut-être parmi lesmortsqui errent dans la plaine et qui boivent le sang des offrandes au Solstice d'hiver, Boeuf, de son vivant, les détestait, maintenant peut-être s'étripent-ils dans le monde desmorts. Je parierais sur Boeuf. Lorsque la confrontation eut lieu, cela se passa dans l'enclos de Sillon, les gens étaient venus de tout le village. (...)
Lentement, la douleur s'étiole, se dissipe, et elle est tant liée à mon existence qu'un moment je crois mourir. Mais je n'entends pas le souffle du vent du monde desmorts, ni les voix de Boeuf, Pigeon et Rude. C'est seulement mon vieux corps obstiné qui s'est habitué. (...)
Malgré les apparences, les buttes n'ont rien de naturel, ce sont des tertres élevés par les Aïnouks, nomades qui passent dans la région, ils y enterrent leursmorts, des gris-gris, ou d'autres choses, et parfois, tout cela refuse de rester où on les y a laissés. (...)
La Princesse Bleue reste silencieuse, et nul ne lui adresse la parole. Quand à moi, j'attends que les esprits desmortss'emparent de moi ou de mon esprit. J'attends que les dieux me foudroient pour avoir profané ces buttes mais rien ne vient de ce côté là. (...)
Assis par terre, j'attends sans trop savoir quoi, ahuri. La nuit. La nuit froide, et le vent, toujours le vent, qui emporte lesmortset les vivants. Lentement, la nuit plonge mon corps dans l'obscurité en même temps que la plaine. (...)
La femme reste silencieuse un instant, et se tourne vers moi doucement, comme si j'étais un loup prêt à mordre. - Hakka dit que vous avez un pacte avec lesmorts. Vous avez marché sur leurs territoires. - Je n'ai rien de tout ça, dis-je. Je sais que le sang attire et nourrit lesmortsau Solstice d'hiver, c'est tout. Le temps de faire la traduction et que Hakka réponde, Mahe devient pâle. (...)
- Oui, Hakka dit que dès que nous serons sortis de la plaine des vents, il vous indiquera le chemin du pays desmorts. Le pays desmorts... Prononcer ce seul nom est interdit pour les vivants. Nous le connaissions au village parce que l'on entendait parfois lesmortsle hurler lors du Solstice d'Hiver, quand quelqu'un refusait de payer le tribut du sang. Je pourrais avoir peur, je devrais avoir peur, mais je me sens presque euphorique. Peut-être ai-je réellement parcouru la terre desmorts. - Pourquoi m'en parle-t-il ? C'est dangereux d'en parler pour un non-initié, dis-je. - Hakka est un Shaman, et vous êtes différent, dit-elle. (...)
Hakka élève la voix, parle dans la langue ancienne. La langue utilisée par les dieux, les esprits et lesmorts. Je ne la comprends pas, mais j'ai assez entendu Regard Vif l'utiliser lors du Solstice d'hiver pour la reconnaître. (...)
Autour de moi, quelques yourtes brûlent et quelques Aïnouks m'observent avec plus d'inquiétude dans leurs regards que les incendies, les gardesmorts, ou le Héraut lui-même. Je me tourne vers Mahe, lui tend la main. Ses yeux éblouis s'écarquillent encore. (...)
Quelques minutes plus tard, viens la confirmation que je ne me trompe pas. Je découvre un tas de chevauxmorts, éventrés, et gelés. Les bêtes gisent, empilées en un tas grossier saupoudré de neige, leurs poitrines et leurs entrailles misent à l'air. (...)
Je tente de la calmer, mais je suis trop heureux de la voir en vie, de voir que je n'ai pas juste répandu la mort tout autour de moi. - Je pensais qu'ils étaient tousmorts! Qu'aucun autre habitant du village, n'avait survécut, et tu es là ! Merci ! Mais elle ne m'écoute pas, sa voix est une rivière sans fin de supplication. (...)
Shaman, tu parles ! : Toujours seul, toujours en dehors du village, peut-être pour vous aider à éloigner lesmorts, ah ça oui ! Et pareil pour le Beau Peuple, mais à part ça, rien ! Les légendes disent que les élus du soleil et ceux des dragons sont ennemis, alors j'ai prévenu le Seigneur des Hauts Vents grâce à Brume, mais le destin. (...)
- Si tu survis dans cet état dans la plaine du vent, tu auras mérité le droit de vivre, dis-je tandis qu'il gémit de douleur, sinon, lesmortsseront toujours là pour toi. Je sors, me laisse glisser jusqu'en bas pour rejoindre mon cheval qui piaffe d'impatience, prêt à repartir. (...)
- Mais, où vas-tu aller ? Je ne la regarde pas. - Plus au nord, dis-je, de l'autre coté du fleuve noir, dans le pays desmorts, pour retrouver ma femme et mon fils. - La terre desmorts... tu ne pourras pas survivre là-bas, personne ne le peut ! Reste ici, avec moi, Là-bas, c'est le royaume de la mort ! (...)
Elle reste silencieuse. Je l'abandonne malgré son regard que je sens peser sur moi. L'emmener dans le pays desmortsest le pire service que je pourrais lui rendre et il s'est passé trop de chose pour que nous puissions partager la même route longtemps. (...)
J'ignore toujours pourquoi il m'a choisi, mais il m'a donné le pouvoir et je m'en servirai pour retrouver ceux que j'ai aimés. On dit qu'aucun homme ne peut vivre dans le pays desmorts, mais on dit aussi que lesmortsmarchent dans leurs ombres éternelles. Ma famille se trouve parmi eux et je ne leur ais pas encore tout dis. Je suis libre, et si je peux me libérer du destin, il y a peut-être une justice dans ce monde, et si c'est le cas, alors, je retrouverai ceux que j'aime. (...)