Akisu
sur Kuro Shin Edo au format (124 Ko)
Retranscription de l'enregistrement retrouvé dans l'appartement 211 de l'immeuble Hinan, quartier Harajuku. Ce soir, je ne serai plus. Cette certitude grandit en moi depuis l'aube et me tétanise d'effroi. C'est seulement au prix d'un colossal effort, que je suis enfin parvenue à activer ce satané enregistreur vocal. Je laisse ici mon histoire, si le temps me le permet, pour que demeure une trace de mon existence et de cette maudite période, et afin de mettre en garde quiconque écouterait ...Contient : yeux (10)(...) Une étrange silhouette au dos voûté et à la mise toujours défraîchie, comme supportant le poids de plusieurs vies de malheurs, un visage vieilli avant l'heure, aux traits constamment tirés par la fatigue, dévorés par l'angoisse et auxyeuxsans vie. Telle était l'atroce vision à laquelle nous avions droit à chaque fois que nous l'apercevions. (...)
Le corps souillé d'immondices et parcouru de tremblements, l'Akisu était agenouillé dans une répugnante flaque de boue et de pisse. Sesyeuxétaient vitreux et avaient pris une étrange teinte laiteuse. Ses lèvres frémissaient et laissaient échapper un unique son à peine audible en un flot ininterrompu et semblable à une plainte ou une litanie. (...)
Quand je revins à moi, ce fut pour découvrir, penché au-dessus de moi, le pâle visage baigné de larmes de l'Akisu. Celui-ci, lesyeuxclos, me tenait affectueusement dans ses bras tout en chantonnant la berceuse Akatombo. Je ne sais pourquoi cette comptine résonna étrangement en moi, comme un écho de souvenirs passés, mais je dois reconnaître que je me sentais bien en cet instant et ne désirais rien d'autre que suspendre le cours du temps. (...)
Il faut absolument que mon corps tienne encore un peu, car nos retrouvailles sont proches, je le sens. Ce n'est à présent plus qu'une question de temps. Quand j'ouvris lesyeux, j'étais allongée sur le sol fangeux de la planque à clodos que j'avais visitée plus tôt. J'étais seule et transie de peur autant que de froid. (...)
Le lendemain matin, je fus tirée d'un lourd sommeil par une désagréable sensation de présence. Ouvrant timidement lesyeux, je découvris, posé sur mon lit juste à côté de moi, un chapeau d'enfant dans le plus pur style londonien. (...)
Mais par-dessus tout, c'est l'impression que quelqu'un ou quelque chose cherchait à s'insinuer en moi qui m'arracha finalement un cri et me tira brutalement de ma torpeur. Depuis lors, le froid ressenti se fait toujours plus mordant, mesyeuxse sont mis à me démanger horriblement et j'ai l'impression permanente que quelqu'un m'observe en silence. (...)
C'est dingue quand même, je n'ai jamais eu aussi froid de toute ma vie. C'est vraiment hallucinant, surtout que mesyeux, eux, me brûlent maintenant atrocement. Allez, encore un effort, la porte n'est plus qu'à deux pas à présent. Il faut que j'arrête de me frotter lesyeux, plus je le fais, pire c'est ; ça m'irrite à mort et ma vision se brouille. Mais qu'est-ce que c'est que ce truc poisseux sur mes mains ? (...)
Un miroir, vite, il faut que je regarde ça. Putain, mais mon visage est en sang, c'est quoi ce bordel ?! Et mesyeux, qu'ont-ils, on dirait... desyeuxd'enfant ! [Un bruit de porte qui s'ouvre. Une voix masculine empreinte de gaieté] Junko ! Dans mes bras, ma petite ! (...)