Voyage au Centre de la Terre
sur Les Ludopathes
Contient : professeur (177)Voyage au Centre de la Terre Jules Verne. Edition du groupe « Ebooks libres et gratuits ». I Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, leprofesseurLidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg. (...)
Mais, pendant ce rapide passage, il avait jeté dans un coin sa canne à tête de casse-noisettes, sur la table son large chapeau à poils rebroussés, et à son neveu ces paroles retentissantes : « Axel, suis-moi ! » Je n'avais pas eu le temps de bouger que leprofesseurme criait déjà avec un vif accent d'impatience : « Eh bien ! tu n'es pas encore ici ? » Je m'élançai dans le cabinet de mon redoutable maître. (...)
Otto Lidenbrock n'était pas un méchant homme, j'en conviens volontiers ; mais, à moins de changements improbables, il mourra dans la peau d'un terrible original. Il étaitprofesseurau Johannaeum, et faisait un cours de minéralogie pendant lequel il se mettait régulièrement en colère une fois ou deux. (...)
Mon oncle, malheureusement, ne jouissait pas d'une extrême facilité de prononciation, sinon dans l'intimité, au moins quand il parlait en public, et c'est un défaut regrettable chez un orateur. En effet, dans ses démonstrations au Johannaeum, souvent leprofesseurs'arrêtait court ; il luttait contre un mot récalcitrant qui ne voulait pas glisser entre ses lèvres, un de ces mots qui résistent, se gonflent et finissent par sortir sous la forme peu scientifique d'un juron. (...)
Et s'il y avait toujours grande affluence d'auditeurs aux cours de Lidenbrock, combien les suivaient assidûment qui venaient surtout pour se dérider aux belles colères duprofesseur! Quoi qu'il en soit, mon oncle, je ne saurais trop le dire, était un véritable savant. Bien qu'il cassât parfois ses échantillons à les essayer trop brusquement, il joignait au génie du géologue l'oeil du minéralogiste. (...)
Cette science lui devait d'assez belles découvertes, et, en 1853, il avait paru à Leipzig un Traité de Cristallographie transcendante, par leprofesseurOtto Lidenbrock, grand in-folio avec planches, qui cependant ne fit pas ses frais. Ajoutez à cela que mon oncle était conservateur du musée minéralogique de M. (...)
La vieille maison penchait un peu, il est vrai, et tendait le ventre aux passants ; elle portait son toit incliné sur l'oreille, comme la casquette d'un étudiant de la Tugendbund ; l'aplomb de ses lignes laissait à désirer ; mais, en somme, elle se tenait bien, grâce à un vieil orme vigoureusement encastré dans la façade, qui poussait au printemps ses bourgeons en fleurs à travers les vitraux des fenêtres. Mon oncle ne laissait pas d'être riche pour unprofesseurallemand. La maison lui appartenait en toute propriété, contenant et contenu. Le contenu, c'était sa filleule Graüben, jeune Virlandaise de dix-sept ans, la bonne Marthe et moi. (...)
Il était enfoui dans son large fauteuil garni de velours d'Utrecht, et tenait entre les mains un livre qu'il considérait avec la plus profonde admiration. « Quel livre ! quel livre ! » s'écriait-il. Cette exclamation me rappela que leprofesseurLidenbrock était aussi bibliomane à ses moments perdus ; mais un bouquin n'avait de prix à ses yeux qu'à la condition d'être introuvable, ou tout au moins illisible. (...)
En effet, à quoi bon ce fracas pour un vieil in-quarto dont le dos et les plats semblaient faits d'un veau grossier, un bouquin jaunâtre auquel pendait un signet décoloré ? Cependant les interjections admiratives duprofesseurne discontinuaient pas. « Vois, disait-il, en se faisant à lui-même demandes et réponses ; est-ce assez beau ? (...)
m'écriai-je de mon mieux, et, sans doute, c'est une traduction en langue allemande ? - Bon ! riposta vivement leprofesseur, une traduction ! Et qu'en ferais-je de ta traduction ! Qui se soucie de ta traduction ? Ceci est l'ouvrage original en langue islandaise, ce magnifique idiome, riche et simple à la fois, qui autorise les combinaisons grammaticales les plus variées et de nombreuses modifications de mots ! (...)
Et, en même temps, il déployait soigneusement sur sa table un morceau de parchemin long de cinq pouces, large de trois, et sur lequel s'allongeaient, en lignes transversales, des caractères de grimoire. En voici le fac-similé exact. Je tiens à faire connaître ces signes bizarres, car ils amenèrent leprofesseurLidenbrock et son neveu à entreprendre la plus étrange expédition du dix-neuvième siècle : Leprofesseurconsidéra pendant quelques instants cette série de caractères ; puis il dit en relevant ses lunettes : « C'est du runique ; ces types sont absolument identiques à ceux du manuscrit de Snorre Turleson ! Mais... qu'est-ce que cela peut signifier ? (...)
Du moins, cela me sembla ainsi au mouvement de ses doigts qui commençaient à s'agiter terriblement. « C'est pourtant du vieil islandais ! » murmurait-il entre ses dents. Et leprofesseurLidenbrock devait bien s'y connaître, car il passait pour être un véritable polyglotte. Non pas qu'il parlât couramment les deux mille langues et les quatre mille idiomes employés à la surface du globe, mais enfin il en savait sa bonne part. (...)
Je volai sur ses pas, et, sans savoir comment, je me trouvai assis à ma place habituelle dans la salle à manger. J'attendis quelques instants. Leprofesseurne vint pas. C'était la première fois, à ma connaissance, qu'il manquait à la solennité du dîner. (...)
J'en étais à ma dernière crevette, lorsqu'une voix retentissante m'arracha aux voluptés du dessert. Je ne fis qu'un bond de la salle dans le cabinet. III « C'est évidemment du runique, disait leprofesseuren fronçant le sourcil. Mais il y a un secret, et je le découvrirai, sinon... » Un geste violent acheva sa pensée. (...)
» Pour mon compte, je pensais qu'il n'y avait absolument rien, mais je gardai prudemment mon opinion. Leprofesseurprit alors le livre et le parchemin, et les compara tous les deux. « Ces deux écritures ne sont pas de la même main, dit-il ; le cryptogramme est postérieur au livre, et j'en vois tout d'abord une preuve irréfragable. (...)
Pourquoi, ce Saknussemm n'aurait-il pas enfoui sous cet incompréhensible cryptogramme quelque surprenante invention ? Cela doit être ainsi. Cela est. » L'imagination duprofesseurs'enflammait à cette hypothèse. « Sans doute, osai-je répondre, mais quel intérêt pouvait avoir ce savant à cacher ainsi quelque merveilleuse découverte ? (...)
La pupille de mon oncle se trouvait alors à Altona, chez une de ses parentes, et son, absence me rendait fort triste, car, je puis l'avouer maintenant, la jolie Virlandaise et le neveu duprofesseurs'aimaient avec toute la patience et toute la tranquillité allemandes. Nous nous étions fiancés à l'insu de mon oncle, trop géologue pour comprendre de pareils sentiments. (...)
» Je compris ce dont il s'agissait, et immédiatement j'écrivis de haut en bas : J m n e , b e e , t G e t' b m i r n a i a t a ! i e p e ü « Bon, dit leprofesseur, sans avoir lu. Maintenant, dispose ces mots sur une ligne horizontale. » J'obéis, et j'obtins la phrase suivante : Jmne,b ee,tGe t'bmirn aiata ! (...)
» Et mon oncle, à son grand étonnement, et surtout au mien, lut : Je t'aime bien, ma petite Graüben ! « Hein ! » fit leprofesseur. Oui, sans m'en douter, en amoureux maladroit, j'avais tracé cette phrase compromettante ! (...)
Mais, heureusement, la grande affaire du document l'emporta. Au moment de faire son expérience capitale, les yeux duprofesseurLidenbrock lancèrent des éclairs à travers ses lunettes. Ses doigts tremblèrent, lorsqu'il reprit le vieux parchemin ; il était sérieusement ému. (...)
segnittamurtn ecertserrette, rotaivsadua, ednecsedsadne lacartniiiluJsiratracSarbmutabiledmek meretarcsilucoYsleffenSnl En finissant, je l'avouerai, j'étais émotionné, ces lettres, nommées une à une, ne m'avaient présenté aucun sens à l'esprit ; j'attendais donc que leprofesseurlaissât se dérouler pompeusement entre ses lèvres une phrase d'une magnifique latinité. Mais, qui aurait pu le prévoir ! (...)
Quand je fus seul, l'idée me vint d'aller tout conter à Graüben. Mais comment quitter la maison ? Leprofesseurpouvait rentrer d'un instant à l'autre. Et s'il m'appelait ? Et s'il voulait recommencer ce travail logogryphique, qu'on eût vainement proposé au vieil Oedipe ! (...)
Tel il était, tel il m'avait été dicté, tel il pouvait être épelé couramment. Toutes les ingénieuses combinaisons duprofesseurse réalisaient ; il avait eu raison pour la disposition des lettres, raison pour la langue du document ! (...)
Je saisis non seulement la feuille de papier, mais le parchemin de Saknussem ; d'une main fébrile j'allais précipiter le tout sur les charbons et anéantir ce dangereux secret, quand la porte du cabinet s'ouvrit. Mon oncle parut. V Je n'eus que le temps de replacer sur la table le malencontreux document. LeprofesseurLidenbrock paraissait profondément absorbé. Sa pensée dominante ne lui laissait pas un instant de répit ; il avait évidemment scruté, analysé l'affaire, mis en oeuvre toutes les ressources de son imagination pendant sa promenade, et il revenait appliquer quelque combinaison nouvelle. (...)
Je me tairai ; je garderai ce secret dont le hasard m'a rendu maître ! Le découvrir, ce serait tuer leprofesseurLidenbrock ! Qu'il le devine, s'il le peut. Je ne veux pas me reprocher un jour de l'avoir conduit à sa perte ! (...)
Ces raisons, que j'eusse rejetées la veille avec indignation, me parurent excellentes ; je trouvai même parfaitement absurde d'avoir attendu si longtemps, et mon parti fut pris de tout dire. Je cherchais donc une entrée en matière, pas trop brusque, quand leprofesseurse leva, mit son chapeau et se prépara à sortir. Quoi, quitter la maison, et nous enfermer encore ! (...)
cette clef ? - Quelle clef ? La clef de la porte ? - Mais non, m'écriai-je, la clef du document ! » Leprofesseurme regarda par-dessus ses lunettes ; il remarqua sans doute quelque chose d'insolite dans ma physionomie, car il me saisit vivement le bras, et, sans pouvoir parler, il m'interrogea du regard. (...)
- Rien, en commençant à lire par le commencement, mais par la fin... » Je n'avais pas achevé ma phrase que leprofesseurpoussait un cri, mieux qu'un cri, un véritable rugissement ! Une révélation venait de se faire, dans son esprit. (...)
Puis ensuite... - Ensuite ? - Tu feras ma malle. - Hein ! m'écriai-je. - Et la tienne ! » répondit l'impitoyableprofesseuren entrant dans la salle à manger. VI A ces paroles, un frisson me passa par tout le corps. (...)
Cependant je me contins. Je résolus même de faire bonne figure. Des arguments scientifiques pouvaient seuls arrêter leprofesseurLidenbrock ; or, il y en avait, et de bons, contre la possibilité d'un pareil voyage. Aller au centre de la terre ! (...)
j'accorde que ce Saknussemm ait écrit ces lignes, mais s'ensuit-il qu'il ait réellement accompli ce voyage, et ce vieux parchemin ne peut-il renfermer une mystification ? » Ce dernier mot, un peu hasardé, je regrettai presque de l'avoir prononcé ; leprofesseurfronça son épais sourcil, et je craignais d'avoir compromis les suites de cette conversation. (...)
Mon oncle l'ouvrit et dit : « Voici une des meilleures cartes de l'Islande, celle de Handerson, et je crois qu'elle va nous donner la solution de toutes tes difficultés. » Je me penchai sur la carte. « Vois cette île composée de volcans, dit leprofesseur, et remarque qu'ils portent tous le nom de Yocul. Ce mot veut dire « glacier » en islandais, et, sous la latitude élevée de l'Islande, la plupart des éruptions se font jour à travers les couches de glace. (...)
m'écriai-je en haussant les épaules et révolté contre une pareille supposition. - Impossible ! répondit leprofesseurLidenbrock d'un ton sévère. Et pourquoi cela ? - Parce que ce cratère est évidemment obstrué par les laves, les roches brûlantes, et qu'alors... - Et si c'est un cratère éteint ? (...)
- C'est que toutes les théories de la science démontrent qu'une pareille entreprise est impraticable ! - Toutes les théories disent cela ? répondit leprofesseuron prenant un air bonhomme. Ah ! les vilaines théories ! comme elles vont nous gêner, ces pauvres théories ! (...)
- Je vous laisse la question à décider, répondis-je avec humeur. - Voici ce que je décide, répondit leprofesseurLidenbrock en prenant ses grands airs ; c'est que ni toi ni personne ne sait d'une façon certaine ce qui se passe à l'intérieur du globe, attendu qu'on connaît à peine la douze millième partie de son rayon ; c'est que la science est éminemment perfectible et que chaque théorie est incessamment détruite par une théorie nouvelle. (...)
Il composa une boule métallique faite principalement des métaux dont je viens de parler, et qui figurait parfaitement notre globe ; lorsqu'on faisait tomber une fine rosée à sa surface, celle-ci se boursouflait, s'oxydait et formait une petite montagne ; un cratère s'ouvrait à son sommet ; l'éruption avait lieu et communiquait à toute la boule une chaleur telle qu'il devenait impossible de la tenir à la main. » Vraiment, je commençais à être ébranlé par les arguments duprofesseur; il les faisait valoir d'ailleurs avec sa passion et son enthousiasme habituels. « Tu le vois, Axel, ajouta-t-il, l'état du noyau central a soulevé des hypothèses diverses entre les géologues ; rien de moins prouvé que ce fait d'une chaleur interne ; suivant moi, elle n'existe pas ; elle ne saurait exister ; nous le verrons, d'ailleurs, et, comme Arne Saknussemm, nous saurons à quoi nous en tenir sur cette grande question. (...)
Je gagnai donc les bords de l'Elbe, du côté du bac à vapeur qui met la ville en communication avec le chemin de fer de Hambourg. Etais-je convaincu de ce que je venais d'apprendre ? N'avaisje pas subi la domination duprofesseurLidenbrock ? Devais-je prendre au sérieux sa résolution d'aller au centre du massif terrestre ? (...)
Je m'attendais à trouver la demeure tranquille, mon oncle couché suivant son habitude et la bonne Marthe donnant à la salle à manger le dernier coup de plumeau du soir. Mais j'avais compté sans l'impatience duprofesseur. Je le trouvai criant, s'agitant au milieu d'une troupe de porteurs qui déchargeaient certaines marchandises dans l'allée ; la vieille servante ne savait où donner de la tête. (...)
Ses paroles me ranimaient. Cependant je ne voulais pas croire encore à notre départ. J'entraînai Graüben vers le cabinet duprofesseur. « Mon oncle, dis-je, il est donc bien décidé que nous partons ? - Comment ! tu en doutes ? (...)
Je la passai à rêver de gouffres ! J'étais en proie au délire. Je me sentais étreint par la main vigoureuse duprofesseur, entraîné, abîmé, enlisé ! Je tombais au fond d'insondables précipices avec cette vitesse croissante des corps abandonnés dans l'espace. (...)
Cependant l'air frais du matin, les détails de la route rapidement renouvelés par la vitesse du train me distrayaient de ma grande préoccupation. Quant à la pensée duprofesseur, elle devançait évidemment ce convoi trop lent au gré de son impatience. Nous étions seuls dans le wagon, mais sans parler. (...)
Entre autres, une feuille de papier, pliée avec soin, portait l'en-tête de la chancellerie danoise, avec la signature de M. Christiensen, consul à Hambourg et l'ami duprofesseur. Cela devait nous donner toute facilité d'obtenir à Copenhague des recommandations pour le gouverneur de l'Islande. (...)
Mais cette monotonie n'eut pas le temps de ma fatiguer, car, trois heures après notre départ, le train s'arrêtait à Kiel, à deux pas de la mer. Nos bagages étant enregistrés pour Copenhague, il n'y eut pas à s'en occuper. Cependant leprofesseurles suivit d'un oeil inquiet pendant leur transport au bateau à vapeur. Là ils disparurent à fond de cale. (...)
» « Bon, pensai-je, voilà un établissement où nous devrions finir nos jours ! Et, si grand qu'il fût, cet hôpital serait encore trop petit pour contenir toute la folie duprofesseurLidenbrock ! » Enfin, à dix heures du matin, nous prenions pied à Copenhague ; les bagages furent chargés sur une voiture et conduits avec nous à l'hôtel du Phoenix dans Bred-Gade. (...)
Puis mon oncle, faisant une toilette sommaire, m'entraîna à sa suite. Le portier de l'hôtel parlait l'allemand et l'anglais ; mais leprofesseur, en sa qualité de polyglotte, l'interrogea en bon danois, et ce fut en bon danois que ce personnage lui indiqua la situation du Muséum des Antiquités du Nord. (...)
Le directeur de ce curieux établissement, où sont entassées des merveilles qui permettraient de reconstruire l'histoire du pays avec ses vieilles armes de pierre, ses hanaps et ses bijoux, était un savant, l'ami du consul de Hambourg, M. leprofesseurThomson. Mon oncle avait pour lui une chaude lettre de recommandation. En général, un savant en reçoit assez mal un autre. Mais ici ce fut tout autrement. M. Thomson, en homme serviable, fit un cordial accueil auprofesseurLidenbrock, et même à son neveu. Dire que notre secret fut gardé vis-à-vis de l'excellent directeur du Muséum, c'est à peine nécessaire. (...)
Cette église n'offrait rien de remarquable. Mais voici pourquoi son clocher assez élevé avait attiré l'attention duprofesseur: à partir de la plate-forme, un escalier extérieur circulait autour de sa flèche, et ses spirales se déroulaient en plein ciel. (...)
« Je ne pourrai jamais ! m'écriaije. - Serais-tu poltron, par hasard ? Monte ! » répondit impitoyablement leprofesseur. Force fut de le suivre en me cramponnant. Le grand air m'étourdissait ; je sentais le clocher osciller sous les rafales ; mes jambes se dérobaient ; je grimpai bientôt sur les genoux, puis sur le ventre ; je fermais les yeux ; j'éprouvais le mal de l'espace. (...)
Quand enfin il me fut permis de redescendre et de toucher du pied le pavé solide des rues, j'étais courbaturé. « Nous recommencerons demain », dit monprofesseur. Et en effet, pendant cinq jours, je repris cet exercice vertigineux, et, bon gré mal gré, je fis des progrès sensibles dans l'art « des hautes contemplations ». (...)
Un pilote islandais vint à bord, et, trois heures plus tard, la Valkyrie mouillait devant Reykjawik, dans la baie de Faxa. Leprofesseursortit enfin de sa cabine, un peu pâle, un peu défait, mais toujours enthousiaste, et avec un regard de satisfaction dans les yeux. (...)
Ce n'était cependant qu'un simple magistrat, le gouverneur de l'île, M. le baron Trampe en personne. Leprofesseurreconnut à qui il avait affaire. Il remit au gouverneur ses lettres de Copenhague, et il s'établit en danois une courte conversation à laquelle je demeurai absolument étranger, et pour cause. (...)
Mais de ce premier entretien il résulta ceci : que le baron Trampe se mettait entièrement à la disposition duprofesseurLidenbrock. Mon oncle reçut un accueil fort aimable du maire, M. Finson, non moins militaire par le costume que le gouverneur, mais aussi pacifique par tempérament et par état. (...)
Pictursson, il faisait actuellement une tournée épiscopale dans le Bailliage du Nord ; nous devions renoncer provisoirement à lui être présentés. Mais un charmant homme, et dont le concours nous devint fort précieux, ce fut M. Fridriksson,professeurde sciences naturelles à l'école de Reykjawik. Ce savant modeste ne parlait que l'islandais et le latin ; il vint m'offrir ses services dans la langue d'Horace, et je sentis que nous étions faits pour nous comprendre. (...)
Fridriksson, mon oncle s'y trouvait déjà en compagnie de son hôte. X Le dîner était prêt ; il fut dévoré avec avidité par leprofesseurLidenbrock, dont la diète forcée du bord avait changé l'estomac en un gouffre profond. Ce repas, plus danois qu'islandais, n'eut rien de remarquable en lui-même ; mais notre hôte, plus islandais que danois, me rappela les héros de l'antique hospitalité. (...)
Fridriksson de latin, afin que je pusse la comprendre. Elle roula sur des questions scientifiques, comme il convient à des savants ; mais leprofesseurLidenbrock se tint sur la plus excessive réserve, et ses yeux me recommandaient, à chaque phrase, un silence absolu touchant nos projets à venir. (...)
« Monsieur Fridriksson, dit-il, je voulais savoir si, parmi les ouvrages anciens, vous possédiez ceux d'Arne Saknussemm ? - Arne Saknussemm ! répondit leprofesseurde Reykjawik ; vous voulez parler de ce savant du seizième siècle, à la fois grand naturaliste, grand alchimiste et grand voyageur ? (...)
- Parce que Arne Saknussemm fut persécuté pour cause d'hérésie, et qu'en 1573 ses ouvrages furent brûlés à Copenhague par la main du bourreau. - Très bien ! Parfait ! s'écria mon oncle, au grand scandale duprofesseurde sciences naturelles. - Hein ? fit ce dernier. - Oui ! tout s'explique, tout s'enchaîne, tout est clair, et je comprends pourquoi Saknussemm, mis à l'index et forcé de cacher les découvertes de son génie, a dû enfouir dans un incompréhensible cryptogramme le secret... - Quel secret ? (...)
Cette importante conversation se termina quelques instants plus tard par de chaleureux remerciements duprofesseurallemand auprofesseurislandais. Pendant ce dîner, mon oncle venait d'apprendre des choses importantes, entre autres l'histoire de Saknussemm, la raison de son document mystérieux, comme quoi son hôte ne l'accompagnerait pas dans son expédition, et que dès le lendemain un guide serait à ses ordres. XI Le soir, je fis une courte promenade sur les rivages de Reykjawik, et je revins de bonne heure me coucher dans mon lit de grosses planches, où je dormis d'un profond sommeil. (...)
Mon oncle voulut remettre au chasseur les arrhes du marché, mais celui-ci refusa d'un seul mot. « Efter, fit-il. - Après », me dit leprofesseurpour mon édification. Hans, le traité conclu, se retira tout d'une pièce. « Un fameux homme, s'écria mon oncle, mais il ne s'attend guère au merveilleux rôle que l'avenir lui réserve de jouer. (...)
Je remarquai seulement que mon oncle parla tout le temps. Le lendemain 15, les préparatifs furent achevés. Notre hôte fit un sensible plaisir auprofesseuren lui remettant une carte de l'Islande, incomparablement plus parfaite que celle d'Henderson, la carte de M. (...)
Alors jurons et coups de fouet, mais ruades de la bête, qui commença à désarçonner son cavalier. Enfin le petit cheval, ployant ses jarrets, se retira des jambes duprofesseuret le laissa tout droit planté sur deux pierres du rivage, comme le colosse de Rhodes. « Ah ! (...)
Le sol se ressentait du voisinage de la montagne dont les racines de granit sortaient de terre, comme celles d'un vieux chêne. Nous contournions l'immense base du volcan. Leprofesseurne le perdait pas des yeux ; il gesticulait, il semblait le prendre au défi et dire : « Voilà donc le géant que je vais dompter ! (...)
Aller là ou ailleurs, s'enfoncer dans les entrailles de son île ou la parcourir, il n'y voyait aucune différence ; quant à moi, distrait jusqu'alors par les incidents du voyage, j'avais un peu oublié l'avenir, mais maintenant je sentais l'émotion me reprendre de plus belle. Qu'y 7 Monnaie de Hambourg, 90 fr. environ. faire ? Si j'avais pu tenter de résister auprofesseurLidenbrock, c'était à Hambourg et non au pied du Sneffels. Une idée, entre toutes, me tracassait fort, idée effrayante et faite pour ébranler des nerfs moins sensibles que les miens. (...)
« Tu doutes de mes paroles ? dit mon oncle, eh bien ! suismoi. » J'obéis machinalement. En sortant du presbytère, leprofesseurprit un chemin direct qui, par une ouverture de la muraille basaltique, s'éloignait de la mer. (...)
Aussi je tombai de mon haut quand mon oncle me dit : « Tu vois toutes ces fumées, Axel ; eh bien, elles prouvent que nous n'avons rien à redouter des fureurs du volcan ! - Par exemple ! m'écriai-je. - Retiens bien ceci, reprit leprofesseur: aux approches d'une éruption, ces fumerolles redoublent d'activité pour disparaître complètement pendant la durée du phénomène, car les fluides élastiques, n'ayant plus la tension nécessaire, prennent le chemin des cratères au lieu de s'échapper à travers les fissures du globe. (...)
Au delà de la muraille basaltique du fjord de Stapi, se présenta d'abord un sol de tourbe herbacée et fibreuse, résidu de l'antique végétation des marécages de la presqu'île ; la masse de ce combustible encore inexploité suffirait à chauffer pendant un siècle toute la population de l'Islande ; cette vaste tourbière, mesurée du fond de certains ravins, avait souvent soixante-dix pieds de haut et présentait des couches successives de détritus carbonisés, séparées par des feuillets de tuf ponceux. En véritable neveu duprofesseurLidenbrock et malgré mes préoccupations, j'observais avec intérêt les curiosités minéralogiques étalées dans ce vaste cabinet d'histoire naturelle ; en même temps je refaisais dans mon esprit toute l'histoire géologique de l'Islande. (...)
La mer s'étendait à une profondeur de trois mille deux cents pieds ; nous avions dépassé la limite des neiges perpétuelles, assez peu élevée en Islande par suite de l'humidité constante du climat. Il faisait un froid violent ; le vent soufflait avec force. J'étais épuisé. Leprofesseurvit bien que mes jambes me refusaient tout service, et, malgré son impatience, il se décida à s'arrêter. (...)
Mes regards éblouis se baignaient dans la transparente irradiation des rayons solaires, j'oubliais qui j'étais, où j'étais, pour vivre de la vie des elfes ou des sylphes, imaginaires habitants de la mythologie scandinave ; je m'enivrais de la volupté des hauteurs, sans songer aux abîmes dans lesquels ma destinée allait me plonger avant peu. Mais je fus ramené au sentiment de la réalité par l'arrivée duprofesseuret de Hans, qui me rejoignirent au sommet du pic. Mon oncle, se tournant vers l'ouest, m'indiqua de la main une légère vapeur, une brume, une apparence de terre qui dominait la ligne des flots. (...)
Chacune de ces cheminées avait environ cent pieds de diamètre. Elles étaient là béantes sous nos pas. Je n'eus pas la force d'y plonger mes regards. LeprofesseurLidenbrock, lui, avait fait un examen rapide de leur disposition ; il était haletant ; il courait de l'une à l'autre, gesticulant et lançant des paroles incompréhensibles. (...)
s'écria-t-il, viens ! viens ! » J'accourus. Ni Hans ni les Islandais ne bougèrent. « Regarde », me dit leprofesseur. Et, partageant sa stupéfaction, sinon sa joie, je lus sur la face occidentale du bloc, en caractères runiques à demi-rongés par le temps, ce nom mille fois maudit : « Arne Saknussemm ! (...)
Que le ciel demeurât couvert pendant six jours, et il faudrait remettre l'observation à une autre année. Je renonce à peindre l'impuissante colère duprofesseurLidenbrock. La journée se passa, et aucune ombre ne vint s'allonger sur le fond du cratère. (...)
Il y avait de quoi irriter un homme plus patient, car c'était véritablement échouer au port. Mais aux grandes douleurs le ciel mêle incessamment les grandes joies, et il réservait auprofesseurLidenbrock une satisfaction égale à ses désespérants ennuis. Le lendemain le ciel fut encore couvert, mais le dimanche, 28 juin, l'antépénultième jour du mois, avec le changement de lune vint le changement de temps. (...)
A midi, dans sa période la plus courte, elle vint lécher doucement le bord de la cheminée centrale. « C'est là ! s'écria leprofesseur, c'est là ! Au centre du globe ! » ajouta-t-il en danois. Je regardai Hans. « Forüt ! fit tranquillement le guide. (...)
« Maintenant, dit mon oncle après avoir achevé ces préparatifs, occupons-nous des bagages ; ils vont être divisés en trois paquets, et chacun de nous en attachera un sur son dos ; j'entends parler seulement des objets fragiles. » L'audacieuxprofesseurne nous comprenait évidemment pas dans cette dernière catégorie. « Hans, reprit-il, va se charger des outils et d'une partie des vivres ; toi, Axel, d'un second tiers des vivres et des armes ; moi, du reste des vivres et des instruments délicats. (...)
» Je demande à tout homme de bonne foi s'il était possible d'entendre sans frissonner de telles paroles ! Leprofesseurattacha sur son dos le paquet des instruments ; Hans prit celui des outils, moi celui des armes. (...)
Pour mon compte, je ne m'en inquiétai guère ; qu'ils fussent pliocènes, miocènes, éocènes, crétacés, jurassiques, triasiques, perniens, carbonifères, dévoniens, siluriens ou primitifs, cela me préoccupa peu. Mais leprofesseur, sans doute, fit ses observations ou prit ses notes, car, à l'une des haltes, il me dit : « Plus je vais, plus j'ai confiance ; la disposition de ces terrains volcaniques donne absolument raison à la théorie de Davy. (...)
» En effet, le mercure, après avoir peu à peu remonté dans l'instrument à mesure que notre descente s'effectuait, s'était arrêté à vingt-neuf pouces. « Tu le vois, reprit leprofesseur, nous n'avons encore que la pression d'une atmosphère, et il me tarde que le manomètre vienne remplacer ce baromètre. (...)
Cette dernière observation s'appliquait à la galerie obscure et fut donnée par la boussole. « Maintenant, Axel, s'écria leprofesseurd'une voix enthousiaste, nous allons nous enfoncer véritablement dans les entrailles du globe. (...)
Cela m'autorisait à penser que notre descente était plus horizontale que verticale. Quant à connaître exactement la profondeur atteinte, rien de plus facile. Leprofesseurmesurait exactement les angles de déviation et d'inclinaison de la route, mais il gardait pour lui le résultat de ses observations. (...)
- Eh bien, d'après mes observations, nous sommes arrivés à dix mille pieds au-dessous du niveau de la mer. - Est-il possible ? - Oui, ou les chiffres ne sont plus les chiffres ! » Les calculs duprofesseurétaient exacts ; nous avions déjà dépassé de six mille pieds les plus grandes profondeurs atteintes par l'homme, telles que les mines de Kitz-Bahl dans le Tyrol, et celles de Wuttemberg en Bohème. (...)
Cette disposition devint si manifeste vers dix heures du matin, et par suite si fatigante, que je fus forcé de modérer notre marche. « Eh bien, Axel ? dit impatiemment leprofesseur. - Eh bien, je n'en peux plus, répondis-je. - Quoi ! après trois heures de promenade sur une route si facile ! (...)
Depuis une demi-heure, les pentes se sont modifiées, et à les suivre ainsi, nous reviendrons certainement à la terre d'Islande. » Leprofesseurremua la tête en homme qui ne veut pas être convaincu. J'essayai de reprendre la conversation. (...)
- Nous voici arrivés à cette période pendant laquelle ont apparu les premières plantes et les premiers animaux ! - Ah ! tu penses ? - Mais regardez, examinez, observez ! » Je forçai leprofesseurà promener sa lampe sur les parois de la galerie. Je m'attendais à quelque exclamation de sa part. (...)
Mes pieds, habitués au sol dur des laves, foulèrent tout à coup une poussière faite de débris de plantes et de coquille. Sur les parois se voyaient distinctement des empreintes de fucus et de lycopodes ; leprofesseurLidenbrock ne pouvait s'y tromper ; mais il fermait les yeux, j'imagine, et continuait son chemin d'un pas invariable. (...)
Parfois même elle semblait s'incliner. Mais cette tendance, peu marquée d'ailleurs, ne devait pas rassurer leprofesseur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s'affirmait davantage. (...)
Il devenait évident que nous remontions l'échelle de la vie animale dont l'homme occupe le sommet. Mais leprofesseurLidenbrock ne paraissait pas y prendre garde. Il attendait deux choses : ou qu'un puits vertical vînt à s'ouvrir sous ses pieds et lui permettre de reprendre sa descente ; ou qu'un obstacle l'empêchât de continuer cette route. (...)
m'écriai-je. - Une mine sans mineurs, répondit mon oncle. - Eh ! qui sait ? - Moi, je sais, répliqua leprofesseurd'un ton bref, et je suis certain que cette galerie percée à travers ces couches de houille n'a pas été faite de la main des hommes. (...)
Les « climats » n'existaient pas encore, et une chaleur torride se répandait à la surface entière du globe, égale à l'équateur et aux pôles. D'où venait-elle ? De l'intérieur du globe. En dépit des théories duprofesseurLidenbrock, un feu violent couvait dans les entrailles du sphéroïde ; son action se faisait sentir jusqu'aux dernières couches de l'écorce terrestre ; les plantes, privées des bienfaisantes effluves du soleil, ne donnaient ni fleurs ni parfums, mais leurs racines puisaient une vie forte dans les terrains brûlants des premiers jours. (...)
- Et pourquoi non ? - Parce que, demain, l'eau manquera tout à fait. - Et le courage manquera-t-il aussi ? » dit leprofesseuren me regardant d'un oeil sévère. Je n'osai lui répondre. XXI Le lendemain, le départ eut lieu de grand matin. (...)
» murmura-t-il avec un véritable accent de pitié. Je fus touché de ces paroles, n'étant pas habitué aux tendresses du faroucheprofesseur. Je saisis ses mains frémissantes dans les miennes. Il se laissa faire en me regardant. Ses yeux étaient humides. (...)
- Oui, revenir, et sans perdre un instant. » Il y eut ici un moment de silence assez long. « Ainsi donc, Axel, reprit leprofesseurd'un ton bizarre, ces quelques gouttes d'eau ne t'ont pas rendu le courage et l'énergie ? (...)
Ces dangers que le guide ne paraissait pas soupçonner, je les lui eusse fait comprendre et toucher du doigt. A nous deux nous aurions peut-être convaincu l'entêtéprofesseur. Au besoin, nous l'aurions contraint à regagner les hauteurs du Sneffels ! Je m'approchai de Hans. (...)
Il est possible que nous soyons plus heureux en suivant le tunnel de l'ouest. » Je secouai la tête avec un air de profonde incrédulité. « Ecoute-moi jusqu'au bout, reprit leprofesseuren forçant la voix. Pendant que tu gisais, là sans mouvement, j'ai été reconnaître la conformation de cette galerie. (...)
» XXII La descente recommença cette fois par la nouvelle galerie. Hans marchait en avant, selon son habitude. Nous n'avions pas fait cent pas, que leprofesseur, promenant sa lampe le long des murailles, s'écriait : « Voilà les terrains primitifs ! nous sommes dans la bonne voie ! (...)
m'écriai-je, et avec ce ruisseau pour compagnon, il n'y a plus aucune raison pour ne pas réussir, dans nos projets. - Ah ! tu y viens, mon garçon, dit leprofesseuren riant. - Je fais mieux que d'y venir, j'y suis. - Un instant ! Commençons par prendre quelques heures de repos. (...)
Axel, rien de plus naturel ! N'y a-t-il pas à Newcastle des mines de charbon qui s'avancent sous les flots ? » Leprofesseurpouvait trouver cette situation fort simple ; mais la pensée de me promener sous la masse des eaux ne laissa pas de me préoccuper. (...)
A une pareille distance de sa source, son eau n'avait plus que la température ambiante et se laissait boire sans difficulté. Après le déjeuner, leprofesseurvoulut consacrer quelques heures à mettre en ordre ses notes quotidiennes. « D'abord, dit-il, je vais faire des calculs, afin de relever exactement notre situation ; je veux pouvoir, au retour, tracer une carte de notre voyage, une sorte de section verticale du globe, qui donnera le profil de l'expédition. (...)
» Je regardai l'instrument, et, après un examen attentif, je répondis : « Est-quart-sud-est. - Bien ! fit leprofesseuren notant l'observation et en établissant quelques calculs rapides. J'en conclus que nous avons fait quatre-vingt-cinq lieues depuis notre point de départ. (...)
A continuer ainsi, nous mettrons donc deux mille jours, ou près de cinq ans et demi à descendre ! » Leprofesseurne répondit pas. « Sans compter que, si une verticale de seize lieues s'achète par une horizontale de quatrevingts, cela fera huit mille lieues dans le sud-est, et il y aura longtemps que nous serons sortis par un point de la circonférence avant d'en atteindre le centre ! (...)
- Je l'espère ; mais, enfin, il m'est bien permis... - Il t'est permis de te taire, Axel, quand tu voudras déraisonner de la sorte. » Je vis bien que le terribleprofesseurmenaçait de reparaître sous la peau de l'oncle, et je me tins pour averti. « Maintenant, reprit-il, consulte le manomètre. (...)
» Je n'osai pas aller plus avant dans le champ des hypothèses, car je me serais encore heurté à quelque impossibilité qui eût fait bondir leprofesseur. Il était évident, cependant, que l'air, sous une pression qui pouvait atteindre des milliers d'atmosphères, finirait par passer à l'état solide, et alors, en admettant que nos corps eussent résisté, il faudrait s'arrêter, en dépit de tous les raisonnements du monde. (...)
Mais je gardai cette objection pour moi, et j'attendis les événements. Le reste de la journée se passa en calculs et en conversation. Je fus toujours de l'avis duprofesseurLidenbrock, et j'enviai la parfaite indifférence de Hans, qui, sans chercher les effets et les causes, s'en allait aveuglément où le menait la destinée. (...)
» Je fus vivement touché de l'accent dont furent prononcées ces paroles, et plus encore des soins qui les accompagnèrent. Mais il fallait de telles épreuves pour provoquer chez leprofesseurun pareil épanchement. En ce moment Hans arriva. Il vit ma main dans celle de mon oncle ; j'ose affirmer que ses yeux exprimèrent un vif contentement. (...)
Mon oncle a-t-il donc renoncé à son expédition, ou l'aurait-il heureusement terminée ? » Je me posais ces insolubles questions, quand leprofesseurentra. « Bonjour, Axel ! fit-il joyeusement. Je gagerais volontiers que tu te portes bien ! (...)
Parmi ces ruisseaux, je reconnus notre fidèle compagnon de route, le Hans-bach, qui venait se perdre tranquillement dans la mer, comme s'il n'eût jamais fait autre chose depuis le commencement du monde. « Il nous manquera désormais, dis-je avec un soupir. - Bah ! répondit leprofesseur, lui ou un autre, qu'importe ? » Je trouvai la réponse un peu ingrate. Mais en ce moment mon attention fut attirée par un spectacle inattendu. (...)
- Ainsi, dis-je en considérant la carte, la partiemontagneuse de l'Ecosse est au-dessus de nous, et, là, les monts Grampians élèvent à une prodigieuse hauteur leur cime couverte de neige. - Oui, répondit leprofesseuren riant. C'est un peu lourd à porter, mais la voûte est solide ; le grand architecte de l'univers l'a construite on bons matériaux, et jamais l'homme n'eût pu lui donner une pareille portée ! (...)
Un mât fait de deux bâtons jumelés, une vergue formée d'un troisième, une voile empruntée à nos couvertures, composaient tout le gréement du radeau. Les cordes ne manquaient pas. Le tout était solide. A six heures, leprofesseurdonna le signal d'embarquer. Les vivres, les bagages, les instruments, les armes et une notable quantité d'eau douce se trouvaient en place. (...)
Hans, immobile au gouvernail, laissait courir le radeau, qui, d'ailleurs, poussé vent arrière, ne demandait même pas à être dirigé. Depuis notre départ de Port-Graüben, leprofesseurLidenbrock m'avait chargé de tenir le « journal du bord », de noter les moindres observations, de consigner les phénomènes intéressants, la direction du vent, la vitesse acquise, le chemin parcouru, en un mot, tous les incidents de cette étrange navigation. (...)
s'écrie mon oncle. - C'est un esturgeon ! m'écriai-je à mon tour, un esturgeon de petite taille ! » Leprofesseurregarde attentivement l'animal et ne partage pas mon opinion. Ce poisson a la tête plate, arrondie et la partie antérieure du corps couverte de plaques osseuses ; sa bouche est privée de dents ; des nageoires pectorales assez développées sont ajustées à son corps dépourvu de queue. (...)
- Comment ! dis-je, nous aurions pu prendre vivant un de ces habitants des mers primitives ? - Oui, répond leprofesseuren continuant ses observations, et tu vois que ces poissons fossiles n'ont aucune identité avec les espèces actuelles. (...)
Où m'emporte-t-il ? Ma main fiévreuse en jette sur le papier les étranges détails. J'ai tout oublié, et leprofesseur, et le guide, et le radeau ! Une hallucination s'est emparée de mon esprit... « Qu'as-tu ? » dit mon oncle. (...)
Sans lui, sous l'empire de mon rêve, je me précipitais dans les flots. « Est-ce qu'il devient fou ? s'écrie leprofesseur. - Qu'y a-t-il ? dis-je enfin, en revenant à moi. - Es-tu malade ? - Non, j'ai eu un moment d'hallucination, mais il est passé. (...)
Il parcourt tous les points de l'espace avec sa lunette et se croise les bras d'un air dépité. Je remarque que leprofesseurLidenbrock tend à redevenir l'homme impatient du passé, et je consigne le fait sur mon journal. (...)
Ce n'est pas la vitesse qui est trop petite, c'est la mer qui est trop grande ! » Je me souviens alors que leprofesseur, avant notre départ, estimait à une trentaine de lieues la longueur de ce souterrain. Or nous avons parcouru un chemin trois fois plus long, et les rivages du sud n'apparaissent pas encore. « Nous ne descendons pas ! reprend leprofesseur. Tout cela est du temps perdu, et, en somme, je ne suis pas venu si loin pour faire une partie de bateau sur un étang ! (...)
Je me suis proposé un but, et je veux l'atteindre ! Ainsi ne me parle pas d'admirer ! » Je me le tiens pour dit, et je laisse leprofesseurse ronger les lèvres d'impatience. A six heures du soir, Hans réclame sa paye, et ses trois rixdales lui sont comptés. (...)
Mes yeux se fixent avec effroi sur la mer. Je crains de voir s'élancer l'un de ces habitants des cavernes sous-marines. Je suppose que leprofesseurLidenbrock partage mes idées, sinon mes craintes, car, après avoir examiné le pic, il parcourt l'océan du regard. (...)
Voyez sa large mâchoire et les rangées de dents dont elle est armée. Ah ! il disparaît ! - Une baleine ! une baleine ! s'écrie alors leprofesseur. J'aperçois ses nageoires énormes ! Vois l'air et l'eau qu'elle chasse par ses évents ! » En effet, deux colonnes liquides s'élèvent à une hauteur considérable au-dessus de la mer. (...)
Je consigne ici le fait sans pouvoir en donner l'explication. C'est un mugissement continu. « Il y a au loin, dit leprofesseur, quelque rocher, ou quelque îlot sur lequel la mer se brise. » Hans se hisse au sommet du mât, mais ne signale aucun écueil. (...)
Courons-nous donc à quelque cataracte qui nous précipitera dans l'abîme ? Que cette manière de descendre plaise auprofesseur, parce qu'elle se rapproche de la verticale, c'est possible, mais à moi... En tout cas, il doit y avoir à quelques lieues au vent un phénomène bruyant, car maintenant les mugissements se font entendre avec une grande violence. (...)
Je ne veux pas aller plus loin ! Je couperai, s'il le faut, la drisse de la voile ! Je me révolte contre leprofesseur, qui ne me répond pas. Tout à coup Hans se lève, et montrant du doigt le point menaçant : « Holme ! (...)
- Une île ! s'écrie mon oncle. - Une île ! dis-je à mon tour en haussant les épaules. - Evidemment, répond leprofesseuren poussant un vaste éclat de rire. - Mais cette colonne d'eau ? - Geyser, fait Hans. - Eh ! (...)
Les rayons de la lumière électrique viennent se mêler à cette gerbe éblouissante, dont chaque goutte se nuance de toutes les couleurs du prisme. 10 Source jaillissante très célèbre située au pied de l'Hécla. « Accostons », dit leprofesseur. Mais il faut éviter avec soin cette trombe d'eau qui coulerait le radeau en un instant. Hans, manoeuvrant adroitement, nous amène à l'extrémité de l'îlot. (...)
Je plonge dans l'eau qui coule en bouillonnant un thermomètre à déversement, et il marque une chaleur de cent soixante-trois degrés. Ainsi donc cette eau sort d'un foyer ardent. Cela contredit singulièrement les théories duprofesseurLidenbrock. Je ne puis m'empêcher d'en faire la remarque. « Eh bien, réplique-t-il, qu'est-ce que cela prouve, contre ma doctrine ? (...)
Néanmoins, je suis forcé d'avouer que nous sommes singulièrement favorisés jusqu'ici, et que, pour une raison qui m'échappe, ce voyage s'accomplit dans des conditions particulières de température ; mais il me paraît évident, certain, que nous arriverons un jour ou l'autre à ces régions où la chaleur centrale atteint les plus hautes limites et dépasse toutes les graduations des thermomètres. Nous verrons bien. C'est le mot duprofesseur, qui, après avoir baptisé cet îlot volcanique du nom de son neveu, donne le signal de l'embarquement. (...)
Je ne veux pas croire aux menaces du ciel, et cependant je ne puis m'empêcher de dire : « Voilà du mauvais temps qui se prépare. » Leprofesseurne répond pas. Il est d'une humeur massacrante, à voir l'océan se prolonger indéfiniment devant ses yeux. (...)
Le ciel et la mer s'étaient apaisés d'un commun accord. Toute trace de tempête avait disparu. Ce furent les paroles joyeuses duprofesseurqui saluèrent mon réveil. Il était d'une gaieté terrible. « Eh bien, mon garçon, s'écria-t-il, as-tu bien dormi ? (...)
La provision de poudre était demeurée intacte, après avoir failli sauter pendant la tempête. « Eh bien, s'écria leprofesseur, puisque les fusils manquent, nous en serons quittes pour ne pas chasser. - Bon ; mais les instruments ? (...)
Les caisses qui les contenaient étaient alignées sur la grève dans un parfait état de conservation ; la mer les avait respectées pour la plupart, et somme toute, en biscuits, viande salée, genièvre et poissons secs, on pouvait compter encore sur quatre mois de vivres. « Quatre mois ! s'écria leprofesseur. Nous avons le temps d'aller et de revenir, et avec ce qui restera je veux donner un grand dîner à tous mes collègues du Johannaeum ! (...)
- Une idée à moi, mon garçon ! Je crois que nous ne sortirons pas par où nous sommes entrés. » Je regardai leprofesseuravec une certaine défiance. Je me demandai s'il n'était pas devenu fou. Et cependant « il ne savait pas si bien dire. (...)
- Bon, il est facile de s'en assurer en consultant la boussole. Allons consulter la boussole ! » Leprofesseurse dirigea vers le rocher sur lequel Hans avait déposé les instruments. Il était gai, allègre, il se frottait les mains, il prenait des poses ! (...)
Ainsi donc, il ne fallait plus en douter, pendant la tempête une saute de vent s'était produite dont nous ne nous étions pas aperçus et avait ramené le radeau vers les rivages que mon oncle croyait laisser derrière lui. XXXVII Il me serait impossible de peindre la succession des sentiments qui agitèrent leprofesseurLidenbrock, la stupéfaction, l'incrédulité et enfin la colère. Jamais je ne vis un homme si décontenancé d'abord, si irrité ensuite. (...)
» De ces raisons toutes irréfutables je pus dérouler la série pendant dix minutes sans être interrompu, mais cela vint uniquement de l'inattention duprofesseur, qui n'entendit pas un mot de mon argumentation. « Au radeau ! s'écria-t-il. Telle fut sa réponse. (...)
Avec quelques morceaux de surtarbrandur il avait consolidé l'embarcation. Une voile s'y élevait déjà et le vent jouait dans ses plis flottants. Leprofesseurdit quelques mots au guide, et aussitôt celui-ci d'embarquer les bagages et de tout disposer pour le départ. (...)
Nous marchions donc sur une sorte de terrain sédimentaire formé par les eaux, comme tous les terrains de cette période, si largement distribués à la surface du globe. Leprofesseurexaminait attentivement chaque interstice de roche. Qu'une ouverture quelconque existât, et il devenait important pour lui d'en faire sonder la profondeur. (...)
Qu'on se figure un bibliomane passionné transporté tout à coup dans cette fameuse bibliothèque d'Alexandrie brûlée par Omar et qu'un miracle aurait fait renaître de ses cendres ! Tel était mon oncle leprofesseurLidenbrock. Mais ce fut un bien autre émerveillement, quand, courant à travers cette poussière volcanique, il saisit un crâne dénudé, et s'écria d'une voix frémissante : « Axel ! (...)
Il nous regardait avec ses orbites caves. Nous palpions son torse sonore. Après quelques instants de silence, l'oncle fut vaincu par leprofesseur. Otto Lidenbrock, emporté par son tempérament, oublia les circonstances de notre voyage, le milieu où nous étions, l'immense caverne qui nous contenait. (...)
Le mot malencontreux ne voulait pas sortir ! On aurait bien ri au Johannaeum ! « Gigantostéologie », acheva de dire leprofesseurLidenbrock, entre deux jurons. Puis, continuant de plus belle, et s'animant : « Oui, messieurs, je sais toutes ces choses ! (...)
Mais le précieux dissolvant me manque. Cependant, tel il est, tel ce corps nous racontera sa propre histoire. » Ici, leprofesseurprit le cadavre fossile et le manoeuvra avec la dextérité d'un montreur de curiosités. « Vous le voyez, reprit-il, il n'a pas six pieds de long, et nous sommes loin des prétendus géants. (...)
Mais j'irai plus loin encore dans le chemin des déductions, et j'oserai dire que cet échantillon humain appartient à la famille japétique, répandue depuis les Indes jusqu'aux limites de l'Europe occidentale. Ne souriez pas, messieurs ! » Personne ne souriait, mais leprofesseuravait une telle habitude de voir les visages s'épanouir pendant ses savantes dissertations ! (...)
Je ne me prononce pas, mais enfin l'homme est là, entouré des ouvrages de sa main, de ces haches, de ces silex taillés qui ont constitué l'âge de pierre, et à moins qu'il n'y soit venu comme moi en touriste, en pionnier de la science, je ne puis mettre en doute l'authenticité de son antique origine. » Leprofesseurse tut, et j'éclatai en applaudissements unanimes. D'ailleurs mon oncle avait raison, et de plus savants que son neveu eussent été fort empêchés de le combattre. (...)
Les rivages de la mer avaient depuis longtemps disparu derrière les collines de l'ossuaire. L'imprudentprofesseur, s'inquiétant peu de s'égarer, m'entraînait au loin. Nous avancions silencieusement, baignés dans les ondes électriques. (...)
dit-il, tu avais donc emporté cette arme avec toi ? - Moi ? Aucunement ! Mais vous... - Non, pas que je sache, répondit leprofesseur. Je n'ai jamais eu cet objet en ma possession. - Voilà qui est particulier ! - Mais non, c'est bien simple, Axel. (...)
... - Vois, elle ne s'est pas ébréchée ainsi à s'enfoncer dans la gorge des gens ; sa lame est couverte d'une couche de rouille qui ne date ni d'un jour, ni d'un an, ni d'un siècle ! » Leprofesseurs'animait, suivant son habitude, en se laissant emporter par son imagination. « Axel, reprit-il, nous sommes sur la voie de la grande découverte ! (...)
A moins d'être d'une insigne mauvaise foi, je ne pouvais plus mettre en doute l'existence du voyageur et la réalité de son voyage. Pendant que ces réflexions tourbillonnaient dans ma tête, leprofesseurLidenbrock se laissait aller à un accès un peu dithyrambique à l'endroit d'Arne Saknussemm. (...)
Ce qu'un autre avait fait, je voulais le faire aussi, et rien de ce qui était humain ne me paraissait impossible ! « En avant, en avant ! » m'écriai-je. Je m'élançais déjà vers la sombre galerie, quand leprofesseurm'arrêta, et lui, l'homme des emportements, il me conseilla la patience et le sang-froid. (...)
Voilà un obstacle accidentel que Saknussemm n'a pas rencontré, et si nous ne le renversons pas, nous sommes indignes d'arriver au centre du monde ! » Voilà comment je parlais ! L'âme duprofesseuravait passé tout entière en moi. Le génie des découvertes m'inspirait. J'oubliais le passé, je dédaignais l'avenir. (...)
Une étincelle suffisait maintenant pour mettre ce formidable engin en activité. « A demain », dit leprofesseur. Il fallut bien me résigner et attendre encore pendant six grandes heures ! XLI Le lendemain, jeudi, 27 août, fut une date célèbre de ce voyage subterrestre. (...)
» Aussitôt je me dirigeai vers l'orifice de la galerie. J'ouvris ma lanterne, et je saisis l'extrémité de la mèche. Leprofesseurtenait son chronomètre à la main. « Es-tu prêt ? me cria-t-il. - Je suis prêt. - Eh bien ! (...)
» Hans, d'une vigoureuse poussée, nous rejeta en mer. Le radeau s'éloigna d'une vingtaine de toises. C'était un moment palpitant. Leprofesseursuivait de l'oeil l'aiguille du chronomètre. « Encore cinq minutes, disait-il. Encore quatre ! (...)
» J'étendis le bras ; je touchai la muraille ; ma main fut mise en sang. Nous remontions avec une extrême rapidité. « La torche ! la torche ! » s'écria leprofesseur. Hans, non sans difficultés, parvint à l'allumer, et la flamme, se maintenant de bas en haut, malgré le mouvement ascensionnel, jeta assez de clarté pour éclairer toute la scène. (...)
Mais s'il est bouché, si l'air se comprime peu à peu sous la pression de la colonne d'eau, si nous allons être écrasés ! - Axel, répondit leprofesseuravec un grand calme, la situation est presque désespérée, mais il y a quelques chances de salut, et ce sont celles-là que j'examine. (...)
Ce que je n'avais pas voulu avouer, il fallait enfin le dire : « Manger ? répétai-je. - Oui, sans retard. » Leprofesseurajouta quelques mots en danois. Hans secoua la tête. « Quoi ! s'écria mon oncle, nos provisions sont perdues ? (...)
Allions-nous donc revenir à un milieu où ces phénomènes s'accomplissaient dans toute leur rigueur et dans lequel la chaleur réduisait les roches à un complet état de fusion ? Je le craignais, et je dis auprofesseur: « Si nous ne sommes pas noyés ou brisés, si nous ne mourons pas de faim, il nous reste toujours la chance d'être brûlés vifs. (...)
Tu fais là les raisonnements d'homme sans volonté, d'un être sans énergie ! - Ne désespérez-vous donc pas ? m'écriai-je avec irritation. - Non ! répliqua fermement leprofesseur. - Quoi ! vous croyez encore à quelque chance de salut ? - Oui ! certes oui ! et tant que son coeur bat, tant que sa chair palpite, je n'admets pas qu'un être doué de volonté laisse en lui place au désespoir. (...)
Mon oncle prit le morceau de viande et les quelques biscuits échappés au naufrage ; il fit trois portions égales et les distribua. Cela faisait environ une livre d'aliment pour chacun. Leprofesseurmangea avidement, avec une sorte d'emportement fébrile ; moi, sans plaisir, malgré ma faim, et presque avec dégoût ; Hans, tranquillement, modérément, mâchant sans bruit de petites bouchées et les savourant avec le calme d'un homme que les soucis de l'avenir ne pouvaient inquiéter. (...)
Ce calcul, ou mieux cette estime, ne pouvait être que fort approximative ; mais un savant est toujours un savant, quand il parvient à conserver son sang-froid, et certes, leprofesseurLidenbrock possédait cette qualité à un degré peu ordinaire. Je l'entendais murmurer des mots de la science géologique ; je les comprenais, et je m'intéressais malgré moi à cette étude suprême. (...)
voilà les micaschistes ! Bon ! à bientôt les terrains de l'époque de transition, et alors... » Que voulait dire leprofesseur? Pouvait-il mesurer l'épaisseur de l'écorce terrestre suspendue sur notre tête ? Possédait-il un moyen quelconque de faire ce calcul ? (...)
» Au moment où je prononçai ces paroles, ma main ayant effleuré l'eau, je dus la retirer au plus vite. « L'eau est brûlante ! » m'écriai-je. Leprofesseur, cette fois, ne répondit que par un geste de colère. Alors une invincible épouvante s'empara de mon cerveau et ne le quitta plus. (...)
- Une éruption ! dis-je. Nous sommes dans la cheminée d'un volcan en activité ! - Je le pense, dit leprofesseuren souriant, et c'est ce qui peut nous arriver de plus heureux ! » De plus heureux ! Mon oncle était-il donc devenu fou ? (...)
nous allons être repoussés, expulsés, rejetés, vomis, lancés dans les airs avec les quartiers de rocs, les pluies de cendres et de scories, dans un tourbillon de flammes, et c'est ce qui peut nous arriver de plus heureux ! - Oui, répondit leprofesseuren me regardant par-dessus ses lunettes, car c'est la seule chance que nous ayons de revenir à la surface de la terre ! (...)
La sueur m'inondait. Sans la rapidité de l'ascension, nous aurions été certainement étouffés. Cependant leprofesseurne donna pas suite à sa proposition d'abandonner le radeau, et il fit bien. Ces quelques poutres mal jointes offraient une surface solide, un point d'appui qui nous eût manqué partout ailleurs. (...)
fit mon oncle les dents serrées, tu le crains, mon garçon ; mais rassure-toi, ce moment de calme ne saurait se prolonger ; voilà déjà cinq minutes qu'il dure, et avant peu nous reprendrons notre ascension vers l'orifice du cratère. » Leprofesseur, en parlant ainsi, ne cessait de consulter son chronomètre, et il devait avoir encore raison dans ses pronostics. (...)
Le chasseur leva les épaules en signe d'ignorance. « En Islande ? dis-je. - Nej, répondis Hans. - Comment ! non ! s'écria leprofesseur. - Hans se trompe », dis-je en me soulevant. Après les surprises innombrables de ce voyage, une stupéfaction nous était encore réservée. (...)
Quand mes yeux furent accoutumés à cet éclat dont ils avaient perdu l'habitude, je les employai à rectifier les erreurs de mon imagination. Pour le moins, je voulais être au Spitzberg, et je n'étais pas d'humeur à en démordre aisément. Leprofesseuravait le premier pris la parole et dit : « En effet, voilà qui ne ressemble pas à l'Islande. (...)
Descendons, et nous saurons à quoi nous en tenir. D'ailleurs je meurs de faim et de soif. » Décidément leprofesseurn'était point un esprit contemplatif. Pour mon compte, oubliant le besoin et les fatigues, je serais resté à cette place pendant de longues heures encore, mais il fallut suivre mes compagnons. (...)
» Et il refit la même demande en anglais. L'enfant ne répondit pas davantage. J'étais très intrigué. « Est-il donc muet ? » s'écria leprofesseur, qui, très fier de son polyglottisme, recommença la même demande en français. Même silence de l'enfant. (...)
dis-je avec un grand air de dédain, il ne faut pas l'expliquer, c'est plus facile ! - Par exemple ! unprofesseurau Johannaeum qui ne trouverait pas la raison d'un phénomène cosmique, ce serait une honte ! (...)
» En parlant ainsi, mon oncle, demi-nu, sa bourse de cuir autour des reins et dressant ses lunettes sur son nez, redevint le terribleprofesseurde minéralogie. Une heure après avoir quitté le bois d'oliviers, nous arrivions au port de San-Vicenzo, où Hans réclamait le prix de sa treizième semaine de service, qui lui fut compté avec de chaleureuses poignées de main. (...)
« Maintenant que tu es un héros, me dit ma chère fiancée, tu n'auras plus besoin de me quitter, Axel ! » Je la regardai. Elle pleurait en souriant. Je laisse à penser si le retour duprofesseurLidenbrock fit sensation à Hambourg. Grâce aux indiscrétions de Marthe, la nouvelle de son départ pour le centre de la terre s'était répandue dans le monde entier. (...)
Alors mon oncle devint un grand homme, et moi, le neveu d'un grand homme, ce qui est déjà quelque chose. Hambourg donna une fête en notre honneur. Une séance publique eut lieu au Johannaeum, où leprofesseurfit le récit de son expédition et n'omit que les faits relatifs à la boussole. Le jour même, il déposa aux archives de la ville le document de Saknussemm, et il exprima son vif regret de ce que les circonstances, plus fortes que sa volonté, ne lui eussent pas permis de suivre jusqu'au centre de la terre les traces du voyageur islandais. (...)
Depuis six mois elle était là, dans son coin, sans se douter des tracas qu'elle causait. Tout à coup, quelle fut ma stupéfaction ! Je poussai un cri. Leprofesseuraccourut. « Qu'est-ce donc ? demanda-t-il. - Cette boussole !... - Eh bien ? - Mais son aiguille indique le sud et non le nord ! (...)
- Pendant l'orage, sur la mer Lidenbrock, cette boule de feu qui aimantait le fer du radeau avait tout simplement désorienté notre boussole ! - Ah ! s'écria leprofesseur, en éclatant de rire, c'était donc un tour de l'électricité ? » A partir de ce jour, mon oncle fut le plus heureux des savants, et moi le plus heureux des hommes, car ma jolie Virlandaise, abdiquant sa position de pupille, prit rang dans la maison de Königstrasse en la double qualité de nièce et d'épouse. Inutile d'ajouter que son oncle fut l'illustreprofesseurOtto Lidenbrock, membre correspondant de toutes les sociétés scientifiques, géographiques et minéralogiques des cinq parties du monde. (...)Jules Verne. Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits ». I - Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg. La bonne Marthe dut se croire fort en retard, car le dîner commençait à peine à chanter sur le fourneau de la cuisine. « Bon, me dis-je, s'il a faim, mon oncle, qui est le plus impatient des ...