Ciel et Terre
sur Chaodisiaque au format
Le maître du vent. Je m'appelle Ciel Noir. Je ne suis qu'un homme. Le sang qui coule dans mes veines n'est pas celui des dieux, ni celui des dragons, il me permet juste d'animer ce corps, de pousser cette charrue qui creuse son sillon pour m'offrir de quoi me faire vivre, de parler, et parfois, faire naître un sourire sur le visage de ma femme. Ce village est petit, si petit qu'il ne porte pas de nom, à peine une centaine de paysans l'animent, survivant avec moi, leurs âmes revêtues ...Contient : neige (47)(...) Finalement la pluie cesse, le ciel s'éclaire lentement et je reprends mon chemin, ce n'est que lorsque je sors du bois que je constate l'ampleur de ma bêtise. Devant moi, sur la plaine, une épaisse couche deneigeet de verglas s'étend, longeant une faille balafrant la terre. Les neiges éternelles précédant la faille, domaine du Beau Peuple, elles persistent, qu'elle que soit la température ou le climat. (...)
Il me faut une nouvelle journée de marche à travers les bois. A la fin de la journée, lorsque j'émerge, je retombe sur laneige, et un peu plus loin, la craquelure large et sombre de la faille déchirant la terre. Piégé. Je fouille le monde autour de moi du regard : Personne. (...)
Nos ancêtres ont appelé cette chose la faille : et c'est bien ce que c'est, mais c'est un peu plus que cela : c'est une faille dans le monde des hommes, dans la Création tout entière. Un témoignage de la folie qui existe au-delà du monde des hommes. Je longe laneigequi longe elle-même la faille, veille à ne pas y mettre un pied. Parfois, le vent souffle à travers la faille, et sans un bruit, de laneigeen est projetée et retombe doucement. Je prends un des talismans dans le sac que j'ai volé à l'Aïnouk mort et le met autour de mon cou. (...)
Je voudrais prendre encore un moment de repos, mais ma gourde d'eau est vide et la lune est presque pleine et il est mauvais d'errer près du domaine du Beau Peuple à ce moment. Je prends une inspiration profonde, et je mets un pied sur laneige. Rien ne se passe. Tout va bien. Un autre pas. On raconte de nombreuses histoires sur cet endroit. (...)
J'évalue qu'il me faut encore une cinquantaine d'autres pas avant d'arriver jusqu'à la glace recouvrant la faille, une trentaine sur la glace ellemême et une cinquantaine sur la zone enneigée de l'autre coté de la faille. J'aurais pu prendre une étendue deneigemoins large, mais la glace de ces endroits me paraissait moins épaisse, plus transparente et moins solide. Je marche prudemment. Laneigeest froide sous mes pieds. Mes bottes de tissus ont été largement usées ces derniers temps. Je garde l'oeil sur laneigesous mes pieds et autours de moi, au cas où. Cette histoire deneigenoire, que m'a un jour racontée Pigeon Fou : dans le nord lointain, il arrive parfois que de sombres nuages laissent tomber uneneigesombre qui obscurcit la peau de ceux qu'elle touche, et qui laisse les corps de ces derniers calcinés sans même qu'ils aient brûlés. J'essaie de ne pas y penser. Toujours rien. J'arrive au bord de la zone de glace, elle est légèrement recouverte deneige, mais elle est essentiellement opaque, comme certains étangs en hiver. Je me donne une chance sur deux, plus si je suis assez rapide. (...)
Mon souffle s'élève en nuage de vapeur, car plus j'avance, plus le froid est mordant. Vers le milieu du pont naturel, il est polaire, mais il n'y a pas deneigeet la glace ressemble à du verre et j'y perçois mon reflet : un homme de taille moyenne, le visage couvert d'une maigre barbe, large d'épaule, aux cheveux noirs et à la peau mate, les yeux légèrement bridés. (...)
Je recule, mais la glace continue à se fissurer rapidement sous mes pieds dans un grincement sinistre. Je jure, cours vers laneigede l'autre coté, mais la glace continue de craquer tout autour de moi, je la sens céder rapidement sous mes pieds. (...)
La chute est interminable, la vitesse effroyable, et les parois s'étrécissent à nouveau, mais faites d'une glace bleutée étrange, je tente de l'attraper malgré tout pour tenter de me ralentir. Je glisse, tourbillonne dans l'air un moment, puis aperçois le sol couvert deneigeteintée de bleu qui se précipite vers moi. Je ferme les yeux et me concentre sur ce point de chaleur dans mon coeur. Je suis percuté par un dieu en colère, le son du choc est son rugissement. Je roule dans de laneige, glisse sur de la glace. Etourdi, je n'ai même pas le réflexe de me rattraper. Je bascule à nouveau dans le vide puis le dieu de chutes violentes me frappe à nouveau, rageur. L'impact, sourd et brutal, achève de me couper le souffle. Laneigeet la glace s'élève autour de moi, scintillante de l'éclat de mon pouvoir, puis me retombe dessus lourdement. (...)
Il faut que je m'entende respirer pour me rendre compte que je suis en vie. Je suis presque enterré vivant dans la glace qui se trouve sous la couche deneige. J'ai toujours mal au bras, ma hanche reste douloureuse lorsque je tente de la bouger mais elle répond néanmoins. (...)
Soudain, j'ai un choc : Mes vêtements sont en lambeau, je suis gelé, mais je n'ai pas une égratignure ! Je reste silencieux un long moment. Puis j'éclate de rire, retombe le cul dans laneige, interrompt seulement mon hilarité pour pousser un cri de défi euphorique. Pendant un instant, ma raison vacille. Le monde se charge de me calmer en m'envoyant une tonne deneigesur le coin de la figure, m'enterrant à nouveau vivant. Je ressors, gelé, je reprends mon souffle. (...)
Les murs de glace sont lisses et sans prise comme de gigantesque miroirs. Impossible de grimper. Je longe le fond de l'endroit, couvert d'uneneigequi me monte souvent jusqu'aux genoux et qui épuiserait n'importe quel homme au bout d'une heure. (...)
Le bruit du sinistre du vent est intermittent, lorsqu'il s'apaise, l'endroit baigne dans un silence seulement rompus par ma respiration et le bruit de mes pas dans laneige. Au bout de quelques heures, les parois s'élargissent, mais le chemin descend plus bas dans le coeur de la terre. (...)
Je découvre un tas de chevaux morts, éventrés, et gelés. Les bêtes gisent, empilées en un tas grossier saupoudré deneige, leurs poitrines et leurs entrailles misent à l'air. L'équipement qui est dessus est couvert deneigeet gelé lui aussi. Ils semblent avoir été montés mais je ne perçois aucune trace de leurs cavaliers. (...)
Ma gorge s'assèche, mon coeur s'accélère lorsque j'entends un grognement assourdi, puis un frottement. Soudain, laneigeexplose autour de moi. Ils surgissent si vite que j'ai à peine le temps de les entrevoir : Des êtres massifs, couverts d'une fourrure blanche immaculée, les yeux rouge sang, leurs bras épais se terminant par des griffes blanches acérées. (...)
Ce qui reste de son corps n'est pas encore retomber à terre lorsque je me penche en arrière pour infliger le même traitement au dernier qui tentait de m'attaquer de dos. Ils retombent avec un bruit sourd, leurs sangs se confondant avec laneige. Je souffle, le pouvoir en moi est solidement entamé. Un court instant passe pendant lequel je crois pouvoir me reposer, mais j'ai tort. (...)
Le sol tremble tout entier, entre en éruption, des rugissements emplissent toute la faille et soudain une centaine d'entre eux jaillissent, enfanter par laneige, rugissant, m'encerclant, leurs yeux affamés et sanglants fixés sur moi. Ils marchent sur moi. (...)
Un groupe d'entre eux s'écartent et une vibration continue parcours le sol à nouveau. Mes yeux s'écarquillent lorsqu'à quelques mètres de moi, un pilier de glace s'élève de dessous laneige, garnis de sculptures lascives, d'inscriptions étranges formant un ornement à la froide beauté baroque. (...)
Sa peau, son corps entier sont fait de glace et ses traits semblent avoir été sculptés comme par un divin artiste. Lisse, sans défaut, un physique de danseur. Ses cheveux sont du blanc éclatant de la premièreneige. Ses vêtements ne sont qu'une mosaïque d'armure de glace, de lacets de givre et de tissus deneigesans fin à la complexité démentielle, garnie de joyaux bleus et blancs, parfaitement ciselés et incrustés dans ses vêtements même. Sur son front, une couronne de givre, élégante et ornementée (ornée) d'une étoile projetant une lumière d'argent. (...)
Lewellyn tend simplement le bras vers moi et soudain la fraîcheur de sa main de glace est sur mon visage, les doigts lisses et doux comme laneigese referment sur ma tête lorsqu'il réceptionne ma charge coup comme un père réceptionne son fils à son retour, pendant une fraction se seconde je suis stoppé net, suspendu dans les airs, et j'aperçois son visage parfait, ravi, presque extatique entre ses doigts. (...)
- D'accord, dis-je. Je m'attends à oublier qui je suis, à devenir son esclave, à fondre comme de laneige, ou à simplement disparaître et mourir, mais rien ne se passe. Au début. Puis la terre tremble, et son reflet dans le mur de glace sourit, se divise en deux en même temps que l'immense paroi qui révèle une lumière bleuâtre aveuglante. (...)
Je m'avance vers l'endroit, m'arrête devant le seuil, l'impression de faire une bêtise est poisseuse, rampante dans mon esprit. - Excuse-moi, dit la créature revêtue deneigeet de glace, mais pourrais-tu entrer ? J'aimerais éviter les courants d'air ! Le ton est badin et j'ai du mal à ne pas rire de la plaisanterie. (...)
La demeure de Lewellyn ressemble à un rêve d'enfant. Tout l'endroit semble avoir été bâti dans la glace et saupoudré deneige, pourtant il y fait bon, l'endroit est chaud, confortable, laneigene fond ni ne colle, mais elle est moelleuse et amortit tous les angles durs de sa demeure. L'endroit est grand et majestueux, des murs s'élèvent à trois dizaines de mètres, ornés de sculptures lascives, d'inscriptions et de dessins à la fois incompréhensibles et beaux. (...)
En vain. - Tu as construit cela seul ? - Oui, invoqué à partir de rêve de noblesse, de froid, et de jeux deneigeinfantile, cela parait impossible, mais pendant huit siècle, on a du temps a tuer, crois-moi ! (...)
Nous marchons le long de l'allée centrale, toute pavée d'un sol de glace et recouverte d'un tapis deneigeblanche immaculée. Devant nous, deux gigantesques rideaux de tissus s'écartent sous notre passage. (...)
Des cheveux d'argents, une robe de soie sertie de diamants telle qu'elle semble avoir été arrachée à la nuit. Une peau lisse comme le ciel et blanche comme la premièreneige. Je reste sous le choc un instant. - C'est... - Aewyll, une de mes servantes. - Bienvenue, dit-elle. (...)
- Allons, tu n'as jamais rêvé un jour de crever un oeil à ta femme, ou au moins de lui donner une gifle ou un coup de poing ? Je crie à nouveau. - Non ! Il sourit, un sourire aussi doux que de laneige. - Allons, n‘oublie pas ce que je suis ! Je reconnais un mensonge lorsque j'en entends un ! Allons, oublions cela et allons te trouver un endroit où tu puisses dormir. (...)
Il repart, sans se départir de son sourire, je le suis, mais malgré la chaleur, une sueur froide s'écoule dans mon dos. Ma chambre est une pièce de glace bleue, et mon lit un bain deneigemoelleuse et tendre comme du duvet d'oie et tiède comme le sein d'une femme. Malgré la nervosité, je m'y endors comme un enfant. (...)
Leurs yeux rouges et exorbités fixés sur le néant de leurs propres esprits. D'autres tortues creuses glissent tout aussi silencieusement sur les tapis deneige, gracieusement, parfois elles collent sur les murs ou aux plafonds, et n'y glissent pas moins comme sur de la glace. (...)
Je l'ignore, mais Lewellyn est présent, je sens sa présence dans cette pièce comme je peux sentir le vent froid et libre dans la plaine. Omniprésente mais inaccessible, puissante mais invisible. Je me redresse sur le lit deneigetiède. Ecoute ma propre respiration, le battement de mon propre coeur. - Tu te demandes pourquoi, n'est-ce pas ? (...)
Aewyll hoche la tête vers le bloc de glace, de la même façon doucement autoritaire que la Princesse Bleue. Je m'approche, redoute le piège, mais il y a quelque chose derrière laneigequi recouvre la glace, dans la glace elle-même, quelque chose de vaguement familier... Je frotte la glace et rencontre un regard de terreur pure, figé dans la glace. (...)
Je recule, trébuche sur mon séant et m'éloigne sans pouvoir quitté ce regard, cet homme des yeux. Chien Enragé. En reculant, mon dos heurte un autre bloc, laneigequi le recouvre s'effrite et tombe, je reconnais l'homme dans celui-là aussi : l'un garde du Maître des Hauts Vents. (...)
Chacun de ses mouvements possède la grâce des premières neiges tombant du ciel, mais chacun de ceux de la Princesse Bleue ont la rapidité de la foudre. La lame de Lewellyn laisse des traînées flocons deneigedans son sillage, des arcs électriques jaillissent et parcourent les deux lames à chaque contact, puis finalement, la lame de jade atteint le Duc de la faille à la tempe, elle lui aurait tranché la tête dans la longueur s'il n'avait pas détourné la tête. (...)
Avec un rire de petite fille animé par la voix d'Aube Grise, elle se défait de moi avec une agilité de chatte, souple et douce comme du lait, légère comme un flocon deneige, elle bascule de mes bras, mon coeur s'emballe lorsqu'elle se balance un instant au-dessus du vide, puis elle me grimpe dessus, sans user de ses mains, s'appuyant avec ses pieds, sur mon coudes, mon menton, mon genoux et finalement se dirige vers la surface, gloussant toujours. (...)
Sa réplique me réduit au silence, puis l'instant d'après, le vent, le vrai vent, pas ce gigantesque courant d'air glacé qui balaie la faille me caresse à nouveau le visage. Laneigelonge toujours la faille, mais au-delà, il y a l'herbe jaunie par le soleil, qui ondule tranquillement, ses racines creusant tranquillement la terre et faisant bourgeonner un espoir printanier dans mes pensées. (...)
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase, l'instant d'après, l'anima du Sang-dragon explose dans une fureur de vent polaire, de cristaux deneigeglace et de lumière d'azur. Un millier de shrapnels de glace fusent vers moi dans une explosion de lumière blanche, instinctivement, je pare l'essentiel du coup d'un geste vif et ample de la main, qui crée une onde de choc, bref mur d'air invisible devant moi sur lequel viennent s'écraser l'averses de glaces, et je le charge. (...)