L'histoire de Clébard
sur Le Ludiste
C'est une soirée d'automne morne à l'auberge des deux amphores. Dehors la nuit est brumeuse et humide. A cinq pas de la porte, la rue se perd dans un épais coton grisâtre. Oubliées les autres rues de Pôles aux alentours, oubliées les murailles toutes proches qui, la veille encore, dégoulinaient du sang des guerriers tentant, qui de prendre pied sur le parapet pour envahir la ville, qui de repousser les barbares du nord pour protéger leurs foyers. On aurait tout aussi bien pût se trouver n'importe ...Contient : arme (31)(...) Il s'en est tiré avec quelques blessures légères et il ne veut plus penser au monceau de cadavres qu'il a contemplé et dont certains étaient des amis d'enfance. Il interpelle un des porteurs d'Armeauprès de qui il a passé le plus clair des combats. - Gaétan, je t'en pris.... Demande lui de nous raconter quelque chose. Ce silence m'étouffe. Lui, c'est Copperfangs, l'Arme-Dieu de Gaétan. Un bouclier de métal cuivré forgé en forme de visage monstrueux. Il est pour l'heure appuyé sur le mur, juste à côté de son jeune porteur, un alweg musclé et beau garçon. Ce dernier pousse un soupir. Après tout pourquoi pas. Il tourne le regard vers sonArmeet lui parle très certainement par ce lien invisible qui les unit. La réaction ne se fait pas attendre. (...)
- Une histoire qui nous change de ces boucheries, répond Pierre avant de baisser les yeux sur sa siffan, craignant de se faire traiter de femmellette par un des mercenaires. - Tu sais, jeune homme, répond l'Arme, il n'y a très peu d'histoire, dans ce bas monde, qui ne contiennent leur lot de sang versé. Et ces histoires là je ne les connais pas. (...)
Mais si elle est violente cela nous changera des massacres stupides de ces derniers jours. C'est l'autre porteur d'Armequi vient de parler ; en l'occurrence d'une femme qui a tous les atours d'une jeune mère de famille et se nomme Clarisse. Sa présence semble incongrue au côté de guerriers de métier. Mais elle porte uneArme. Ca change tout. La veille un groupe de piorads a réussi à passer le mur et attaquer sa maison qui faisait office d'infirmerie. (...)
Un sursaut salvateur de son instinct de survie lui a fait arracher une épée des mains d'un mourant. L'armec'est révélée être un dieu incarné. Grâce à elle Clarisse a survécu aux combats, mais son mari et son fils sont morts. (...)
Elle porte encore sur le visage les stigmates de sa douleur mais son regard se perd fréquemment dans la contemplation des arabesques gravées sur la lame de sonArme, posée devant elle. - Je vois, répond le bouclier, songeur. Dans ce cas là je vais vous raconter l'histoire de Clébard. (...)
Toutes les oreilles se tendent alors vers Copperfangs. Tous, même le plus imbibé des pochetrons présents, se sent déjà captivé par la voix de l'Arme, car tel est son talent. ------------------------------------------------------------------------------- Clébard était né dans un village de bouseux. (...)
Clébard lui arracha son épée et d'un coup brutal lui fendit le crâne en deux. Et son existence bascula. Dans sa main, palpitante de puissance, se trouvait uneArme-dieu. La déesse de l'épée lui parla. Sentant sa panique naissante elle le rassura avant qu'il ne la lâche et s'enfuit. (...)
Cette déesse avait déjà fréquenté beaucoup d'êtres humains mais celui là lui offrait une perspective nouvelle sur le monde. Elle décida donc de le garder. Clébard et sonArmedisparurent dans la nuit, laissant derrière eux les cadavres enlacés des deux amants. Au fil des jours et des semaines l'Arme-dieu se passionna pour son nouveau porteur. Elle entreprit de lui enseigner tout ce qui lui manquait et se gava des ses sentiments d'émerveillement et de peur face au monde qu'elle lui révélait. Mais plus que tout, l'amour passionnel de Clébard pour sa douce Anya émerveilla l'Arme. Le jeune homme ne se lassait pas de parler de sa belle à sa compagne de métal, partageant sans pudeur avec elle tous ses espoirs les plus fous. L'Armedécida d'aider son porteur à réaliser son rêve. Elle était puissante et découvrit que Clébard avait un potentiel fabuleux qui ne demandait qu'à être exploité. (...)
Elle l'entraîna de combat en combat pour qu'il s'endurcisse et gagne en réputation. En quelques mois le porteur d'Armeconnu sous le nom de chien de guerre fut craint et respecté sur tout le front. Des mercenaires acceptèrent de servir sous ses ordres et plusieurs porteurs d'Armes mineures vinrent se placer dans son ombre. (...)
Un an après avoir fuit le campement vorozion, Clébard, le chien de guerre, régnait sur une quarantaine de mercenaires et quatre Armes mineures. Il était enfin temps pour lui de retourner chercher la femme de sa vie. L'Armeexultait. Jamais elle ne s'était sentie aussi proche d'un de ses porteurs et la perspective de le voir connaître le bonheur auquel il aspirait depuis toujours la comblait de joie. Emerveillée elle découvrait qu'uneArmepeut avoir des sentiments altruistes, pour peu qu'elle ait suffisamment d'affection pour son porteur. (...)
Ils y parvinrent cependant et se réfugièrent dans la forêt où le jeune homme avait passé un hiver complet. Il avait beaucoup appris grâce à sonArmeet à ses compagnons. Il savait qu'il pouvait difficilement entrer dans le village avec ses hommes sans risquer de voir débarquer la milice rurale. (...)
Il est trop tard pour regretter mais sache que si tu me laisses partir je ferais tout mon possible pour venger mes compagnons. Le chien de guerre et sonArmen'étaient pas du genre à prendre une menace à la légère. La réponse de Clébard fut donc sans appel. (...)
Lorsque les villageois le reconnurent ils crurent leur dernière heure arrivée. Le petit monstre qu'ils avaient tous maltraité était revenu, uneArme-dieu à la main, pour leur faire payer leurs sévices au centuple. Ils furent presque soulagés quand Clébard leur expliqua qu'il voulait juste des vivres pour ses hommes et qu'on lui livre Anya pour qu'elle puisse enfin partir avec lui. (...)
Ils se retrouvèrent enfin face à face. Le coeur de Clébard battait à tout rompre. Le bonheur l'étouffait presque. SonArmeétait aux anges. Elle allait vivre le dénouement heureux de cette fabuleuse histoire d'amour. Anya était terrifiée par ce solide gaillard au visage monstrueux, dressé devant lui, un dieu incarné à la main. (...)
Il entraîna Anya dans le foin, la déshabilla presque avec délicatesse et, tremblant d'une folle excitation, se mit à explorer le corps de son amour retrouvé. Plus les choses avançaient et plus l'Armes'apercevait que quelque chose clochait. La donzelle était morte de trouille. Pas la moindre trace dans son regard de cet amour puissant que Clébard lui avait tant de fois décrit. Lorsqu'il couvrit la fille et s'enfonça enfin en elle, l'Armeavait tout compris. Cet amour qui avait jusqu'à ce jour guidé son porteur n'était qu'une illusion. (...)
Rien de merveilleux ni d'exceptionnel ne sortirait de cette étreinte. Ce ne serait qu'amertume et douleur. Pour uneArmecette perspective n'aurait pas dû faire de différence. Après tout, une aussi intense déconvenue serait tout aussi somptueuse à expérimenter que l'achèvement d'un véritable amour. L'Armesavait cela, et pourtant elle ressentait de la pitié pour son porteur. Plus que de la pitié c'était de la compassion. (...)
Elle tremblait de colère mais n'osait pas intervenir. Il fallait qu'il comprenne tout par lui-même. Si elle l'avait pût l'Armeaurait pleuré pendant que Clébard découvrait un corps rétif à son amour, pendant qu'il plongeait son regard dans des yeux plein de peur et d'incompréhension. (...)
Et lorsqu'enfin il se répandit dans le corps de cette femme qu'il ne connaissait pas, il lui brisa le cou. Et il offrit son plaisir à la seule personne dont il ne douterait jamais, sonArme. ------------------------------------------------------------------------------- L'assistance est médusée et Copperfangs boit leur air consterné comme du petit lait. (...)
Ce jour là Clébard a réalisé que la seule femme capable de l'aimer pleinement et intensément était déjà à son côté depuis plus d'un an. Cette révélation fut d'ailleurs un choc pour l'Armeégalement. Après cela Clébard et sonArmevécurent une liaison passionnelle et lorsqu'il mourut au combat, elle en conçut un immense chagrin. Depuis lors cetteArmen'a plus accepté d'être portée que par des personnes pour qui elle ressentait des sentiments forts et sincères. Ce n'est pas banal, mais c'est comme ça. Les Armes aussi peuvent aimer. C'est la morale de mon histoire. - Et comment s'appelait cetteArme? Demande Clarisse, le regard brillant de fièvre. - Je crois que tu le sais déjà, lui répond Gaétan avec un sourire. (...)