L'angoisse de la feuille blanche
Contient : joueurs (38)(...) Ou pire, quel meneur n'a jamais ressenti, après des jours voire des semaines d'un labeur exténuant, le sentiment que ce qu'il proposait à sesjoueursétait loin de tenir la route ? C'est un lieu commun, mais il faut pourtant le répéter : Maléfices est un jeu de rôle qui a ses exigences. (...)
La réussite de votre partie dépendra grandement de la qualité de l'histoire que vous proposerez à vosjoueurs. Je me souviens avoir un jour entendu Michel Gaudo répondre à un joueur qui lui avait demandé comment écrire un scénario : « d'abord, il faut avoir envie de faire quelque chose, il faut une idée ; ensuite, c'est du travail, du travail et du travail... » Cette réplique n'avait rien de provocatrice ; elle définissait pleinement toute la problématique de l'écriture d'un scénario. (...)
L'intrigue : A l'issue de ces premières cogitations, vous pourrez commencer à poser l'intrigue sur le papier. Il ne s'agit pas de raconter le scénario tel qu'il va être présenté auxjoueurs. Il s'agit simplement de raconter les événements tels qu'ils se déroulent, en remontant aussi loin que possible en amont du scénario, sans tenir compte pour l'instant des personnages. (...)
D'une part vous vous épargnez la tâche d'en concevoir une sortie de votre imagination - qui ne pourrait certainement pas receler autant de détails -, d'autre part vous surprendrez certainement vosjoueurssi l'un d'eux connaît la région. C'est d'autant plus intéressant lorsqu'on écrit des histoires fantastiques : quand la fiction flirte avec la réalité, vous entretenez une ambiguïté, procédé extrêmement efficace pour faire peser une lourde ambiance autour de la table. (...)
Entendons-nous bien sur ce que nous appelons une intrigue dans un scénario de jeu de rôle : il ne s'agit pas de ce que lesjoueursvont vivre. Il s'agit de la trame : tout ce qui intéresse le scénario (événements, acteurs, relations, etc. (...)
Il est inutile de tenir compte pour l'instant des personnages et de l'action qu'ils pourraient avoir sur le cours des événements. Si votre scénario final est correctement charpenté, vosjoueursdevraient, au cours de la partie, découvrir des informations qui, au final, devraient leur permettre de reconstituer l'intrigue dans son intégralité (ou presque). Commencez donc à voir comment lesjoueurspourront découvrir les différentes informations constituant l'intrigue. Pensez d'ores et déjà à l'effet à produire sur eux, et ne lésinez pas sur la dimension émotionnelle. (...)
C'est une erreur que je commettais fréquemment à mes débuts, tant j'étais un inconditionnel des histoires de Sherlock Holmes. Or vosjoueurs, aussi brillants puissent-ils être, ne sont pas des Sherlock Holmes. Le but est de leur faire vivre une histoire extraordinaire qui leur laissera d'impérissables souvenirs, et non de les noyer sous d'inextricables énigmes. (...)
Enfin, je vous déconseille vivement de faire l'économie d'une chronologie ; vous avez tellement de choses à penser au cours de l'écriture d'un scénario qu'une erreur de date est vite arrivée - et vosjoueursne manqueront certainement pas de la remarquer. Le scénario, enfin ! Ce n'est qu'alors que vous pourrez commencer à travailler le scénario proprement dit, à savoir les événements tels qu'ils se présenteront auxjoueurs. Huit règles sont impérativement à respecter. Première règle : Maléfices est un jeu d'ambiance. (...)
Sachez donc doser et rythmer l'intensité dramatique de votre scénario. Deuxième règle : Maléfices n'est pas un jeu d'enquête, c'est un jeu d'ambiance. Vosjoueursne sont pas des Sherlock Holmes. Cela ne veut pas dire que le scénario ne doit pas faire travailler leurs méninges, bien au contraire. Sachez cependant que plus l'enquête monopolisera l'attention de vosjoueurs, moins leur émotivité sera accessible. Certes un scénario sans enquête pourrait conduire à un désagréable sentiment de rigidité. (...)
Il y a là un juste milieu à trouver, et pour cela, il faut... penser en permanence à la troisième règle. Troisième règle : Sachez vous mettre dans la peau de vosjoueurs. Quand il préparait ses story-boards avec ses scénaristes, une question revenait régulièrement dans la bouche de Hitchcock : « quelle effet voulez-vous que cette scène produise sur le spectateur ? (...)
» C'est également ainsi que vous devez vous-même élaborer votre scénario : en pensant continuellement à ce que vosjoueurséprouveront. Ce faisant - et c'est loin d'être négligeable - vous parviendrez le plus souvent à prévoir leurs réactions, et donc en déduire les décisions qu'ils devraient logiquement prendre. (...)
En termes plus techniques, vous pourrez, dans une certaine mesure anticiper voire préparer les interactions entrejoueurset intrigue. Rien n'est plus désagréable que d'être obligé d'improviser au beau milieu d'une partie parce que tel ou teljoueursaura eu une idée qu'on n'avait pas prévue. Quatrième règle : Pensez à vos pistes. Placez dans chaque scène - c'est-à-dire dans chaque lieu, dans chaque discussion avec des PNJ, dans chaque événement auquel ils assisteront - au moins un élément qui les mènera à la scène suivante, tout en tenant compte du rythme. Si vous omettez cette règle, tôt ou tard vosjoueurstomberont dans une impasse. Sachez toutefois être suffisamment discret : lesjoueursne supportent pas de se sentir manipulés ; quand ils décident d'aller d'un endroit à un autre, il faut impérativement qu'ils soient persuadés que c'est eux qui en ont eu l'idée - alors qu'en fait, c'est bien le scénariste, puisque c'est lui qui fournit les indices que suivront lesjoueurs! Cinquième règle : Gérez les informations. A la fin de la partie, lesjoueursdevraient normalement avoir eu toutes les informations nécessaires pour reconstituer l'intrigue. Sachez cependant quand et où donner telle ou telle information. N'oubliez pas ce que disait Hitchcock : c'est l'effet à obtenir sur vosjoueursqui doit vous guider. Sixième règle : Pensez votre scénario en termes chronologiques. Vosjoueursdoivent rester occupés. Rien n'est pire qu'un joueur qui ne sait plus quoi faire en cours de partie ; neuf fois sur dix, un joueur qui ne sait plus que faire, décide tout de même de faire quelque chose, et souvent n'importe quoi ! (...)
Soigner le commencement : Dans Maléfices, il paraît peu crédible de commercer un scénario dans une taverne où un riche bourgeois proposerait une aventure auxjoueursen échange d'une forte récompense. Il faut d'autant plus soigner le commencement de votre scénario que si vosjoueursveulent rester très cohérents - à savoir jouer réellement des personnages de la Belle Epoque -, ils risquent de ne pas s'embarquer dans une affaire sans un bon motif. Intégrer les personnages dans l'histoire : Le fait de lire dans votre journal local qu'un meurtre a été commis dans votre ville va-t-il vous donner l'irrésistible envie d'enquêter pour essayer de trouver le meurtrier ? (...)
Certes, vous respecterez le principe de cohérence ; mais surtout vos effets dramatiques devraient être beaucoup plus efficaces si les personnages de vosjoueursse sentent pleinement impliqués dans le scénario. Le montreur d'ombres est à cet égard exemplaire. (...)
» Ce qui en clair veut dire que l'enjeu est toujours moins important que les personnages de votre intrigue... et que l'intrigue elle-même. Ne tombez pas dans le piège de proposer à vosjoueursde sauver le monde ou de détruire l'Antéchrist ! C'est tout bonnement inutile. Concentrez-vous sur l'essentiel : vos personnages non-joueurs, et sur l'intrigue elle-même. Le fantastique : Maléfices est un jeu qui sent le soufre. Le fantastique y a donc pleinement sa place. (...)
Le Chiffon rouge : Une autre ficelle souvent utilisée par Hitchcock. Le chiffon rouge consiste à changer totalement les règles aux cours du récit. On attire lesjoueursdans une direction en brandissant un chiffon rouge, et dès qu'ils sont embarqués dans cette histoire, on vire ! (...)
Dans un jeu de rôle, le suspense pourra donc prendre deux autres formes. La première forme, c'est celle de la crainte née de la propre imagination desjoueurs, imagination nourrie par l'ambiance des lieux, du moment, etc. Revoyez les scènes au cours desquelles les différents personnages visitent la maison de Norman Bates dans Psychose... Vous avez là une des meilleures utilisations du suspense dans le septième art. (...)
La deuxième forme, c'est celle de l'incertitude d'un devenir sur le long terme. Elle apparaît quand lesjoueurscommencent à se poser la question : « mais comment pourrons-nous sortir d'une situation aussi inextricable ? (...)
Mais comme nous l'avons précédemment dit, Maléfices est un jeu d'ambiance. Et puis n'oublions pas que dans un scénario il y a des personnages non-joueurs. Ils agissent eux aussi, en fonction de l'intrigue, et cela doit être prévu dans le scénario. (...)
Prévoyez donc un ou deux rebondissements en les situant à des moments judicieusement choisis pour qu'ils aient une incidence sur l'ambiance - d'où l'intérêt de toujours se mettre à la place desjoueurs. Les clichés : Voilà un mot qui a une connotation péjorative... et c'est fort dommage ! Le cliché est un lieu commun, et c'est justement là son intérêt. (...)
Judicieusement utilisé, il peut donc vous aider à situer à moindre peine un décor, dépeindre un personnage, voire à prévoir la réaction desjoueurs. Je me souviens avoir servi à mesjoueursla scène du wagon détaché de Tintin, le Temple du soleil ; c'était il y a bien une dizaine d'années, pourtant ils m'en reparlent encore ! Sachez toutefois apprécier et utiliser avec modération... L'humour : Souvenez-vous la première publicité de Maléfices : un petit diable hilare qui, tel l'oncle Sam, pointait son index vers le public en disant « votre âme nous intéresse ! (...)
D'autant que le rire est le propre de l'homme ; attendez-vous, donc, à des crises d'hilarité incontrôlées de la part de vosjoueurssi vous leur proposez un scénario complet dans une ambiance tendue. Mieux vaut me semble-t-il prévoir quelques « saillies drolatiques » - au sens littéraire du terme, restons corrects ! - à des moments opportuns et soigneusement choisis par vous, histoire de détendre vosjoueursun court instant et éviter des vesses euphoriques intempestives. L'amour : Hitchcock racontait que pour être sûr de ne laisser échapper aucune idée, il avait placé sur sa table de chevet un carnet et un crayon pour y noter celles qui pourraient lui venir nuitamment ; le lendemain il s'aperçut qu'il avait écrit sur son carnet : « homme aime femme ». (...)
Soyons modeste, surprendre est très difficile dans un scénario de jeu de rôle - à moins de faire appel à des artifices tels que l'illogisme, l'absurde, ou du surnaturel à gogo. Donc, si vous choisissez de mettre une chute en fin de scénario, soignez-là : lesjoueursaiment les surprises, certes, mais rarement les mauvaises surprises ! Le dénouement : Les scénaristes de jeu de rôle, obnubilés par leur scène finale, oublient souvent le dénouement. (...)
C'est au cours de cette scène que la tension s'apaise, que l'on peut expliquer ce qu'il reste à expliquer - comme dans la dernière scène de Psychose par exemple. Ne l'oubliez pas : c'est tellement désagréable pour lesjoueursd'entendre le meneur jeu dire « voilà, c'est fini » cinq secondes après que la tension dramatique a atteint son paroxysme. (...)Quel meneur de jeu n'a un jour tenté d'écrire ses propres scénarios ? Quel meneur de jeu n'a alors jamais connu une irrépressible angoisse face à la feuille blanche ? Ou pire, quel meneur n'a jamais ressenti, après des jours voire des semaines d'un labeur exténuant, le sentiment que ce qu'il proposait à ses joueurs était loin de tenir la route ? C'est un lieu commun, mais il faut pourtant le répéter : Maléfices est un jeu de rôle qui a ses exigences. Si vous voulez rester fidèle à l'esprit du ...